La chanson de la semaine

vendredi 24 avril 2009

Tom Petty and the Heartbreakers


Avec Tom Petty, il n'y a guère de surprises, les paroles sont généralement affligeantes de bêtise, de niaiserie ou de futilité. Ici c'est surtout la futilité qui l'emporte, et ce dès le premier disque. Le propos de ces dix petits tubes peut se résumer comme suit: "You got me babe, i got you". Cette philosophie, dupliquée 10 fois, culmine avec "Anything that's rock'n'roll" et son cortège de clichés recyclables et abusifs:
Your mama don't like it when you run around with me
But we gotta hip your mama that you gotta live free
Don't need her, don't need school (...)

Puis le refrain, qui enfonce le clou:
"So c'mon baby, let's go,
Don't you hear the rock'n'roll playing on the radio
Sounds so right
Girl you better grab hold, everybody's gotta know
Anything that's rock'n'roll is fine
Anything that's rock'n'roll is fine"

On est dans la plus pure prêche rock'n'roll, avec ses exhortations et sa mythologie toute faite. Le bad boy - qui ça? Tom Petty? Sérieusement? -, ses affirmations de la vie matraquées sans finesse ("come babe", "let's go", "it's alright"), les ritournelles sur l'amour... pas besoin de maman ni de l'école... la radio qui passe du bon son... Ne manque plus qu'un pétard pour un abrutissement parfait. "Une pourriture" dirait Frank Zappa.
En même temps, on s'en fiche un peu de Zappa. Tom Petty et ses Heartbreakers font du rock pour les gens qui n'aiment pas le second degré dans la musique et il le fai(sai)t bien.
Compte tenu des effets recherchés dans tel ou tel type d'art, j'ai tendance à cloisonner les genres: la psychologie dans le roman, la réflexion pure dans les essais, l'humour dans le bande-dessinée... Ainsi, je ne supporte ni l'humour ni l'intellect dans la chanson. Tom Petty peut donc prétendre garnir ma discothèque, lui qui ignore d'autant plus le recul et l'ironie qu'il se borne à la fonction sensorielle et émotive de la musique.
Cela ne veut pas dire pour autant que les choses doivent être faites sans intelligence aucune. Des paroles ouvertement jeunistes et bêtes me gênent également. Je ne suis pas plus enclin aux chansons frivoles que je ne suis favorable à la musique cérébrale. Qu'est-ce qui fait alors que Tom Petty, malgré son manque de finesse, me touche assez régulièrement et, sur cet album, dix fois sur dix? Eh bien parce que, tout en n'ayant pas l'intelligence littéraire, il a au moins celle de la composition. En France, il mériterait la médaille du meilleur artisan, pour sa maîtrise parfaite des ficelles de la chanson.
Dans les notes de la réédition (elle date de 2002), l'auteur met en exergue l'exemplarité de ce disque de rock'n'roll, pur produit des années 70, à mi-chemin entre le classic-rock vieillissant des mastodontes et le renouveau punk qui vient à peine d'être amorcé par les Ramones (plus fougueux, plus crus mais moins mélodieux). Si les martiens débarquaient sur Terre, écrit-il, et qu'ils souhaitaient découvrir le rock, ce disque pourrait constituer un excellent point de départ. Pour justification, on peut invoquer, bien sûr, cet énorme florilège de clichés, mais en dehors de cela et pour en finir avec la critique, il faut aussi avouer que c'est musicalement parfait et que, sur les dix titres de ce disque ramassé, il n'y a que des chansons d'anthologie. A commencer par "Breakdown", classé 40 au Billboard's, un tube jamais démenti qui, aux USA, continue de tourner en rotation lourde sur les radios. Pas un signe de lassitude, semble-t-il, de la part des fans. Même cas de figure pour le classique "American Girl" que nous avons tous entendu une fois dans notre vie sans savoir jusque alors qui en était l'auteur. Surprenant inopinément cette chanson aux forts accents byrdsiens à la radio, Roger McGuinn se serait demandé: "Quand ai-je enregistré cette prise?"
Exercice de plagiaire? Pastiche trop parfait? Non, mais il est vrai que McGuinn aurait pu composer ce tube. Il est vrai d'un autre coté qu'un jeune homme des années 80 était en droit de préférer la chanson de Tom Petty aux vieilles compositions des Byrds. Non pas que tout ce qu'ont réalisé les Byrds ait mal vieilli. Il reste de bons morceaux épars sur quelques albums de légende (the 5th dimension, Younger than Yesterday et même Sweetheart Rodeo, par exemple) mais il y a dans la chanson de Tom Petty une modernité qui est celle dans laquelle nous continuons plus ou moins de vivre aujourd'hui. Et de petits détails suffisent parfois à relever une compo déjà enthousiasmante par elle-même; ainsi de la seconde voix, dont l'apparition, très brève, vient souligner le refrain en contrepoint. Le petit solo de guitare qui conclut le morceau est également très sympathique. Un album qui finit en vrombe est fait pour redémarrer et, en même temps, il laisse espérer une suite à la hauteur. Je ne sais pas si les albums suivants des Heartbreakers sont du même tonneau, ce qui est certain, en revanche, c'est que ce premier galon mérite une place tout en haut de votre pile de disques préférés. On peut tomber dans le rock avec ce disque comme avec un Iggy Pop ou un Rolling Stones. En ce qui me concerne, on sait pour qui je voterai. Et tant pis si la pochette est ridicule. Tant pis si les disques solos de Tom Petty sont devenus par la suite lénifiants: avec le rock, les débuts valent souvent mieux que les fins.

