La chanson de la semaine

jeudi 29 octobre 2009

The end of the decade... SONDAGE!


La dernière fois que j'ai proposé un sondage sur ce blog, cela s'est conclu par un échec. Pour ce qui est du nombre de votants, pas de problèmes. Même si ce n'était pas la pagaille, j'en ai dénombré à peu près 35, voire 40. Ce n'est pas le vote de la levée du blocage en AG étudiante, mais ça se défend. Par contre, j'avais omis beaucoup de groupes/artistes importants. Il faut dire que j'avais vu large: ratisser toute l'Amérique des sixties à nos jours. Alors forcément on en oublie.
Mais le problème vient surtout d'un moment de distraction: j'ai effacé les résultats de ma page en pensant sans doute les retrouver ailleurs, toujours est-il que j'ai tout perdu.
Je serai plus sérieux cette fois-ci. Mais là encore, je me propose un objectif démesuré: mettre en concurrence tous les artistes marquants de la décennie! Malgré ma bonne volonté, je ne peux qu'en oublier. Aussi je vais lancer une alternative: pour ceux qui trouvent leurs artistes favoris dans la liste ou qui aiment la visibilité immédiate des sondages, rdv en bas de page (très bientôt). Pour les autres, ceux que le clavier démange, je les laisse déposer leurs coups de cœur en commentaire. N'hésitez pas à vous étaler. C'est avec plaisir que les messages seront lus et laissés à la vue des visiteurs. Pour moi, je me réserve le temps de réfléchir.

lundi 26 octobre 2009

des chansons en or (5)


Il fallait bien que ça tombe sur eux tantôt. Après avoir posté mon billet sur Spacemen 3, ni une ni deux, je me suis plongé dans l'œuvre de Jason Pierce. On peut employer le mot "œuvre" car c'est, de toute évidence, le fruit d'un long travail de studio, d'une gestation obsessionnelle et interminable qui devait idéalement mener au Graal psychédélique. Nul doute que Spaceman soit aussi hypnotisé que son public par le matériau sonore qu'il a travaillé et retravaillé à l'extrême pendant toute sa carrière. Patiemment, il a tissé sa toile autour du même thème qui pourrait se résumer ainsi: "I want to take the pain away".
Sa musique y parvient à merveille. Plus conceptuelle que spontanée, elle tient dans un assemblage de sons et d'instruments, stratifiés au maximum pour rendre une impression puissante et compacte de densité. Anyway That You Want Me est à ce titre une pièce d'architecture, alambiquée et titanesque. Le refrain prend l'auditeur au dépourvu. On croyait écouter de la musique planante et on se retrouve au résultat avec un hymne pop comme les Stone Roses en faisaient à la même époque, pédale wah-wah à l'appui. Mais c'est la fin du morceau, dans la version album, qui estomaque définitivement le fan de musique psyché. Anyway That You Want Me se conclut en effet par une mosaïque sonore chatoyante, où l'oreille s'amuse à entendre danser tous les instruments. Le fiddle qui valse d'un côté, la pédale wah-wah qui pointe, comme une fouine, de l'autre. Cela dure deux minutes et c'est encore trop peu. Le doigt reste à mi-distance de la touche repeat, prêt à repasser les quelques secondes dont on n'a pas assez profité. Alors que des progressifs essayaient de mêler l'orchestre au rock, Jason Pierce a réussi à créer sa propre symphonie sans recours aux méthodes classiques, avec des moyens uniquement modernes. Certains diront que le Velvet Underground faisait plus ou moins la même chose lorsque John Cale délirait sur les fins de morceaux, comme European Son. Mais non, chez Jason Pierce tout est bien ordonné. On imagine plutôt un monstre du studio, un peu à l'image de Brian Wilson ou du leader de My Bloody Valentine. Un type qui a dosé chaque son, qui a assemblé lui-même un puzzle de 1500 pièces, sans rien laisser au hasard, mais tout en donnant l'impression que les instruments jouent pour eux même, en roue libre. Magistral!

ANYWAY THAT YOU WANT ME, 1990
Spiritualized, in Complete Works vol.1, 2003

samedi 24 octobre 2009

Beach House, les vagues sont tristes


Trois disques résument idéalement la vie d'un garçon de plage: Pet Sounds des Beach Boys, pour l'après-midi, The Wolfking of LA, de John Phillips, pour le coucher du soleil, et enfin, Devotion, de Beach House, lorsque la nuit est tombée. Le premier rayonne de l'enjouement des plaisanciers, le second accompagne le marcheur solitaire le long de la plage, au crépuscule, le troisième achève de le plonger dans la nuit. Devotion est comme un rêve habité par l'absence d'un être cher, ou encore un visage incertain de son émotion, figé entre le sourire et la tristesse. C'est un disque parfois douloureux à l'écoute - mais aussi l'un des plus beaux, ce qui arrive parfois de paire.

