La chanson de la semaine

lundi 21 décembre 2009

War On Drugs

Ces gars n'ont que 5809 amis sur myspace, 5810 avec moi, tout en étant inscrit depuis 2004. Un groupe français amateur peut s'en trouver 1000 de plus avec un peu d'huile de coudes et un bon relationnel. Qu'est-ce qu'il faut en conclure? Que les fans de rock sont moins nombreux par kilomètre carré; que les américains ont perdu leur connexion; ou que War On Drugs est mauvais? Loin de là! Ils comptent en leur sein l'un des singer-songwriters les plus talentueux de la nouvelle génération d'Amérique, le phénoménal Kurt Vile, sorte de Jay Reatard débutant et maintenant embarqué dans une carrière solo qu'on espère aussi prolifique que ses débuts (3 albums en 2 ans), mais surtout, ils ont composé au moins trois superbes morceaux pop-rock hallucinés: Arms like boulders, le plus folk, Taking the farm et ce Needle in your eye 16 que je vous propose en vidéo. En plus c'est bien présenté. Reste à écouter en entier l'album Wagonwheel Blues qui, parait-il, est plombé par deux longs instrumentaux. Eh, non, les gars! Avec un talent pareil, ne nous faîtes pas le coup d'abandonner la pop pour des jams sessions! Parce que Comets On Fire, ça peut impressionner un bon coup, mais ça finit toujours par devenir pénible...



WAGONWHEEL BLUES
War On Drugs
Secretly Canadian, 2008

vendredi 18 décembre 2009

Childish Prodigy


Il y a des jours où je suis content d'avoir choisi Matador pour pseudo. C'est un hasard: je ne faisais pas référence à la boîte qui a signé Yo La Tengo et les Ponys mais simplement au torero principal, celui qui sacrifie la bête dans l'arène. Par glissement sémantique, je suis ravi de pouvoir lier Matador au label qui a eu l'heureuse idée de soutenir Kurt Vile, ce "jeune prodige", comme il se désigne lui-même en clin d'œil à un article de presse.
Après un album qui s'intitulait sobrement "le faiseur de hits de Philadelphie", Kurt Vile est donc de retour avec un titre tout aussi présomptueux mais entièrement légitime. Childish Prodigy est avec quelques autres (Girls et Jay Reatard) une des meilleures surprises de l'indie-rock US, depuis... les années 90.

Kurt Vile est mal présenté sur internet. Il écoute les primitifs américains, John Fahey, Mississipi John Hurt, Robert Jonhson, plus récemment Neil Young et pour toutes ces raisons, se trouve hâtivement catalogué americana/folk, alors que son disque est avant tout un concentré de rock dégingandé comme Pavement, flou comme My Bloody Valentine et surtout, un détonnant mélange de blues primitif et de malformation sonore presque noise.
Sur Inside Lookin out, par exemple, vous croyez entendre la sonnerie de la locomotive à vapeur et le bruit approchant de la chaudière, tandis Freak Train reprend le rythme hypnotique des roues. Vous êtes propulsé d'un coup dans une version psyché et alternative du Tennessee des années 20, dans la peau d'un rambler qui prend le wagon en marche.
Eh oui, les bluesmen faisaient la même chose. Mais halte là! Pas de passéisme ici: Kurt Vile a les moyens sonores d'un gars d'aujourd'hui et malgré une production un peu lo-fi peut vous faire passer une guitare pour un ordi. En dehors des super chansons pop comme A monkey (que je rêve d'entendre un jour à la radio... mais pourquoi pas?), ce que j'apprécie chez lui c'est aussi cette volonté de brouiller la perception qu'on a du rock traditionnel (dont il est pourtant friand). Je n'émets de réserve que sur une chanson: overnite religion laisse penser que notre jeune prodige a écouté Animal Collective (non! ne fuyez pas!). Hors-ça, il est parfait.