S/t
Tom Petty and the Heartbreakers
1976, Mca Recors, réédition 2002

samedi 18 avril 2009

A propos du sondage

J'organise jusqu'au 31 mai un sondage, qui se trouve en bas de page. Il y aura d'autres initiatives de ce genre, car j'aime me faire une idée de ce que les internautes écoutent. Pour ce premier essai, vous êtes invités à voter pour vos artistes ou groupes américains favoris. Il n'y a pas de limites de choix, vous pouvez cocher le nombre d'entrées que vous désirez. En revanche, il y a déjà une pré-sélection. C'est le problème courant des sondages, il se peut que les options proposées ne correspondent pas à ce que vous auriez voulu trouver ici. Du coup, je vous propose d'ajouter dans les commentaires les groupes/artistes pour lesquels vous auriez voté s'ils avaient été mentionnés. Je les ajouterai ensuite manuellement, et je livrerai le résultat des sondages recalculés après le 31.
Je dois préciser plusieurs choses concernant cette sélection. Premièrement, elle est partiale mais ne correspond pas nécessairement à mes goûts personnels. J'ai juste cité les noms qui me venaient à l'esprit et que je jugeais populaires et/ou représentatifs. Les omissions peuvent être involontaires. D'autres en revanche sont motivées par des raisonnements, peut-être discutables. Par exemple, j'aurais volontiers ajouté Townes Van Zandt, qui est un de mes artistes préférés, mais je l'ai trouvé trop peu influent et dans le même temps trop méconnu pour figurer ici. Il aurait fallu étendre la liste à n'en plus finir. Le domaine folk, notamment, est, j'en ai conscience, sous-représenté. Il ne tient donc qu'à vous de me faire des suggestions.
Pour résumer, et même si l'univers ici représenté est conforme aux grandes lignes de ce blog, j'ai volontairement ignoré des artistes que j'aime et j'ai par ailleurs mentionné un courant que je n'écoute pas ou peu, jugeant qu'il était de première importance de proposer les Ramones, Iggy Pop, etc (les premiers résultats ne démentent pas).
Je dois également préciser quelques erreurs, les unes volontaires, les autres non. Neil Young est canadien, comme Joni Mitchell et la plupart des membres du Band, mais ils résident ou ont résidé aux USA pendant longtemps, et notamment à des moments forts leur carrière. Nick Cave par contre est australien et vit, pour ce que j'en sais, à Londres. C'est donc une réelle bévue. Néanmoins, puisqu'il est là, n'hésitez pas à voter pour lui. Ce sera un cas à part.