Je ne sais pas exactement ce qui incite à découvrir Beach House, au-delà d'une écoute timide et décevante sur youtube. Le bouche à oreille y est pour quelque chose, mais peut-être aussi les chansons font-elles insidieusement leur effet, tranquille et durable, pas assez pour emballer du premier coup, mais suffisamment pour tenter d'y revenir, avec la même curiosité insatisfaite. Le bien qu'en pensent les gens de Mgmt m'a, au passage, définitivement résolu. On peut jaser sur l'innovante vulgarité de leur concept, mais leurs influences, quant à elles, sont non seulement propres mais rares. Citer Let It Flow (Spiritualized) comme chanson préférée, c'est me tendre la main. J'ai donc décidé d'écouter en entier, pour de vrai, un album de Beach House. Je l'ai même acheté.

Tout d'abord, je peux confirmer que les premières impressions n'ont rien de renversant. Mais Devotion n'est pas un disque à écouter nécessairement d'une oreille attentive. Il appartient à cette catégorie précieuse des albums qui vous prennent par surprise et changent votre vie sans fracas. Vous ne saviez pas pourquoi vous l'achetiez, vous ne saviez pas pourquoi, exactement, vous vouliez en savoir plus sur ses créateurs. Et pourtant, il est dans votre tourne-disque et il vous enchante. Vous prenez conscience, au fil des morceaux, de sentir quelque chose se creuser en vous, une résistance fondre. C'est un sentiment que vous n'aviez pas éprouvé depuis longtemps, peut-être depuis l'adolescence: celui d'une tristesse non motivée, totalement décalée par rapport aux choses concrètes qui vous entourent. Le monde vient de passer dans un trou d'air...

Ces bizarres sélénites ont l'art de créer des mélodies étranges, lunaires et floutées, qui recèlent pourtant en leur fond un je-ne-sais-quoi de joyeux, comme une rumeur lointaine de Beach Boys voguant sur l'horizon. Si enfant, vous vous amusiez à porter les coquillages à votre oreille pour y entendre la mer, Beach House est à coup sûr le havre de paix où vous souhaiterez bientôt vous reposer.
Victoria Legrand et Alex Scaly sont sans doute des gens bizarres, un peu tristes et en même temps facétieux. On pense à des artisans discrets qui propagent un savoir-faire inédit, hors-temps et indifférent au reste du monde. C'est un peu comme si deux dresseurs de marionnettes, doux dingues itinérants, nous conviaient à leur ballet nocturne, plein de curiosités, de vaguelettes mélodiques qui vous lèchent gentiment les pieds en passant, de valses tristes et bleutées. Ou encore deux souffleurs de verre aguerris, occupés à la fabrication d'une bulle parfaitement ronde et miroitante. Vous les observez faire, bluffés, avec le sentiment fugace que ce n'est pas plus vain qu'écrire un chef d'oeuvre.
Complètement abandonné à son charme, l'auditeur repasse en boucle ce bouquet de chansons pourtant trop uni. Il n'y a pas variété de couleurs, mais une teinte si nuancée qu'elle offre au regard mille effets moirés, mille miroitements insaisissables. La seule chose qui doit vous mettre en garde contre ce disque, c'est l'impression douloureusement triste qu'il laisse parfois sur l'esprit. Influençable ou pas, on ne garde pas intactes nos humeurs quand on écoute un disque aussi impressif.

DEVOTION
Beach House
Bella Union, 2008

lundi 12 octobre 2009

Yonder is the clock

A dire vrai, j'écris ce billet surtout pour vous faire profiter de cette belle affiche des Felice Brothers, le genre d'affiche qu'un fan se devrait d'épingler au mur et qui habillerait élégamment les cloisons un peu tristes de ma pièce, si j'avais de quoi l'imprimer en grand format. J'en profite aussi pour vous parler de leur dernier album, qui est sorti depuis un moment déjà: Yonder is the clock. Titre extrait d'un roman de Mark Twain, selon mes sources, ce que vous vous empresserez de vérifier si vous êtes familier de leur univers culturel. Pour ce qui me concerne, je garde de Mark Twain un souvenir plutôt mitigé (mais le collège est loin...) tandis que le disque des Felice Brothers, sans être parfait, tient bien sa place dans mon estime.
Ce groupe, dont j'ai déjà parlé (voir Frankie's Gun) est, à en croire les commentaires et les vidéos laissées sur youtube, une bête de scène. Chose qui ne se vérifie évidemment pas sur disque, sans compter que beaucoup de titres ici présents sont calmes comme un jour d'hiver - ceci en dépit du fait que la voix (de canard = Bob Dylan) est plutôt chaleureuse, tout comme l'instrumentation folk-rock du groupe. Deux chansons se distinguent nettement du lot par leur entrain et leur prodigalité: Memphis Flu et, surtout, l'imparrable Run Chicken Run, LE moment fort du disque, avec l'intro à l'accordéon, si typique du groupe. La vidéo, capturée live, vaut le pesant d'or. Observez notamment le violoniste, Greg Farley.
L'un des frères Felice, Simone, vient de sortir un disque avec un autre groupe: the Duke and the King (Nothing Gold Can Stay). Suivez le lien, ça a l'air bien aussi. Hélas, jetez un oeil sur les dates de concert... Pourquoi l'Allemagne et pas nous?