Mais Childish Prodigy n'est pas seulement une curiosité sonore, c'est surtout le disque d'un chanteur qui a la patate et je crois que c'est ce qui le distingue vraiment du lot: Hunchback, d'entrée de jeu, est ravageur. Entre premier et second degré, affectation et rage, Kurt Vile dynamite l'album et nous emmène bien loin du rock à frange, fun, cool, peut-être, mais redondant, pour nous faire exulter comme jamais depuis... des lustres! Pareil quand il gueule sur Inside Lookin' out, son European Son à lui.
Ce n'est pas que ce soit entièrement nouveau (ni même parfait), mais après une décennie de punk-rock à l'ancienne, jusqu'au fantasme régressif de Jim Jones Revue, qui nous ramène carrément 60 ans en arrière, l'esprit alternatif du rock indé commençait à me manquer. Des groupes de ce genre, il y en a eu dans les marges du revival rock, bien sûr, mais rien de bien affriolant. Rien qui égale cette tour de Pise improbable et azimutée, rien qui soit pourvu d'une atmosphère aussi fraiche. L'effet de surprise ajoute encore à l'émulation que ce disque est susceptible de créer, coiffant tout le monde sur le poteau. C'est vraiment une super nouvelle pour cette fin d'année et, je crois, la première graine semée pour la décennie qui vient. Tenez, puisqu'on parle de classement ces temps-ci, Childish Prodigy est en seconde place, derrière Girls. Voilà, je n'ai pas écouté autant de disques que nombre d'entre vous, mais je sais que ces deux-là, sans comparaison avec d'autres, peut-être meilleurs, peut-être moins bons, qu'en sais-je, il est possible d'y tenir, de s'y accrocher fermement, parce qu'on voit en eux un horizon probable, un germe de quelque chose de durable et de consistant. Et dire que tous ces gars sont influencés par Ariel Pink, il serait peut-être temps que je m'intéresse à cet énergumène-là. Jusqu'alors, je dois dire, inconnu au bataillon.


CHILDISH PRODIGY
Kurt Vile
Matador, 2009

jeudi 17 décembre 2009

TOP QUINZE des chansons de l'année

Sensiblement différent de mon top myspace dans l'ordre des chansons (mais là, je chicane)

15 - Suit on a frame (Joe Henry)

Pas de vidéo pour le moment. Il faut guetter youtube, hélas.

14 - Leap (the Cave Singers)



Eh oui, il ne chante pas très bien, tout est en équilibre fragile.

13 - Ain't nothing like you (Blakroc)

Vous connaissez déjà, je vous avez présentés.



12 - Run Chicken Run (The Felice Brothers)

L'album est moyen, mais cette chanson est très énergique (surtout sur scène, comme en témoigne la vidéo)



11 - Andrew (Crystal Antlers)



Comment ça c'est inaudible?

10 - Tell my mom I miss her so (Ryan Bingham and the Dead Horse)

Je suis affligé par les commentaires des petits GI américains, heureusement ici, il y a des fans d'americana pour relever le niveau.



9 - Mr Mudd and Mr Gold (reprise de T.Van Zandt par Steve et Justin Townes Earle)

On écoute la version du fils Earle, Justin Townes, pour changer un peu.



8 - Hunchback (Kurt Vile)

Découvert il y a très peu de temps. C'est énorme!




7 - Hands (the Dutchess and the Duke)



Quans les albums seront-ils disponibles en France?

6 - Perfection as a hipster (God Help the Girl)

Très mignonne cette Catherine Ireton... Et Neil Hannon, ici, est impeccable.



5 - It ain't gonna save me (Jay Reatard)

Le grand absent des top 2009. L'album est un peu routinier, mais ce morceau est un hit.



4 - Standing between the lovers of Hell (the Warlocks)

La catharsis pure.



3 - Laura (Girls)

N'importe quel morceau de leur album en fait.



2 - Shampoo (Elvis Perkins)

Son meilleur titre. En un an il a dépassé le nombre d'écoutes de la plupart des chansons enregistrées sur mon i-pod depuis plus de deux ans.