PS: j'ajoute la mention de deux nouvelles erreurs, qu'on m'a fait remarquer alors qu'il était malheureusement trop tard pour revenir en arrière: Roxy Music et Fleetwood Mac sont anglais. Ces bévues sont plus lourdes que pour Nick Cave. Roxy Music et Fleetwood Mac seront donc éliminés des résultats finaux. Le sondage est un peu boiteux, mais il en existe peu, à ma connaissance, qui permettent ce genre de top.

jeudi 16 avril 2009

Mon nanar bien-aimé


Depuis quelques mois, on fait des gorges chaudes autour de l'album des Fleet Foxes, sympathique au demeurant, mais pas parfait. En ceci, il faut incriminer le genre. La perfection dans ce domaine tient de toute façon du pré-fabriqué. C'est davantage un excellent produit qu'une interprétation musicale. Mais il y a un public pour ça. Je ne peux m'empêcher, à l'évocation des noms de Fleet Foxes ou de My Morning Jacket, musicalement consanguin, de penser à cette vague entité qu'on nomme classe moyenne - mentionner Jackson Browne ou Neal Casal me fait le même effet. C'est la musique moyenne des classes moyennes. Quelque chose au fond de moi sympathise - assez chaleureusement même - quand la tête, plus froide, toise ces noms de haut. Cela entraîne, en conséquence, une attitude de condescendance bienveillante et mi-sévère, mi-intéressée - ou simplement attendrie. En un mot: j'aime. Pas tellement Fleet Foxes, qui me donne des émotions déjà éprouvées ailleurs, et donc inutiles. Mais l'album Z de My Morning Jacket, c'est incontestable, celui-là je l'adore. Rien que la pochette suffisait au coup de cœur. C'est exactement le genre de mauvais goût qui permet de porter le mauvais goût bien haut sans fausse honte. Le disque est pareil. Assez lisse, à cause de (en l'occurrence, grâce à) la production léchée et limite rock fm, passagèrement ridicule quand Jim James pousse un cri à la fin de Dondante (pourtant meilleur morceau de l'album), ce Z est en quelque sorte le grand disque prog de l'americana. Un disque peut-être un peu mou du point de vue vitaliste du rocker, dans la mesure où il entre dans le tempérament de ses concepteurs et de ses auditeurs d'être mou et de rêver mollesse, dans la mesure également où ce n'est absolument pas du rock, mais un genre de pop hybride qui n'a d'autre vocation que le plaisir de créer un monde à coté du monde, plus sympathique, plus intimement familier avec l'auditeur, un disque peut-être un peu trop consensuel aussi, mais assurément un carton dans son genre. Quelques lourdeurs sont vraiment de trop, mais cette première chanson, "Wordless Chorus", n'est-ce pas un tube pop fm comme les bandes n'en passent jamais? Et le solo de Dondante, son atmosphère d'opérette planante et triste, sa grandiloquence lyrique, n'est-ce pas, aussi, un grand moment? Pour ma part, je prends le disque entier, avec sa pochette, son univers, cohérent mais varié, et je le place parmi ma pile de favoris (pas tout en haut quand même, hein), dans une catégorie il est vrai assez particulière, peut-être sans équivalent, une catégorie cachée, amicale, légèrement honteuse, carrément infantile.

