La chanson de la semaine

samedi 20 juin 2009

D'une pierre deux coups



Cela n'a aucun rapport, même éloigné. Mais pour des raisons afférentes à ma vie privée il fallait que je lie les deux. Je les ai découverts l'un comme l'autre il y a deux ans, à la même époque. L'impact ne fut pas le même pour Elvis Perkins que pour Townes Van Zandt. Je ne crois pas utile de révéler lequel des deux a emporté ma plus vive adhésion. J'avais publié sur myspace comme ailleurs quelques textes pour dire tout le bien que je pensais du troubadour texan (en référence au coffret du même nom), mais plus ou moins dans le vide, car même si les disques profitaient d'une réédition sur le label Fat Possum, l'accueil en France restait confidentiel, voire officieux. La sortie du disque hommage de Steve Earle peut changer la donne durablement. C'est le moment sans doute de s'engouffrer dans la brèche et d'aller déposer à droite ou à gauche des posts élogieux et prosélytes sur Townes Van Zandt. Pas de faux scrupules: tous les moyens doivent être bons pour permettre aux gens d'écouter ses très belles chansons, même sans en comprendre tout le sens. Non content d'être un parolier reconnu, c'était surtout un excellent compositeur, à l'aise dans le classicisme country et/ou blues mais surtout resplendissant quand il s'agissait de s'éloigner de la routine et du déjà-entendu. A ce titre, aucun album ne représente mieux son identité unique que "Our Mother the Mountain", chef d'œuvre total servi par des arrangements somptueux et une voix terriblement claire et désespérée. De manière incompréhensible, Steve Earle, qui a choisi un beau florilège de chansons de provenance variée, n'en a retenu aucune de cet album phare. Peut-être la tristesse, l'impression d'isolement, d'indépendance sauvage étaient-elles à ce point de non-retour qui empêche l'appropriation par quelqu'un d'autre. Notons quand même la superbe version de Mr Mudd and Mr Gold, selon moi supérieure à l'original, car chanté à deux voix. Un journaliste écrivait il y a peu que l'oeuvre de Townes Van Zandt, malgré son génie, souffrait parfois d'aridité, aussi l'échange de voix sur Mr Mudd and Mr Gold est-il d'autant plus touchant qu'il invite à plus de chaleur. C'est le fils de Steve Earle, prénommé Justin Townes - ce n'est pas une coïncidence - qui s'occupe de la réplique.

Le deuxième chanteur dont il est question ici n'a pas la même clarté de timbre et il en fait parfois un peu trop, à l'image de Van Morrison, son modèle. Mais le titre d'introduction de son second et dernier album est excellent et mérite de redoubler d'attention. Il est vrai que le premier disque avait été bien accueilli, fort de quelques chansons très émouvantes, comme "While you were sleeping" ou "Ash Wednesday". On fermait les yeux sur l'emphase parce qu'elle nous plaisait. On savait qu'il avait la qualité de son défaut: sans cette grandiloquence à la frontière du ridicule, il n'eut pas pu nous émouvoir. Son nouveau disque est d'une plus haute tenue. Du coup, certains l'ont trouvé ennuyeux. Mais il est comme la sonate de Tchaïkovski en tête d'aiguille: ça commence fort et après ça reste bon, mais par contraste moins impressionnant. Ecoutez quand même "I'll be Arriving" et vous verrez bien par vous-mêmes!