YONDER IS THE CLOCK
The Felice Brothers,
Team Love, 2009

samedi 10 octobre 2009

C'était donc vrai?


Aujourd'hui, j'ai vu une chose que je n'avais encore jamais vue. Dans les rayons d'un grand magasin multimédia, je suis tombé nez à nez avec un disque de Spacemen 3. Improbable...

ça existe donc vraiment? Ce n'était pas une légende? Mazette! J'aurais peut-être dû sauter sur l'occasion. Mais j'étais trop impressionné pour l'acheter comme un vulgaire objet de consommation. Un choix pareil, ça se médite.
Le hasard veut aussi que je parte en Angleterre la semaine prochaine. Puisque j'en ai trouvé un exemplaire en France, n'ai-je pas une petite chance d'en dénicher un dans son pays d'origine?

Spacemen 3 est un groupe culte. Vraiment culte, c'est-à-dire méconnu et jamais classé dans les rayonnages. Mais Jason "Spaceman" Pierce, après s'en être échappé, a fondé Spiritualized, dans le même genre d'ailleurs, mais plus éclaté, plus éclectique, qui a trouvé une plus large audience. Souvenez-vous, Ladies and Gentlemen we are floating in space, 1997, meilleur album de l'année selon le magazine Q (devant Ok Computer!) et petit succès public. C'était lui, c'était Spacemen 3 rénové, avec un mix de blues, de gospel, de musique planante, de rock noise, etc. Depuis, ce n'est plus tellement ça. Le dernier album, sorti l'an passé, n'a pas fait couler beaucoup d'encre. Mais dans le même temps, on nous parle toujours d'un revival noise (qui leur doit peut-être à eux aussi, et pas seulement à My Bloody Valentine, non?) et par ailleurs la musique psyché est très tenace aux USA (Black Angels, Mgmt) Donc, pas de raison de bouder Spacemen 3. Si les compteurs sont bons, c'est même le moment idéal pour exhiber cette légende underground.

L'album que j'ai eu entre les mains (the perfect prescription) pendant quelques minutes ressemblaient à une réédition (la pochette en carton ne ment pas). On va donc avoir, peut-être, plein de petits nouveaux dans la discothèque d'ici peu de temps. Wait and see...




Pour ceux qui ne connaissent pas, ce n'est pas Jason Pierce qui chante sur ce morceau mais, selon toute vraissemblance, Sonic Boom, le deuxième membre à s'être affublé d'un drôle de pseudo.

mercredi 7 octobre 2009

Qu'est-ce qui fait que je ne suis pas anglais?


L'anglophilie. Une maladie française, pandémique. Je précise que la promotion quasi exclusive de la musique américaine sur ce blog est également une pathologie, relativement handicapante quand on vit à quelques brassées de l'île des Beatles, mais à une trop grande distance du continent dit "instinctivement réactionnaire". Notez, il y a une scène folk à Lille. Les choses vont bon train. Moi qui croyais qu'ici il n'y avait que des métalleux (proximité de la frontière belge oblige) et des ska-punk bien encombré de leurs heineken... Ici, c'est l'Angleterre des Flandres. Paysage gris, industriel. Et après on s'étonne de l'influence de la musique anglaise. Il n'y a pas que la distance qui fait.

Je m'étais un peu énervé récemment, dans un article. Substantiellement, je disais que la personne qui écrit ce billet n'a pas beaucoup de sympathie pour le rock anglais en général et encore moins pour le mélange ska et rock qui a déferlé dans le pays circa 80.
"Heureux ceux qui vivent dans des zones épargnées où, selon toute vraisemblance, on ne rencontre pas à chaque coin de rue des fans des Clash et de ska-punk. Ici, dans le Nord de la France, c'est une invasion barbare. J'ai l'impression de vivre chez les Huns et les Ostrogoths. Et ma foi, c'est un peu ça. Je ne veux pas dire que c'est forcément mieux ailleurs, mais la proximité avec la Grande-Bretagne entraîne des réactions de rejet que je ne contrôle pas toujours".

Pourtant, à y regarder de plus près, je me suis un peu fourvoyé. Bien sûr qu'il y a des groupes anglais que j'aime! Et, pour me racheter, je me suis dit que je devrais les énumérer.
1° Les Beatles 2°John Lennon 3° Paul McCartney 4°George Harrison 5°...Ringo Star. Non, je déconne. Pour le dernier du moins.
En vérité, c'est plus compliqué.