Z
My Morning Jacket
Ato, 2005

mardi 14 avril 2009

Des chansons en or (2) - Visions of Johanna


Ce ne serait franchement pas sérieux, ni crédible, de parler d'une chanson de Dylan sans prendre en considération les paroles. C'est Dylan tout de même, pas les Beach Boys. Je renvoie donc les curieux - ou ceux qui, au terme de plusieurs écoutes, n'ont jamais su isoler les mots - à cette page: Visions of Johanna, Lyrics. Ils m'expliqueront certaines choses. Et il y a à dire je crois. D'après Wiki, on aurait plusieurs interprétations possibles au seul nom de Johanna. De Ge-Hinnom, mot hébreu désignant l'enfer, à Joan Baez en passant par Dieu, on a l'embarras du choix. Et je ne parle pas de l'hypothèse selon laquelle la chanson préférée de Dylan pour BLONDE ON BLONDE serait consacrée à la drogue ("Louise holds a handful of rain" serait le message cryptée pour "a handful of heroin"). On ne va pas se faire mal à la tête. Dylan poète? Il paraît. Je n'ai pas vérifié. Sa personnalité elle-même ne me touche en aucune façon. J'ai vu et revu "I'm not there" - que j'ai aimé, pour les images et la B.O - mais je n'ai trouvé à Dylan, l'homme, rien qui m'attire ou me repousse franchement. L'image d'artiste junkie et élégant incarnée par Kate Blanchet m'a même paru un peu convenue - le fait qu'un artiste soit humainement hors-norme a-t-il un intérêt autre que faire rêver les filles? Quand on se penche trop sur la vie de l'artiste, sur son caractère ou son comportement social, on sert le dandysme, la praxis aristocratique, le culte de soi. Qu'on interroge l'homme pour comprendre l'œuvre, c'est normal, mais la plupart des biopics n'ont pas cette fonction prospective, ils se contentent de mettre en scène un fantasme, de faire dans l'apologie, voire l'hagiographie - où, curieuse époque, les défauts ou les faiblesses ont valeur de vertus et sont admirés comme telles (même si Dylan, de ce point de vue, a été approché d'une façon moins intimiste, c'est-à-dire qu'il demeure énigmatique, échappant aux défauts comme aux qualités). Mais, peut-être ce manque d'admiration vient-il d'un défaut de compréhension? Après tout, de combien de chansons ai-je éclairci le sens, à part l'inusable "Knockin' on Heaven's door", quand même assez simple? Il est plus que probable qu'une immersion dans l'univers mental et littéraire de Dylan s'impose. En attendant, j'hésitais entre plusieurs chansons. Il y avait, en premier lieu, "I want you", qui est sans doute son chef d'œuvre indépassable. Chanson légère et enlevée, mais également remuante, sentimentale, libre - on a l'impression, en l'écoutant, qu'on peut prendre, le cœur léger, n'importe quelle décision. Il y avait "Knockin' on Heaven's door", évidemment, qui sur une échelle émotive, est de force maximale. On aurait mauvaise grâce à ne pas citer le duo avec Johnny Cash "Girl from the north country". Ne pas oublier non plus "Hurricane" ou "Ballad of a thin man"... Bref, si on ne compte pas les chansons de Dylan habilement reprises par d'autres (moins bons compositeurs mais parfois meilleurs interprètes), comme "Baby blue" (13th Floor Elevators) ou "My back pages" (Byrds), on a déjà une palanquée de morceaux magnifiques. J'ai pourtant choisi "Visions of Johanna". On voudra sans doute savoir pourquoi, et il n'y a pas de raisons ouvertement explicables. Peut-être l'harmonica, ou le rythme, qui associe la batterie et des accords cinglants de guitare électrique. La voix, également, a (comme sur l'ensemble du disque) un charme traînant et désinvolte qui fait parfois défaut à d'autres albums. Pas de raisons majeures, si ce n'est que, vraiment, c'est une chanson idéale pour son ambiance, et qu'elle est notamment magnifiée par le film de Todd Haynes.