TOWNES
Steve Earle
New West Records, 2009

IN DEARLAND
Elvis Perkins
XL Recordings, 2009

vendredi 19 juin 2009

Country-rap

C'est donc après une longue absence que mes deux fidèles lecteurs (sans compter éventuellement quelques proches) me voient revenir avec pour bagages quelques nouveautés qu'ils connaissent bien sûr déjà. La liste heureusement est longue et les fans de musiques obscures et mésestimées apprécient grandement quand la blogosphère met une double ration là où on faisait vache maigre. Pour commencer, les Felice Brothers, authentique fratrie des Etats-Unis, occupée à perpétuer un certain héritage roots, sudiste et terreux, avec pour point de mire manifeste la voix de Bob Dylan et les élucubrations de Tom Waits. Leur troisième et dernier disque, sorti il y a deux mois, a beau être une incontestable réussite, c'est sur le précédent que mon dévolu s'est jeté. Voici donc une chanson extraite de ce disque. Beaucoup trouvent la qualité de la vidéo déplorable, mais je ne peux pas écouter la chanson sans la regarder. C'est du véritable Do It Yourself, ça n'a vraisemblablement pas couté 50 dollars et c'en est d'autant plus touchant qu'on se dit qu'on pourrait le faire soi-même, avec de la bonne volonté (elle transpire tout au long du morceau). Le chanteur prend la pose, avec ses lunettes noires, mais l'esbroufe ne m'irrite pas, il s'en dégage au contraire une impression de naïveté confondante, de premier degré, d'ingéniosité et presque comme une maladresse tempérée. Le cœur tente de parler, la forme s'y prête.
Plusieurs choses m'ont marqué. Tout d'abord l'intro à l'accordéon, qui laissait présager d'un flonflon désagréable. Sans être un faux démarrage, l'accordéon est un peu trompeur. Le morceau suit en fait une progression classique dont l'efficacité est éprouvée: ça commence doucement, puis un coup de batterie et la machine s'emballe. Quand le chanteur met ses lunettes, au moment où la caisse est frappée, je ressens systématiquement ce frémissement enthousiaste que provoquent les grandes chansons. La guitare électrique arrive immédiatement après, claire, doucement entraînante et comme abondante en lumière, alors qu'un gros plan nous montre la face du chanteur en contre-jour, avec les rayons du soleil qui absorbent son visage. Je trouve ça simplement beau. Il secoue la tête à la manière des rappeurs et entame ensuite un chant assez dylanien, mais tout à fait inattendu puisqu'à plusieurs reprises son phrasé, très rythmique, rappelle la scansion du rap ("don't count the thirty in the glove box buddy"). On peut vraiment voir ça comme un croisement entre deux cultures qui racontent la vie de tous les jours, les souffrances et les peines, des historiettes pleine d'accidents. Du country-rap. Qui y aurait pensé? Enfin, dernier grand moment: le chœur du deuxième couplet, juste avant le refrain. La voix est doublée et à cet instant la chanson atteint un paroxysme ("I hurt him so damn bad I had to hide in Jersey"). Généralement j'arrête la vidéo après cet instant. Le dernier refrain, plus long, est moins intéressant pour moi; ni les sha na na ni les chœurs ne me sont indispensables. En revanche, à chaque fois que je réécoute cette chanson, je m'aperçois que mon regard a changé sur l'accordéon de l'intro. Elle est belle comme elle est, même sans la suite. Maintenant je vous laisse savourer cette vidéo, ou peut-être aurez-vous eu l'intelligence de ne rien lire avant de la visionner.

mercredi 3 juin 2009

Incendie en Californie

Voici un morceau du feu de Dieu. Rien entendu de tel depuis Dogwood rust, le titre d'ouverture d'Avatar, l'album des Comets on Fire avec des nuages d'orage (ou de fumée peut-être) au dessus des pins. Superbe pochette d'ailleurs, qui disait bien la furia du groupe, l'état de délabrement et en même temps de concentration qui se dégageait de leur musique épique et ravageuse. Les Crystal Antlers rappellent - même s'ils s'en défient - ce type d'expérience sonore, cet impression de lave en fusion, d'éclatement et de drame. Ils sont jeunes, mais ils ont sans doute bien connu la musique des années 90, car on retrouve dans ce brûlot la grandiloquence bruyante (bruitiste même) et la gravité de l'indie-rock américain des nineties (j'entends la rage de Nirvana par moments). Mais non, contrairement à ce qu'ils pensent, ils n'ont pas grand chose à voir avec la musique punk (lire l'article dans la magazine Eldorado), car il ne suffit pas d'être agressif et sans fioritures pour faire punk. La réalité du punk est surtout sociale, la musique est crue et directe parce qu'il n'y a pas souvent de réverbération (l'impression de profondeur du son) et par là même, pour glisser sur le sol pentu de la métaphysique, aucune ouverture n'est laissée à la possibilité d'un arrière-monde. Le punk c'est un monde qui non seulement est débarrassé de Dieu mais qui, de surcroît, s'en contrefout. C'est tout, tout de suite, et surtout, on ne l'a pas assez dit, ICI. Une expérience de proximité, voire de promiscuité. Les pieds arrimés au sol, les yeux dans les yeux, et pas au ciel ni tournés vers son monde intérieur. Les Crystal Antlers sont différents; volontairement ou pas, ils laissent une distance entre la vie de tous les jours et leur musique. C'est violent mais ça porte au rêve, c'est agressif mais parfois lyrique, voire légèrement planant. Le son est confus, pas de contours nets, la voix est un hurlement qui vient de loin. Il y a quelque chose d'irréel. C'est peut-être pour ça qu'au lieu d'être catalogués punk, ils sont souvent, malgré eux, étiquetés psychédélique. Je leur laisse le choix, mais ce qui est sûr, c'est que leur morceau Andrew tape un grand coup.



TENTACLES
Crystal Antlers,
Touch & Go, 2009