La chanson de la semaine

jeudi 28 avril 2011

Tombé du ciel

Je viens tout juste de découvrir ça. A l'instant même, l'ep gratuit de Guards est en train de dérouler ses ondes enveloppantes. J'ignorais tout de Richie James Follin jusqu'à ce que je découvre à la fois son existence, celle de cet ep flamboyant et son activité au sein du groupe the Willowz, formé en 2002. C'est bien tout ce que je peux en dire. D'ailleurs, The Willowz, c'est quoi? Le nom me dit quelque chose, vague reflux d'une époque de rock vintage où les Zutons se mêlent dans mon esprit à Electric Soft Parade ou autres Datsuns. Zone de flou, marge indécidable du rock mineur où doivent planer les ombres de groupes qu'on ne fréquente guère que de loin en loin.

En une écoute, donc, me voilà emballé, porté, rehaussé. C'est bien. Car je tombais bas, ami lecteur - j'en veux pour preuve que je ne chronique quasiment plus, que la guitare me reste entre les mains, encombrante, inutile, égrenant les mêmes trois accords insupportables, que le monticule autrefois monumental et jamais définitif des albums adorés se réduit à une peau de chagrin. Mais le disque des Kills, celui d'Alexander, quelques morceaux de Tv On The Radio, l'imparable All Die Young des Smith Westerns, la redécouverte de Death In Vegas et Mazzy Star, enfin cet ep magistral, me redonnent du cœur. Ces accès de lyrisme fiévreux on peut bien sûr les critiquer, une fois advenu l'âge de raison, mais il n'en reste pas moins qu'ils sont indispensables à mon économie interne. Sans eux, pschittt... Cette impression d'échappée, de fuite vers l'avant, je ne l'avais ressentie qu'avec certaines chansons du Gun Club et je la retrouve maintenant à l'identique dans Guards.

dimanche 24 avril 2011

Nine Types Of Lights

Hier, en écoutant Caffeinated consciousness, j'ai failli écrire que sur chaque album de Tv On The Radio il y a un morceau qui tue. Puis je me suis rappelé la mort de Gerard Smith et cela m'a dissuadé. Je parlerai plutôt d'un morceau qui retourne votre maison, qui fait sauter les fusibles, danser les fréquences, qui fait sortir l'image de votre radio et met le monde sans dessus dessous. La comparaison, tout compte fait, n'en sera que plus juste.

Faire sortir l'image de la radio. Si je réfléchis au sens d'une vieille interview que donnait le groupe, je crois comprendre la raison pour laquelle il s'est ainsi baptisé Tv On The Radio. Il s'agit une métaphore pour exprimer à propos de la musique son pouvoir d'évocation et de création d'images, comme si la télévision défilait sous vos yeux alors que vous les tenez fermés. Mais je pense aussi que, comme toute métaphore, elle a quelque chose d'étrange et de stupéfiant: à la manière d'un collage elle fait entrer en collision deux réalités différentes et les maintient dans son orbite. Il se trouve que leurs chansons suscitent la même réaction: depuis les débuts du groupe, elles ne laissent pas de sidérer (même si, il faut bien l'avouer, elles ne plaisent pas à tous ni toujours). Du coup, ce nom apparu à l'époque où les noms à rallonge étaient en vogue, comme I Love You But I've Chosen Darkness ou Clap Your Hands Say Yeah!, me semble plus pertinent et moins pompeux que beaucoup d'autres. Il dit exactement ce qu'est la musique kaléidoscopique de Nine Types Of Lights.

La pochette du nouvel album n'est peut-être pas très belle, mais elle aussi est à l'image de leur musique: des éclats de verre coupants, des formes brisées au tranchant acéré. A première écoute, une chanson de Tv On The Radio surprend toujours par sa mise en place rythmique, son coté anguleux et haché. Caffeinated Consciousness, dont vous avez sans doute compris qu'il était le sommet de l'album, prend de cours l'auditeur parce que le riff de guitare - au passage, pour me fendre d'une expression journalistique, le riff le plus massif depuis Reuters de Wire - arrive en décalage et brise le morceau à coups de pilons électriques. Mais l'album regorge de ces moments inattendus.