Visions of Johanna, Bob Dylan
BLONDE ON BLONDE, 1966
Columbia

vendredi 10 avril 2009

Southside of Heaven


"The new sex symbol", peut-on lire sur youtube. Plutôt inquiétant. Dans les commentaires, on trouve même des "Gay!" à foison, même si, bien sûr, les commentateurs sont rabroués par les suivants. Pour être franc, cela nous aurait arrangé qu'il fût laid comme Quasimodo. Mais ce n'est pas le cas. Il faudra donc se coltiner - si on l'écoute - cette image de minet pour les filles entichées de songwritters plaintifs. Ce n'est pourtant pas vraiment le cas de Ryan Bingham qui, s'il donne l'air de ressasser les clichés de l'Amérique du Sud, les connaît en tout cas très intimement, pour les avoir, paraît-il, vécus. La route, la solitude, etc. Ni Cowboy gay, ni franchement plaintif, Ryan Bingham n'est pas conforme à l'image qu'on fait de lui. "Don't let them turn him into a sex symbol, sure he's goodlooking, but he's also a genuine talent and that shouldn't be turned into mainstream crap." dit un commentateur. Il a raison. A part ça, on trouve parfois des propos intéressants sur youtube. Un type explique que depuis des années il fuit ce genre de musique déprimante, parce qu'il a perdu sa jeunesse à végéter. En voilà un qui n'a pas écouté Joy Division. Parce qu'en toute connaissance de cause, après avoir passé des années à écouter des trucs vraiment déprimants, la musique country de Bingham est plutôt un beau rayon de soleil... Alors, bien sûr, il y a ce fameux tour de magie américain, ce sens de l'espace et de la lumière, qui provoque chez ceux qui y sont sensibles une impression de nostalgie intense. On sait tous cela, je veux dire nous qui aimons Dylan, les Byrds, etc. Pourtant, on ne peut pas appeler ce sentiment tristesse. Il penche, par instant, de ce coté-ci de la frontière, mais le plus souvent, on reste dans les régions chaudes du cœur. Et c'est ce balancement qui émeut le plus souvent - le plus surement. Peut-être Ryan Bingham en abuse-t-il en conséquence un peu trop sur certaines chansons anecdotiques et mollement romantiques. Mais la chose est rare. Les trois quarts du disque sont plus que brillants, c'est une essence rare et précieuse d'americana. Le premier titre, "Southside of Heaven" en est sans doute, d'emblée, le point culminant. D'autres chansons sont plus roots, plus sudistes, plus arrangées, avec de la slide guitare, de la mandoline, du banjo, mais finalement c'est l'harmonica de "Southside of Heaven" qui revient toujours à la mémoire.
MESCALITO est un disque qui présente dès la première écoute ses atouts: la voix de Ryan Bingham, érodée et chaude, et, surtout - c'est du moins mon point de vue de guitariste - une musique riche et bien jouée, qui étale directement sa profusion, une musique juste, sans doute très typée - et stéréotypée - mais qui prouve qu'on peut encore, avec les mêmes accords, créer de nouvelles chansons.