1 - The mountain (Heartless Bastards)

ça fait rêver...

mercredi 16 décembre 2009

69 chansons d'amour...


... pour se lasser d'aimer. 69, c'est trop, beaucoup trop. Mais on n'est pas obligé d'écouter le coffret en une fois. Il a eu les yeux plus gros que la tête, assurément, mais Stephen Merritt est un des types les plus originaux du monde indépendant américain. Il n'est jamais en reste d'un projet farfelu et insolite. La dernière fois c'était un disque entièrement consacré aux guitares distordues - un peu foiré d'ailleurs -, un autre dont chaque titre commençait par I... En s'imposant ce style de contrainte, il invite l'oulipo dans sa fabrique et tente de régénérer la pop, en jouant sur les codes et l'inventivité. Pas facile, en effet, de surprendre quand on dit que tout a été fait. Alors peut-être reste-t-il comme solution de créer des règles pour échapper au nivellement général et obtenir un résultat neuf et aléatoire. Savant mélange de contraintes et de hasard.
69 Love Songs, sorti en 2000, est sa grosse oeuvre, l'album de référence cité par les fans. Il n'est pas absolument intouchable, ce n'est pas Pet Sounds ni le White Album, mais la volubilité du projet impressionne. Stephen Merritt s'est entouré de quelques musiciens mais reste néanmoins le maître à bord, il est l'homme orchestre, le touche-à-tout qu'on retrouve aussi bien à la guitare qu'aux claviers, au violon, au xylophone, aux cymbales, au triangle et autres fanfreluches. Même s'il a un groupe, il s'occtroie à juste titre la part du lion dans l'estime publique. Pour certains, c'est un petit maître de la pop music.
Soyons honnêtes: il est plein d'idées, souvent bonnes, mais il a une manière de chanter toujours la même, sans grande réussite mélodique. C'est que Stephen Merrit est à part égale un créateur de mélodies instrumentales et un parolier. La musique prenant beaucoup de place, le sympathique Léonard de Vinci n'arrive pas vraiment à lui imprimer une autre ligne mélodique. Cela n'empêche pas qu'occasionnellement il crée des chansons sublimes, comme All My Little Words. Le reste du temps, c'est vrai, on a surtout affaire à un bricoleur ingénieux et souvent surprenant. La curiosité de l'auditeur est pour beaucoup dans l'affaire.

69 LOVE SONGS
The Magnetic Fields
Domino, 2000

mardi 15 décembre 2009

Jack the Ripper


Cette rétrospective ne suit pas d'ordre défini. Il ne s'agit pour moi que d'écrire un billet sur chacun des albums qui m'ont marqué pendant cette décennie, sans classement, sans ordre de préférence ni échelle d'importance. Je ne sais pas exactement où se situe Jack the Ripper dans ma hiérarchie intime mais ce qui est certain, c'est que de tous les groupes français, il est le seul à avoir atteint dans mon estime un palier d'ordinaire réservé à des groupes étrangers.

Bien sûr, on peut dire que Jack the Ripper est anglophile. Le nom du projet comme la langue choisie par le chanteur ne trompent pas sur les influences du groupe. Mais il faut pourtant préciser, sans chauvinisme aucun, que Jack the Ripper est plus profondément français que bien des chanteurs rabelaisiens. L'esprit de notre pays transparait en effet partout où les arrangements prennent de l'ampleur. Avec leur parure de goguette, les morceaux de Jack the Ripper nous ouvrent les portes d'un cabaret satiné et chatoyant, peut-être plus parisien encore que londonien. On se croirait en fait en pleine période impressionniste.
Invitant piano, mandoline, trompettes, trombone et violons, selon le modèle du collectif plutôt que suivant la formation restreinte du groupe, Jack the Ripper flirte avec cette approche diversifiée qui singularise aussi le Canada. Du coup, c'est à la fois un disque de musiciens mais aussi la preuve éclatante qu'on peut chanter anglais sans trahir ses origines, tandis que d'autres s'évertuent à singer en français, tant bien que mal, des rock'n'roll anglophones inadaptés.