Considérant cette étrangeté, je me demande qui est le Brian Eno du groupe. Car il y a un peu de lui dans ces constructions musicales anguleuses, ces ambiances fraîches, cette douceur de rosée humide sur Krane Killer. Tv On The Radio est aussi créatif que peut l'être Another Green World.
Certains trouvent pourtant que leur nouvel album rentre dans les rangs. C'est faire trop de crédit aux impressions laissées par un premier effort audacieux mais imparfait, comme peut l'être toute tentative d'esquisser un geste nouveau. Avec leur dernier album, ils touchent au but. Quel intérêt y aurait-il à toujours innover si c'est pour ne jamais exploiter l'innovation? Le but d'une nouveauté n'est-elle pas d'atteindre sa perfection, de se muer doucement mais surement en nouveau classicisme?
Quand j'écoute la mal nommée Second Song, idéalement placée en ouverture d'album, je me rends compte que Tv On The Radio n'est pas loin de réussir cette gageure. L'intelligence du choix du premier morceau en est toujours un signe.

PS: pour une chronique exhaustive qui tienne compte de tous les aspects du disque, il faudrait également dire un mot du film. J'avoue ne pas éprouver le moindre intérêt pour ces choses-là. Le principe a déjà été mis en œuvre par Archie Bronson Outfit et Beach House l'an passé, avec un succès limité, pour rester poli.

samedi 23 avril 2011

Blood Pressures

Un nouvel album des Kills est nécessairement un bréviaire de la mode et de la pose, une forme de statuaire moderne en même temps qu'un affront à la modestie. VV a toujours pris des allures de femme panthère, avec sa belle chevelure noire ardente et sa voix féline, tandis qu'Hôtel tend à devenir, de plus en plus et sans doute sous l'influence de Kate Moss, un dandy savamment débraillé et ténébreux. Si je me fiais à mon instinct d'austérité et de simplicité, je détournerais le regard devant cette expression, même élégante, de la vanité. Et pourtant, en ces temps de vache maigre, aucun morceau n'a pu me faire l'effet ravageur et roboratif de Future Starts Slow. De nouveau, pendant quelques minutes, une excitation primaire bouillonne en moi, toute contenue. L'objectif d'Hotel est atteint: garder un rythme de métronome qui maintient les sens en alerte sans les contenter, qui ne laisse jamais repu mais toujours en éveil. Pris au dépourvu, je reste fasciné, au sens littéral du terme, comme sous le joug d'un pouvoir supérieur. Les meilleurs œuvres exercent sur nous une sorte de tyrannie, c'est quelque chose que j'ai appris d'un excellent écrivain contemporain et dont on peut faire les frais chaque jour. Au moment où ce sentiment, fugace, disparaît, je m'aperçois de tout ce que les Kills peuvent avoir d'agaçant: la filiation rêvée de Hotel à une certaine anglophilie, snob et décadente, la séduction ostentatoire de VV, objet de convoitise et créature désireuse, cette tension sexuelle voulue qui se fond dans le rabâchage ambiant et monotone du désir dans les médias... Cela n'est pas à mon goût, en principe. Mais les principes et les goûts... A la réflexion, si les Kills me plaisent tant, c'est peut-être en dépit de tout cela, malgré la hype que leur prestance semble attirer et réclamer comme un droit naturel, parce qu'il y a, derrière l'image de mode dont la presse féminine raffole, une deuxième image, plus dure, plus persistante, celle d'une virilité, d'une force brute, écrasante comme le son des guitares (rouleau compresseur, mon style préféré), l'expression d'un instinct insoumis et primaire, d'une violence sourde. L'imagerie rock, chez eux, se substitue inutilement à ce qu'il y a d'inné, de viscéral dans leur approche du son. J'irais jusqu'à dire qu'à force d'afficher l'image de la tension, on en vient à croire qu'elle est surfaite, alors que non, elle est bien là, authentique, oppressive, martiale.
Et puis, je ne le cacherai pas, j'aime ce groupe pour ce qu'il a de typiquement américain. Hotel a beau se se la jouer dandy anglais (Bryan Ferry? Ray Davis? Pete Doherty?), il ressemble plutôt à Johnny Cash ou à Elvis Presley, sans compter un petit air de gangster hérité du cowboy des films de John Ford (un lien de parenté imaginaire avec le doc' Holliday de La Poursuite Infernale).

Pour mieux sentir tout ça, voici une vidéo éloquente, filmée pour la BBC.