Tout d'abord, une personne vraiment éclectique n'a que faire des genres, étiquettes trop commodes pour être véridiques, trop cloisonnées pour les esprits larges. Je recommande moi-même l'éclectisme, ne serait-ce que pour l'hygiène mentale. Savoir apprécier tout ce qui vient à soi, sans distinction autre que le potentiel, la qualité, c'est avoir fait un pas de géant vers le contentement intérieur. Mais bon, on n'en est pas tous là. Et comme je cherche dans la musique à creuser un petit sillon qui me fascine depuis bien longtemps, je me tourne, non vers des artistes, mais vers le nom générique qui trace le sillon avec moi. Les artistes sèment le blé, un par un, mais aucun n'est finalement aussi remarquable que le blé qu'il a fait germer et aucun blé n'a à lui seul la qualité d'ensemble du champ. Voilà pourquoi ma première réflexion m'amène à aborder un genre. Une vue large, un panorama, un amour pour la sériation plus que pour l'unité, voilà à peu près ce qui définit l'état moral d'un critique, même amateur. S'il y en a ici, ils confirmeront surement ce point.

Le premier genre qui me vient à l'esprit, le folk-rock pour faire simple, n'a pas en Angleterre la popularité qu'il connaît outre-Atlantique. Le seul motif qui me rende cette lacune intelligible serait la concentration de la population dans un espace restreint, par rapport aux USA encore partiellement dépeuplés.
La mythologie des grands espaces colore en effet cette musique d'un feeling particulier. Elle a infusé jusque dans l'esprit des citadins des grandes mégalopoles: Damien Jurado, de là où il est, Seattle, parle pour les gens du Texas. Et c'est pourtant à une grande distance. Comme si les Anglais parlaient pour... les suisses? On peut supposer qu'il n'y a pas en Angleterre ce sentiment des distances. Le leader des Byrds, R.McGuinn, disait qu'il avait apporté à la pop anglaise le sens de l'espace et de la lumière propre à l'Amérique. Magnifique. En quelques mots, le propos est résumé.

Il y a pourtant en Angleterre des groupes folk-rock. Tout d'abord, peu nombreux, ceux qui s'inspirent ouvertement des ricains, comme El Goodo, qui a piqué son nom à un titre de Big Star. Les Wave Pictures, sur leur dernier disque, ne sont pas toujours loin de la country. Et les Stones ont eu leur période américaine (d'ailleurs très riche). Sans oublier l'inévitable "house of the rising sun" des Animals.
Mais il y a aussi le folk-rock purement anglais, comme celui de Fairport Convention, un de mes groupes préférés. Richard Thompson est peut-être allé trop loin dans l'approche folklorique, mais en faisant remonter à la lumière les racines irlandaises, il a permis de renouer des liens entre la tradition celtique et la chanson pop qui y prenait, sans trop le montrer, ses sources. La country elle-même vient de là, et les américains sont souvent les premiers à le rappeler et à rendre hommage au Royaume-Uni. Pourquoi si peu de folk-rock anglais alors? Pourquoi les Byrds ont-ils semé plus que Fairport Convention?

En fait, il y a un défaut de popularité. Des chanteuses folk anglaises par exemple, il y en a eu beaucoup. Vashti Bunyan, Sandy Denny, la chanteuse du groupe Tree, celle de Pentangle... Mais honnêtement, la plupart ne sont plus écoutables aujourd'hui. Le mouvement folk anglais des années 60 a laissé bien des noms sur le carreau, la faute à trop de maniérisme. Très peu de musiciens/chanteurs sont restés: Donovan, dont je parlais hier, Bert Jansch, John Renbourn, Richard Thompson, Sandy Denny... Citons encore Van Morrison, le plus important. On peut ajouter Kevin Coyne, vraiment méconnu. Plus tard, on a eu Billy Brag et Holly Gollightly. Mais ça ne sera jamais aussi impressionnant qu'une longue liste d'artistes folk-rock americains, au premier rang desquels Dylan, Neil Young, etc.
Pour clore le chapitre folk-rock, j'ajoute que je suis preneur si vous avez la moindre suggestion à me faire, et notamment parmi les contemporains. Je serais curieux de voir à quoi ressemble la scène folk en Angleterre en cette fin de décennie.