Il reste néanmoins une influence anglaise prédominante dans des morceaux comme Goin' Down: celle, fascinante, du Careful With That Axe Eugene de Pink Floyd, que le chanteur a l'air d'apprécier tout particulièrement. Quiconque a vu la performance du groupe à Pompéï, sur fond d'irruption volcanique, sait que Careful était à l'origine destiné à effrayer le public - qui rigole peut-être un peu, aujourd'hui, avec le recul. Goin' Down fera sourire lui aussi: le chanteur y prend la voix de Golum et navigue sans phare entre premier et second degré. Un coup on se moque gentiment, l'autre on profite de la vertu libératrice du rock, cet exutoire des passions primaires. Entre le délire et la catharsis, Goin' Down réussit le double-jeu.

Il y a quelques années, le groupe avait laissé un long message de présentation sur son myspace, avec une explication de leur concept. S'appeler Jack the Ripper, non en hommage au classique du blues, mais en référence au meurtrier de Whitechapel, c'était plutôt énigmatique. Le propos du groupe était bel et bien tortueux et torturé, mais on comprenait leur volonté de sonder la psyché des hommes, l'intérêt qu'ils prenaient à la difficile maîtrise des passions, entre leur expression sordide et le refoulé qui en fait des bombes à retardement. Il y avait cette inquiétude autour de la folie et, en même temps, ce désir - finalement très politique, très humaniste - de la canaliser par la création.
Il paraît que la peur de devenir fou est l'angoisse prépondérante des êtres humains, selon un sondage dont je n'ai plus les sources. C'est étrange, quand on observe tous les jours des dangers plus imminents. Mais la folie est la conséquence d'une lutte insoutenable: ce qu'elle interroge avant tout c'est notre faiblesse, le point limite où le contrôle que nous gardons sur nos actions et notre vision du monde vacille. Peut-être est-ce cela, surtout, qui fait peur aux gens à travers la folie: la mise à l'épreuve par les aléas de la vie de leur capacité de résistance, la crainte d'être rivé à une impuissance.

Qu'on ait compris ou pas la visée de Jack the Ripper, il reste cet excellent disque, une coudée au-dessus de Yann Tiersen, qui est devenu trop prévisible. En attendant la suite, s'il y a lieu, on pourra faire une incursion dans l'univers des Fitzcarraldo Sessions. Mais c'est une autre histoire, toute récente.