MESCALITO
Ryan Bingham
Lost Highway, 2007

lundi 6 avril 2009

Des chansons en or (1) - Crazy Man Michael

Une rubrique qui s'ouvre. Peut-être la plus importante. Depuis qu'internet permet à tout le monde d'écouter de la musique gratuitement (de façon légale ou pas), la notion d'album perd quelque peu de sa pertinence. Ajoutons à ce phénomène l'émergence du lecteur mp3, l'i-pod, et sa segmentation parcimonieuse de la musique. Chacun se crée sa compil' et d'un coup des albums complets se trouvent déplumés. Le remplissage n'a vraiment plus de place. L'inconvénient, c'est que les artistes sont condamnés à l'immédiateté: les morceaux qui prennent du temps à se savourer sont vite éliminés alors qu'une écoute attentive du disque intégral permet de leur laisser la chance d'éclore. Nous ne parlerons pourtant pas de ces semi-réussites, qui jalonnent souvent les meilleurs disques, mais, en partie par goût de l'excellence, en partie par désir d'aller à l'essentiel, des chansons en or, celles qui justifient l'amour qu'on a pour un groupe ou un artiste, en dépit de carrières en dents de scie.
La première d'entre elle ne sera pas américaine, contrairement à ce que la ligne directrice du blog donnait à croire. Le folk anglais correspond par ailleurs à la véritable et lointaine origine de toutes les musiques folk anglophones, y compris la musique traditionnelle américaine qui n'aurait pas vu le jour sans un croisement entre les rythmes africains (dont la présence s'explique évidemment par la traite des esclaves noirs) et les mélodies irlandaises importées par les colons. Au moment où, dans les années 60, l'Amérique connaissait un revival folk, souvent contestataire (Dylan, Hardin, mais auparavant Seeger, Adams...), l'Angleterre elle aussi commençait à revisiter son héritage populaire. Aujourd'hui, ce genre d'initiatives serait en France vite déconsidéré pour cause de régionalisme, ce qui n'augure généralement rien de bon sur le plan politique, mais à l'époque les figures de la scène folk sont progressistes et redonnent vraiment un coup de neuf à cette musique ancestrale. Cependant cette scène devient elle-même l'occasion d'un certain purisme, que Dylan met à mal par l'électrification de la guitare. Les Byrds avaient ouvert la voie avec la reprise de "Mr Tambourine Man", sans compter, en Angleterre, le mémorable tube des Animals, "the house of the rising sun". Le folk-rock vient de cette électrification de la musique folk. En Angleterre, à la suite des Byrds, c'est toute une génération de groupes, dont sont issus quelques fameux guitaristes (Bert Jansch, John Renbourn et, surtout, Richard Thompson), qui se lance dans ce style électro-acoustique. Evidemment, tradition oblige, les airs irlandais sont à l'honneur. Un peu trop peut-être. Après quelques années seulement, Fairport Convention, le groupe phare de cette scène anglaise, s'éloigne de ses influences premières (B.Dylan, Byrds, L.Cohen, G.Clark, T.Buckley...) pour s'engouffrer dans l'adaptation quasi exclusive d'airs folkloriques, sous l'influence conjointe de la chanteuse Sandy Denny, de Richard Thompson et du violoniste Dave Swarbrick. Cela donne, pour commencer, l'album Liege and Lief, le dernier de la période moderne et en même temps celui qui entame la carrière dans la musique traditionnelle. Album charnière, parfois légèrement envasé dans les flonflons à l'irlandaise, mais encore brillant et surtout illuminé par l'association des deux virtuoses et de la chanteuse. Les albums suivants étant pénalisés par des changements d'effectifs, je n'en parlerai pas. la carrière du groupe, pour moi comme pour beaucoup de fans, s'arrête là. C'est sur Liege and Lief qu'on trouve le chant du cygne de cette période de grâce: "Crazy Man Michael". D'autres auraient choisi le plébiscité "Matty Groves", mais "Crazy Man Michael" est plus court, plus condensé, il ne s'égare jamais, et surtout, c'est un pur moment de mélancolie. Les notes du livret (pour la réédition) rendent hommage aux archivistes Cecil Sharp et Francis James Child, qui ont tous deux largement contribué, à la fin du XIXème, à la résurgence de la musique folklorique anglaise. C'est peut-être dans ces recueils de chanson qu'ont puisé les membres de Fairport Convention; pour autant "Crazy Man Michael" n'est pas l'adaptation d'un air ancien, mais une composition neuve, qu'on doit autant à Richard Thompson (qui avait déjà prouvé ses talents de compositeur sur, par exemple, "Meet on the Ledge") qu'à Dave Swarbrick, dont le solo de violon a touché ma fibre sensible d'une façon très particulière, semblant ramener à la mémoire une vie qu'on n'a pourtant pas vécue. La guitare électrique n'égrène ensuite que quelques notes, mais couplées aux arpèges de la guitare acoustique qui, à ce moment, se densifient, cela donne quelque chose d'infiniment beau et spirituel. Les paroles sont visiblement allégoriques, bien que je ne comprenne pas tout, mais, comme on sait peut-être, je n'accorde pas tellement d'importance au sens des mots. J'écouterais de la chanson française si c'était le cas. La musique et le texte sont deux dimensions différentes dont j'ai souvent du mal à tisser les liens: d'un coté, une poussée émotive, biologique presque, de l'autre un rapport intellectuel aux mots. Le mariage n'est pas toujours consommé. Je crois qu'il l'est pour "Crazy Man Michael". Bien sûr, la tension dramatique du texte, sa noirceur gothique également, ne sont pas directement évoquées par la musique, plutôt contemplative et doucement planante. Mais la tristesse de l'accompagnement indique sans conteste que quelque chose s'est perdu qui sera sans retour; le fruit est gâté. Or c'est bien d'un acte irrémissible dont il est question, pour lequel le personnage est condamné à l'errance perpétuelle, ce qui correspond à l'atmosphère mélancolique de cette splendide divagation musicale.