Maintenant, considérons un autre genre: l'indie-rock. J'ai écouté les Pixies, j'ai une curiosité pour Pavement, j'ai grandi avec Nirvana (et les Smashing Pumpkins j'avoue). J'aime Yo La Tengo, le BJM, les Warlocks, Galaxie 500, etc. Et là, je me prends une claque en croyant que tout cela dérive uniformément d'influences américaines alors que... si les Pixies ou Pavement sont indéniablement américains dans leur approche du son, le BJM ou Galaxie 500 viennent en droite ligne de Spacemen 3, de Jason Pierce qui, contre toute vraisemblance, est anglais.
Incompréhension: comment se fait-il que pendant toute une décennie celui qui a été l'un des meilleurs compositeurs anglais ait engendré exclusivement de l'autre côté de l'Atlantique tandis qu'aucun groupe british, à ma connaissance, n'a revendiqué la moindre filiation avec Spiritualized ou Spacemen 3, ni même du goût pour ce genre de musique? Méconnu dans son propre pays? Très sérieusement, le peu d'influences de groupes comme Spacemen 3 ou My Bloody Valentine dans l'Angleterre des dernières années laisse songeur. A croire que tout le monde était absorbé par les sixties revisited... A moins que Jason Pierce ne soit lui-même une exception au RU. Et c'est fort possible quand on mesure cet étrange mélange de rock, de blues, de gospel...

Le blues. Venons-y. On ne peut pas dire que l'Angleterre n'ait pas eu son moment blues. Au contraire. C'est écrit dans le cahier des charges. Cream, Clapton, John Mayall, beaucoup plus tard Mark Knopfler. Rien de méchant en fait. Mais ce cas d'école est révolu. Entend-on encore parler de blues-rock? Le blues-rock d'aujourd'hui, ce sont les Black Keys, Radio Moscow et les White Stripes qui s'en chargent. Ah...il y a quand même les Kills... non, ils sont à moitié américains.

La nouvelle génération rock est en fait ce qui a cassé la baraque ces dernières années. Comme le punk-rock (Clash, Sex Pistols), comme le post-punk (Wire, P.I.L), la new-wave (Echo and the Bunnymen, Joy Division, the Cure), le brit-rock (Oasis, Blur, Suede, Pulp), c'est au tour du rock nouvelle génération (à défaut d'un autre nom) de se faire une place dans l'inconscient collectif des hommes d'aujourd'hui. Libertines, Cribs, Arctic Monkeys, Franz Ferdinand, Rakes, Art Brut, Horrors, Futureheads, je ne vais pas tous les citer, mais ils sont nombreux à avoir recueilli un peu ou beaucoup de succès ces dernières années. Alors, bien sûr, certains sont très bons, et donc respectables. Qui pourrait prétendre que les Libertines furent nuls? Mais ce n'est pas la source où je m'abreuve, j'ai de l'estime pour eux sans avoir de goût. Par conséquent, quand je vais du coté des anglais, je cherche ce qui est en marge, la seconde zone, mineure mais plus adaptée à mes inclinations. Le graal de poche en somme. Ce n'est pas un fait exprès, mais une conséquence collatérale du succès de ce type de musique dominant.

Mais alors... que resterait-il à l'Angleterre si jamais elle voulait me séduire, m'absorber dans sa masse? Il y a bien quelque chose. C'est la dernière ressource. Un truc qui lui appartient en propre, jamais imité ailleurs. La particularité anglaise. Le pudding? Non, la pop. La pop vraiment pop, consensuelle mais subtile, à deux doigts de la variété mais gracieuse dans son équilibre fragile. Tout d'abord, il y a les Beatles, mais ça on le sait déjà. Je ne parlerai pas des Bee Gees, là c'est trop, trop de chantilly. Les Kinks sont bons, mais il faut les prendre quand ils ne sont pas trop ironiques, pas trop décalés. Ils peuvent être effroyablement british, genre cup of tea et Oscar Wilde. A Well respected man néanmoins ne tardera pas à figurer dans ma liste des chansons en or. Mais ce ne sont pas ces groupes qui font l'objet de mon intérêt. En fait, il y en a trois en particulier. D'abord, Prefab Sprout - et encore, seulement pour un album (Steve McQueen), mais quel album! A supposer même que ce disque fût une exception, une plante rarissime et exotique, je trouverais encore le moyen de croire qu'il résume l'Angleterre, qu'il est à lui seul l'Angleterre. Quiconque a écouté Goodbye Lucille peut-il me contredire? Et qu'il soit proche de la variété ou peut-être noyé dedans jusqu'au cou m'importe peu. Si la variété, c'était Paddy McAloon sur les ondes, je mettrais Rtl2 tous les jours.
Ensuite, un peu moins bon, mais quand même ravissant, il y a le cas des Pale Fountains (et de Shack). Encore un grand moment d'élégance. Sorti en 1984, année de ma naissance, Pacific Street reste un disque de grand talent. Unless, par exemple, avec ses synthés pourris, résiste à toutes les modes. Mais la chance est d'avoir encore aujourd'hui un groupe de ce niveau, quoique plus timide: Belle and Sebastian. Beaucoup les trouvent mièvres et niais. Mais si vous avez lu mon post sur Donovan, vous devez savoir que je ne condamne jamais arbitrairement un peu de mièvrerie. Et d'ailleurs, je n'ai jamais vraiment cherché à comprendre ce que chantait Stuart Murdoch. Les mélodies, imparables, me suffisent.
Si vous avez, dans cette veine, des suggestions, je réitère ma demande. Rien ne me plairait davantage que de faire tomber mes préjugés sur l'Angleterre et de la voir sous un autre jour, plus diversifié.(1)