LADIES FIRST
Jack the Ripper
Le Village Vert, 2005

Blueberry Boat


On continue la rétrospective des années 2000 avec un groupe tordu qu'on ne soucie ni d'aimer ni de détester. C'est un groupe qui existe, comme une pierre sur un chemin, et puis c'est tout. Même si cette pierre a une forme étrange et une couleur irrisée, même si elle ne ressemble pas aux autres cailloux et graviers qui pavent l'allée, on la laisse à sa place sans y toucher. De temps en temps, on y jette un oeil, parce qu'on se demande ce qu'elle va devenir, si par hasard elle ne va pas s'élever dans les airs et rejoindre le vaisseau spatial venu la ramener sur Mars. Les Fiery Furnaces, à bien des égards, sont à compter au nombre des quelques aberrations sonores ayant vu le jour dans cette décennie. Je ne parle pas de Coldplay, des Minus 5 ou de Black Eyed Peas. Ces choses sont banales, sans envergure et parfaitement inoffensives, leur existence ne se justifie pas puisque le public s'amasse tout autour comme un banc de moules. Mais les Fiery Furnaces, il faudrait qu'ils s'expliquent. Peu de gens écoutent, peu comprennent et beaucoup se demandent s'il y a quelque chose à comprendre dans ces morceaux à tiroirs qui n'en finissent plus de se décomposer. C'est l'art de la poupée russe: on l'ouvre et il y en a encore une dedans. ça n'en finit pas. On croit devenir fou. C'est peut-être pour ça que certains toqués, comme moi, écoutent ce groupe avec la même curiosité obsessionnelle. Je ne peux pas dire que c'est "typiquement le genre de groupe qui fait ceci ou cela", puisque, précisément, ils sont atypiques.
Je n'ai chez moi que deux albums, Blueberry Boat, celui sur lequel je vais concentrer mon attention, et Bitter Tea, une coquille creuse, le vide enluminé par des bruitages dignes d'un plateau télé ("Incroyable Gérard! Il a gagné une télé à écran plasma, etc"). Le fait qu'il comporte leur plus beau morceau, le très nostalgique Pearl Harbour Blue ne m'empêchera pas de le revendre. Je ne me suis pas farci le disque avec mère-grand, il ne faut pas exagérer non plus. En revanche, leur dernier album semble à première vue renouer avec l'efficacité pop, ce dont je ne leur ferai pas un tort. En fait, le dernier disque des Fiery Furnaces, ce pourrait être l'équivalent de l'art contemporain lorsque celui-ci atteint son classicisme, c'est-à-dire lorsqu'il a trouvé une forme stable et identifiable. A force d'huile de coudes, les Fiery Furnaces commencent peut-être bien à réussir, à trouver leur maturité. En attendant, Bluberry Boat tatonnait, empruntant des routes à droite et à gauche, mais ne mettant jamais, au grand jamais, un pas devant l'autre. Le sommet de ce disque pour lequel le mot foutraque a sans doute été inventé reste Chief Inspector Blancheflower, qui se conclut brusquement sur un solo de guitare tétanisant, pas loin de Crazy Horse. C'est complètement incongru, au vu des minutes qui précèdent. Mais les Fiery Furnaces sont comme ça: ils ont beaucoup d'idées, beaucoup de paragraphes, mais jamais de transition. Trop fatigant sans doute d'être pédagogue, quand on a une pensée en forme d'escalier et qu'on peut sauter d'un plan à l'autre sans liant. Alors, ils balancent tout, peut-être au hasard, peut-être avec un talent incompris. Ils sont frères et soeur et on dit que les frères et soeurs ont leur propre langage. Ce n'est pas le plus universel. Mais on les suit quand même - de loin.

A écouter: Chris Michaels, Paw Paw Tree, Mason City, Chief Inspector Blancheflower, Birdie Brain

BLUEBERRY BOAT
The Fiery Furnaces
Rough Trade, 2004

lundi 14 décembre 2009

120 Days


A l'heure des bilans de fin de décennie qui vont être bourrés de groupes de rock, mais aussi, sur d'autres blogs, de groupes de hip-hop, il n'est pas inutile de revenir sur un accident de parcours. Il y a des ovni bizarres, qui deviennent cultes à force de renverser le jugement commun - le truc préféré des amateurs de la contradiction gratuite - mais aussi des ovni banaux, un peu comme ces photos de sphères lumineuses qui n'étonnent même plus parce que le trucage est grossier. 120 Days est de cette espèce, c'est un disque d'allure commune, non parce que les morceaux ressemblent à du déjà-vu (ce qui est tout de même le cas) mais parce que la production vaguement électronique de l'album est assez clinquante, comme du Kraftwerk grand public. Ils nous viennent de Norvège et sonnent froid comme le pays doit l'être en ce moment même.
Quant aux compos, elles sont assez ambigues... Endoctriné par le retour du rock et l'idéologie punk régnant chez l'intelligentsia du rock (c'est-à-dire le contraire de l'intelligence réel, des jugements lapidaires, un culte naïf de l'authenticité, un vitalisme basique et un positionnement par principe contre la musique de masse), j'ai descendu l'album après l'avoir initialement aimé, il y a de cela plusieurs années. C'est l'une des rares fois où je suis obligé de concéder l'influence contre-productive et aliénante de l'opinion publique sur la mienne. La production est parfois si clinquante que j'ai pris honte. C'est un peu la faute aux musiciens aussi. Ils ont, dans le fond, de vraies bonnes chansons, mais se sont donnés une image de minet ridicule, qui ne colle pas du tout avec la voix du chanteur, capable d'une belle raucité sur Get Away et souvent proche de The Cure. Leur crédo, c'est plus ou moins de faire sonner Spacemen 3 comme U2, avec des éléments de Kraftwerk. C'est vraiment bon, à deux reprises ça atteint même des sommets: Get away donc, que je vous propose d'écouter - parce que vraiment c'est une de ces pépites inconnues dont les bloggeurs raffolent tant - et Come out, come down, fade out, be gone. Le dernier morceau, long de huit minutes, a un final très prenant aussi (I've lost my vision).
Il y a un fossé entre l'image et la musique. C'est un fait rare. Ce disque est passé par la lessiveuse, les musiciens sentent le savon, mais malgré tout c'est un disque de rock. Quant à l'emballage du produit, personnellement il ne me gêne plus - si tant qu'il m'ait un jour gêné autrement que par préjugés.