Crazy Man Michael
LIEGE AND LIEF
Fairport Convention
Island, 1968

dimanche 5 avril 2009

Les dieux Râ de la musique rock


Avant, les Black Angels c'était Joy Division au pays des cactus. Une route poussiéreuse et chaude au soleil, dont on ne savait dire où elle menait, perdue dans un désert sec et aride où traînent des bêtes efflanquées. Genre vallée de la mort. On voyait l'ombre de Jim Morrison rôder quelque part dans ces nids à serpents et les guitares empruntaient au stoner rock leur puissance primaire et leur épaisseur. C'était écrasant mais bon. Pas plus raffiné qu'un moteur à bécane mais très efficace. Voilà que maintenant, le premier pas fait, les Black Angels reviennent avec des morceaux un peu plus longs et moins simples dans leur structure - comprendre: l'effet n'est plus si immédiat. Quasiment pas une chanson mémorable, en effet. On se trouve d'un coup propulsé sur les rails du Quicksilver Messenger Service et cela sonne plus hippie, plus bruitiste aussi. Alors que la musique était auparavant basée sur des rythmes mid-tempo, elle semble désormais faite uniquement de larsens. Serait-ce du n'importe quoi? des jams? On avale ça un peu circonspect, d'autant que la voix est poussive, et la réverbération la rend de plus en plus lointaine. Qu'est-ce qui fait alors qu'on aime quand même cette chose informe? Simplement parce que les Black Angels sont actuellement les seuls à asséner cette puissance lente, rampante et compressive. L'ouverture de l'album à ce titre est très impressionnante; elle répond tout à fait à des attentes secrètes de l'auditeur, qui n'osait plus demander ce genre de choses mais les voulait pourtant. L'impression de malaise qui s'en dégage reste mêlée à la poussière du Texas, à l'électricité des 13th Floor Elevators (on entend une jarre électrique sur l'un des titres, sans doute en hommage - car Rocky Erickson est devenu en quelque sorte le parrain de cette scène musicale néo-psychédélique). Les Black Angels, c'est un soleil malsain, brûlant, un dieu Râ de la musique rock. Dans quelques années on en sera lassé, notamment à cause des effets et du coté théâtral, mais pour le moment, ils remplissent la fonction originelle de ce genre de musique: taper un grand coup et enfoncer le clou.