En attendant, voici un petit florilège de mes disques et groupes anglais préférés:

Steve McQueen - Prefab Sprout
Pacific Street - the Pale Fountains
Parachute - the Pretty Things
Sticky Fingers - the Rolling Stones
Belle & Sebastian
the Beatles
Spiritualized
Astral Weeks - Van Morrison
Spirit of Eden - Talk Talk
What We Did On Our Holidays; Unhalbricking ; Liege and Lief - Fairport Convention

Mais aussi, dans une moindre mesure : Donovan, the Coral, Badfinger, the Animals, Richard Hawley, Jesus and Mary Chain, the Cure, Stone Roses, Pink Floyd.

(1) Pour prévenir les remarques concernant un éventuel oubli, j'ajoute que je n'aime pas énormément les Smiths.

mardi 6 octobre 2009

des chansons en or (4)


Vous allez me dire gâteux mais n'importe. Cette chanson est selon moi une des dix plus belles au monde, en même temps qu'une des plus niaises dans sa forme (car l'intention, elle, est délicate). Ce n'est pas sa plus connue (qui n'est d'ailleurs pas terrible - mellow yellow) et il s'agit en outre d'une dédicace, à Derroll Adams, alias le "banjoman", qu'on trouve à la fois sur l'album A Gift from a Flower to a Garden et sur le tribute à Adams.
Ce dernier était (il est mort à l'orée de la décennie) un chanteur country discret, qui avait émigré en Belgique, peut-être en raison de ses idées communistes. Il avait sympathisé avec Donovan Leitch, voire l'avait parrainé, à l'époque où celui-ci souffrait de la comparaison avec Bob Dylan. Alors que la presse se moquait facilement de son air candide de gamin attardé, Adams avait quant à lui réservé toute sa considération au troubadour écossais, qui le lui avait rendu sur ce superbe hommage, une des seules compositions originales d'un disque majoritairement constitué de reprises.

Ce n'est pas une maigre surprise que de constater la suprématie musicale de Donovan sur tous les autres invités ici présents. Peut-être serait-ce aller trop loin que de lui attribuer aussi le mérite de surclasser Adams, son mentor. Pourtant... Ce n'est pas qu'il faille diminuer le talent du banjoman. En fait, il était sans doute meilleur parolier, mais la musique country, nourrie de ses lieux communs, n'a pas exactement l'effet désiré sur l'auditeur européen lambda. Aussi, vue de loin, toutes ces chansons tendent musicalement à se ressembler. Seule tranche cette tendre rêverie, longue et répétitive adresse aux... étoiles de mer, auxquelles Donovan demande des nouvelles de son cher expatrié (bring me word of a banjoman/With a tatoo on his hand).

J'imagine déjà les têtes de mes lecteurs. Donovan parle aux étoiles de mer dans sa chanson? Est-il sorti de l'enfance? Prévoyait-il que les mômes joueraient un jour à Warcraft plutôt que de discuter avec les étoiles de mer? Et pourtant, qui contesterait qu'il y a, même sous une forme naïve, une réelle poésie, non pas dans le dialogue avec une étoile de mer, qui n'est qu'un artefact, mais dans la promenade d'un homme seul le long de la plage, un soir, regrettant de ne pouvoir rejoindre son ami de l'autre côté de la Manche? "Comme je serais content de venir, chante Donovan, comme je serais heureux de partir, si je n'avais pas mon travail à faire et ma face à montrer. Mais je dois me rendre à l'intérieur des terres." C'est déposé d'une voix douce et empreinte de gratitude. Heureux comme un beau jour et nostalgique comme l'homme qui a un pied devant et le regard derrière. La musique, elle, se contente des trois accords de rigueur, mais en l'écoutant, on a le sentiment qu'elle ne tourne peut-être qu'autour d'un accord, tant les variations passent inaperçues (et ce n'est pourtant pas un reproche). On entend tout d'abord le flux et le reflux de l'eau qui clapote. Puis ce n'est rien d'autre qu'un accompagnement de guitare acoustique. Le milieu du morceau voit quand même arriver un banjo (le fameux banjo) et une basse. Rien de plus. Des couplets, pas de refrain. C'est véritablement ce qu'on peut appeler une ballade. Chaque couplet, ou presque, se termine par "the banjoman, with a tatoo on his hand", ajoutant à cette impression hypnotique de ritournelle. Avec l'image de l'eau qui avance et recule, la répétition des mêmes termes à intervalle régulier, la douceur du chant, vous comprendrez que l'auditeur se laisser bercer par une impression de balancement et de flottement très agréable. C'est une musique à écouter comme une berceuse - et passé un certain âge, il y en a qui n'aiment pas ça - mais combien sont touchantes comme celle-là?