S/t
120 DAYS
Smalltown Supersound, 2007

http://beemp3.com/download.php?file=448720&song=Get+Away

dimanche 13 décembre 2009

Des chansons en or (6)


On peut avoir plein de bonnes raisons de ne pas aimer celui que la tendresse populaire désigne sous le nom de Boss - un sobriquet que je trouve plus amical encore que révérencieux. En plus, c'est assez fréquent chez les internautes, pour qui sa musique évoque le doux métier de camionneur et les stations fm. Le Boss, c'est une certaine Amérique, une vision de la démocratie, parfois clinquante et un poil populiste dans son apparence, mais finalement assez sympathique. Il est un peu le Victor Hugo du rock. Un poids lourd qui écrase les scrupules des esthètes, un Pantagruel de la compassion qui charrie avec lui, dans son envergure formidable, beaucoup de mauvais goût, mais aussi quelqu'un qui, au détour d'un refrain, peut vous toucher droit au cœur.
Las des grosses guitares, il a enregistré Nebraska comme s'il avait pratiqué l'ascèse. C'est tout le problème des gros coffres : quand ces forces de la nature sont passées par un extrême, elles en viennent brutalement à l'autre. Pour l'auditeur, c'est comme faire une cure sans avoir été malade. Verdict: un peu trop frugal pour ne pas être légèrement ennuyeux. Mais si je ne suis pas fan de Nebraska, c'est aussi, pour ceux qui ont pris l'habitude de me lire, que je n'ai pas traduit toutes les paroles. C'est vrai, j'ai eu la flemme. Or Nebraska est la fresque de l'Amérique des perdants (mention "anglais obligatoire") et s'écoute comme une histoire, celle de l'envers du décors, celle qui défait les clichés de l'american dream.
Pour Atlantic City, j'ai fait exception, parce que dès le départ la musique m'a enthousiasmé. Elle est un peu plus up-tempo que le reste de l'album et aussi un peu moins dylanienne. Je dirais même que sur cet album folk, Atlantic City est presque un morceau pop, dont le refrain s'incruste facilement dans l'esprit: "everything dies, baby, that's a fact". C'est le morceau idéal pour découvrir Bruce Springsteen, bien plus que Born in the USA ou Streets of Philadelphia.