DIRECTIONS TO SEE A GHOST
The Black Angels
Light in the Attic, 2008

Banjoman


C'est avec cet instrument que j'ai l'intention de révolutionner la musique. Je l'ai eu vendredi dernier, après avoir passé commande (les banjos en magasins étaient trop chers: au minimum, 350 euros). C'est un cort cb35, l'entrée de gamme, ce qui m'a coûté 190 euros. Il en existe de moins chers, chez Stagg. Un professionnel trouverait peut-être cela un peu trop cheap (certains luthiers n'utilisent que du bois précieux et demandent 4000 euros pour la fabrication d'un banjo) mais, du point de vue d'un débutant, qui joue toutefois de la guitare et s'est donc familiarisé avec le son des instruments réels, c'est parfait.
Ne reste plus, en sus des compositions persos, qu'à trouver des tablatures et des morceaux à écouter.

Ten Stones


David Eugene Edwards est égal à lui-même, mais il s'affine. Beaucoup de morceaux enregistrés par son ancien groupe, 16 horsepower, sont devenus difficilement audibles. Il y aura toujours l'excellent et rustique "Folklore" pour démentir, ainsi que quelques titres majeurs, mais de tout cela on tirerait surtout une compilation. Quoi qu'il en soit, l'homme impressionne toujours. Quiconque a entendu (et vu) "Hutterite Miles" sait quelle fascination mortifère exerce sa voix et sa musique. Il confère à une très vieille souche de la tradition américaine une dimension lyrique et sombre qui en libère le coté morbide, dramatique, primitivement sauvage même. Confiné dans son registre de country gothique, Woven Hand ne risque pas d'ouvrir de nouvelles portes à cette musique désolée, qui sent l'Amérique profonde et le trauma infantile. On se moque parfois lourdement de l'identité religieuse du groupe; le mélange de crainte et de respect que continue d'évoquer pour moi la musique de 16 horsepower m'empêche de prendre la chose avec autant de légèreté. Un mot anglais résumera bien mon sentiment: awe. A l'écoute, en tout cas, rien n'a changé: on croirait encore que tout cela nous vient d'un autre monde, d'avant le déluge. Notre imagination ressasse de vilains clichés, dont on ne mesure absolument pas le degré de véracité historique : on voit ainsi un village de l'Amérique rurale, des familles frappées par la consanguinité assister à la messe du dimanche, des pendus aux arbres, le frère qui fend du bois dans la grange, et un axe de communication désert. Ce nouveau disque se prêtera donc encore à l'archaïsme. Crédible, cela va sans dire, compte tenu de la carrure de DEE, mais un peu trop pittoresque pour qu'on ne fasse pas d'allusions. Il faut reconnaître qu'avec un texte inspiré du livre de Job, une chanson liturgique des indiens d'Amérique, un peu de banjo (même si c'est devenu rare), et sachant que l'ensemble a été enregistré pour le label New Jerusalem Music par un gars qui s'appelle sobrement David Eugene Edwards et qui est fils de pasteur, il est naturel qu'on trouve à cette musique une identité fortement marquée. C'est peut-être aussi ce qui continue de faire la longévité du groupe, quand il a toujours été en dehors des modes, creusant le même sillon avec ténacité. Les morceaux rock restent inspirés par le gun club, mais détournés de leur énergie primaire et lyricisés par le chant de DEE (moins outrancier qu'avant dans les cris, ce qui augure d'une plus grande durée de vie pour ce disque). Les morceaux plus doux sont parfois de véritables merveilles. Cohawkin road est ainsi l'une des plus belles chansons du groupe, magnifiée notamment par quelques notes de guitare électrique qui rehaussent subtilement les accords. On n'oubliera pas non plus Horsetail, puissante et décisive. Seul la reprise Quiet nights of quiet stars, très bossa nova, dénote dans cet ensemble d'americana noire et amère. Interprétation impeccable, certes, mais complètement hors-propos. On préfère quand DEE fait ce qu'il a toujours fait, et il continue à bien le faire. Bon album.

TEN STONES
Woven Hand
Sound Familyre, 2008