EPISTLE TO DERROLL, Donovan, 1966
Banjoman: a Tribute to Derroll Adams, 2002

samedi 3 octobre 2009

Le vilain pas beau!



Parmi les questions que tout critique se pose un jour dans sa vie, il y a celle-ci, cruciale : pourquoi les Strokes, les Libertines, les White Stripes et pas le Brian Jonestown Massacre? En terme d'influence pourtant il n'y a pas de différence. Anton Newcombe est le mentor de toute une génération de groupes psyché: des Warlocks aux Black Angels, en passant par les Raveonettes, on ne compte plus ceux qu'il a inspirés. Alors, quelle est la cause de sa discrétion dans les médias? Pourquoi la galaxie Libertines n'a-t-elle jamais croisé la galaxie BJM? Pourquoi Peter Doherty d'un côté et Anton Newcombe de l'autre, sans réciprocité? Pourquoi la jeunesse retiendra-t-elle de ses beaux jours What Katie Did et pas Open Heart Surgery?




- On peut avancer plusieurs hypothèses. La première concerne directement les médias: il est de notoriété publique qu'Anton Newcombe n'est pas une personnalité facile. Selon le monde entier, sauf le principal intéressé et ceux qui ne le connaissent ni de vue ni d'ouï dire, ce personnage erratique est devenue une véritable épave droguée et alcoolique, mégalomane notoire doublé d'un paranoïaque agressif, insultant copieusement le moindre chien habillé pour finalement lui adresser des signes d'amitié qui sont presque plus flippant qu'une menace ouverte. L'interviewer suppose donc d'être sur le qui-vive. Du coup, il est médiatiquement flingué.



- L'autre hypothèse, hélas vérifiable, tient à l'inégalité de ses disques. La discographie est abondante mais il vaut mieux se contenter du best-of sorti en 2005 (même si certains grands morceaux n'y figurent pas). Dans ses moments les plus psyché, Anton Newcombe est capable de sortir le grand jeu hippie avec sitar et progressions vaguement hindoues. On comprend mieux la désaffection chez ceux qui n'ont pas écouté les bons morceaux. Néanmoins, il y a tant de choses renversantes dans sa discographie qu'on ne peut pas honnêtement passer à côté de tout.




En vérité, la raison de sa faible popularité vient de sa personnalité elle-même. On ne saura jamais dans quelle mesure le film dig! y est pour quelque chose (même s'il est certain que l'image de Courtney Taylor des Dandy Warhols en a pâti) mais le résultat est là: Anton Newcombe a l'image du sale type. Or, ce n'est pas sexy.


Dans le même ordre d'idée, pourquoi Frank Black ne provoque-t-il pas de crise d'hystérie chez les fans d'Adam Green? Pourquoi Sonic Youth et l'indie-rock US "chemise à carreau" ennuient-t-il les amoureuses de Razorlight? Pourquoi les Cave Singers vont-ils se ramasser? Parce que Frank Black est gros et chauve. Parce que le hardcore n'est pas sensuel. Et le folk est un truc de barbus. Ce n'est plus le conflit entre la jeunesse et la vieillesse qui fait la différence (la popularité des dinosaures punk montre bien que c'est faux), c'est l'érotisme, c'est la séduction.
Regardez les Strokes, les Libertines, Adam Green... Ils sont jeunes, sexys, ont l'air cool et chantent pour plaire aux filles et montrer aux garçons qu'ils ont la classe. D'ailleurs, leurs plus grands fans sont de l'autre sexe, complètement hystériques et qui pire est souvent insupportables (mademoiselle, qui que tu sois, tu es sans doute hors du lot). Ainsi, selon toute vraisemblance, la séduction constituerait le pivot de l'éthique rock'n'roll, cette idéologie stupide qui glorifie la jeunesse, la coolitude, la défonce, la fête et les plaisirs libidineux.