lundi 7 décembre 2009

GIRLS


Je m'aperçois qu'un mois s'est presque écoulé depuis le dernier post. Ce n'est pas que la matière manque. Prenons l'album des Girls. Je veux en parler depuis des semaines. Je pourrais tartiner cent lignes là-dessus. Mais toutes futiles, à coté du sujet ou redondantes. Quand on aime trop un disque, on se contente d'une exclamation. Ce post est donc une exclamation un peu longue, n'ayant pas trop en vue de parler musique.
En effet, l'écoute risque d'être tellement biaisée par les médias qu'il est peut-être judicieux de ne plus en rajouter. Ayant eu la chance de l'écouter sans passer par trop d'intermédiaires, j'ai pu me concentrer sur l'expérience musicale, sans l'associer à cette image de jeunes cancres obsédés par le sexe ni à aux louanges des distributeurs d'opinion. Depuis, l'engouement médiatique (quasi unanime: Pitchfork, Magic, R'n'F, the Guardians...) a entraîné son lot de positionnements contradictoires. Tout ce qui est unanimement médiatisé - encore plus dans un milieu indé qu'on suspecte fortement d'avoir ses petits codes trompeurs, ses propres miroirs aux alouettes - déchaîne les suspicions.
Or, il faut remettre les choses à plat: pour arriver à cet engouement, un groupe ne peut pas se contenter d'une notice d'attaché de presse ou d'un coup de pouce. La plupart des groupes qui sont parvenus à attirer l'attention le doivent à une certaine qualité, même si cette qualité peut n'être que la convenance à la mode. Kings Of Leon, Strokes, Killers, Franz Ferdinand... Je n'aime pas vraiment la moitié d'entre eux, mais ce n'est pas nul non plus. Girls est là, pas loin du sommet de la pyramide indé, et il y est parce qu'il le mérite. Il n'y a pas longtemps, j'écrivais de Joe Henry: "il a l'air crédible parce qu'il l'est". Pareil pour Girls. C'est le groupe qui est susceptible de donner envie de faire de la musique à un jeune de 18 ans. On a pris une guitare parce qu'on a écouté - quoi? Nirvana, les Smashing Pumpkins (références pour Girls)? Oasis? Eh bien, Girls se pose là. Et tout de suite. Avec un album pas parfait du tout, mais super. La perfection est une chose, genre œuvre de salon, l'apanage de Joe Henry par exemple; le disque super en est une autre. C'est ce genre d'album qu'on adopte dès la première écoute, sans même se poser la question à un moment ou à un autre de savoir si c'est vraiment bon, si ce n'est pas, somme toute, la décalque de quelque chose de plus ancien. C'est à l'usure, parce qu'on a éprouvé des sensations indélébiles mais aussi parce que l'accoutumance l'a rendu indispensable, que l'album acquiert sa valeur affective ET esthétique (l'album devient un objet esthétique après coup). Il serait donc trop tôt, si on me suit, pour vanter Girls. J'aurais pu attendre encore un an ou deux avant de laisser une chronique. Mais finir l'année sans avoir mentionné l'existence de ce disque ç'aurait été chicaner sur des détails sans évoquer les grandes lignes!

Pourquoi? Parce que c'est une cohabitation réussie entre l'amateurisme du chant et le professionnalisme d'une mise en son lo-fi par faute de moyens, mais talentueuse par son savoir-faire. Parce que c'est le printemps éternel, une vision musicale du bonheur (moyennant des paroles tristes), un rêve californien et adolescent, avec mélodies, harmonies vocales et rythmes entraînants (Lust for Life, Laura, God Damned). Parce que c'est un rappel des sensations originelles du rock indé, celles qu'on a éprouvées une première fois en écoutant les groupes marquants des nineties (notamment la noise de Morning Light ou le mur du son qui conclut Hellhole Ratrace). Surtout, parce que ce disque est ambigu, comme les meilleurs, louvoyant sans cesse entre le jour et la nuit, la joyeuse pop estivale nuancée par des paroles crues (Laura), le rock vite envoyé (Big Bad Mean Motherfucker) et la tristesse d'une complainte (Lauren Marie). C'est vraiment très bon et, tout jeunisme à part, on se demande si on n'aurait pas dû avoir 18 ans à sa sortie. En tout cas, une fois qu'on l'a, on n'a plus besoin de disques avant longtemps. Et ça, c'est très rare.