Mais un peu d'individualisme y est bien vu aussi, du moins sous sa forme aristocratique: un bon groupe possède un ou deux chanteurs dotés d'un charisme puissant, attirés par les feux de la rampe comme le papillon par le néon, des grandes gueules dont l'aura se répercute très loin. Anton Newcombe n'est pas loin du compte. Question grande gueule, le type se pose un peu là. Mais il a succombé à l'excès, comme Courtney Taylor, sans toutefois atteindre le même succès: l'un comme l'autre ont forcé le naturel au lieu de se fier à leur aura personnelle. Ils ont viré mégalomanes. Or, le mégalomane est universellement détesté lorsqu'il joue à découvert. La force du séducteur c'est de se faire aimer et non pas de se déclarer supérieur (même si de fait, Anton Newcombe n'est pas orgueilleux sans raison). En rock, la prétention est abhorrée, tandis que l'arrogance morveuse, type écolier rebelle (plus sexy, une fois de plus), entraîne immédiatement l'adhésion et la sympathie (sic). Ainsi, Anton Newcombe n'a jamais soigné son image. Par exemple, il a systématiquement viré ses musiciens (à l'exception d'un fidèle je crois), de sorte que le BJM n'est pas un groupe, mais un collectif à géométrie variable, ce qui empêche de se familiariser avec une petite bande (comme les Beatles) et entretient une image asociale peu ragoutante pour le fan de rock (qui, en général, révère l'amitié). Evidemment des types comme les Gallagher, Lou Reed ou Doherty ne sont pas non plus des modèles d'amitié. Mais ils ont d'autres atouts pour sauver leur image. Et les Arctic Monkeys, eux, plaisent parce qu'ils donnent l'apparence d'une bonne bande de potes.


Mais avec tout cela on ne parle pas musique, me direz-vous. Bin non. C'est du rock. Comme le disait Daniel Darc, si vous voulez de la musique, écoutez Coltrane; le rock c'est l'attitude qu'on a quand on sort dans la rue. C'est un état d'esprit nous martèle rock'n'folk. Et c'est vrai. Une image, en fait.
De ce point de vue, Newcombe a tout faux. Mais pour les quelques uns qui sont sortis du lycée, pour les martiens qui, comme moi, n'écoutent que la voix et la guitare, alors n'hésitez plus: Tepid Peppermint in Wonderland (la rétrospective) est un des objets les plus sidérants du monde moderne. Au diable le rock, le sexe et la drogue dans laquelle Newcombe a fourré son nez, faîtes juste tourner le disque!

vendredi 2 octobre 2009

Deerhoof ou Deerhunter?



Qui a dit que les Beatles étaient universels? En Irak, les GI passaient les fab four pour faire craquer les talibans. Je cite ce fait de mémoire, sans certifier sa provenance. Mais les exemples de toute façon abondent aussi dans nos contrées. Certes, il faut quand même être bien difficile pour trouver insupportables les plus consensuels des artisans de la pop. On ne trouve pas de groupe dans l'histoire du genre qui fédèrent autant de personnes différentes, dans leurs goûts comme dans leurs mœurs. Mais la chose arrive et elle remet en cause les convictions même les plus inébranlables. Cette introduction n'a pas d'autre but, en effet, que d'amener le lecteur à relativiser ce qu'il pense être du domaine de l'Universel (avec un grand U). Quiconque analyse la chose remarque que l'universel est une forme civilisé du narcissisme de groupe: il est l'apanage d'une communauté qui célèbre ses propres valeurs (justifiées par leur caractère très répandu et réciproque). Ceci étant posé, il s'agit également d'une arme rhétorique visant à marginaliser la différence et donc à exclure - au lieu que les naïfs, comme moi, voudraient TOUT inclure.
C'est en tout cas ce que doivent se dire les fans malheureux d'Animal Collective, des Fiery Furnaces et de Deerhoof, trois groupes marginaux peu susceptibles d'accéder à une plus large audience, ni aujourd'hui et encore moins demain, quand (c'est prévisible) le nombre de fans se réduira à une peau de chagrin. Car si ces hommes engendrent comme tout le monde, leurs enfants, eux, n'ont qu'une chance sur un milliard, et encore, d'être atteint par l'hérédité musicale de leurs géniteurs. S'il y a des chromosomes Beatles, ils sont sans doute plus nombreux que les chromosomes Deerhoof (car dans la nature comme dans la société les médias dirigent tout - enfin, c'est ce dont il faut se persuader).
Qu'on en dise cependant tout le mal qu'on voudra, c'est à la gloire de la musique populaire de se soucier moins de la bouteille que de l'ivresse. La nature et la société distribuent les goûts selon des lois sans doute analysables point par point, mais je doute que cela mène à de grands changements. Dans les cas où un peu de snobisme teinte les goûts d'une personne sous influence, on peut toujours l'amener à plus de confiance en soi. Dans les cas, fréquents, où le manque de culture empêche de connaître le meilleur, on peut remédier au problème. Après, si un gars préfère en toute connaissance de cause Chantal Goya au Velvet Underground, qu'est-ce que cela peut faire? Ainsi, laissons tranquilles les zélateurs de Deerhoof, ce sont souvent des gens très cultivés et je ne les soupçonne pas de snobisme (soupçon dont je me fais un scrupule, pour ce qu'il suppose de mécréance et d'incapacité à reconnaître l'altérité). Ils fonctionnent sans doute selon un schéma mental qui m'échappe. On peut tout de même avancer l'hypothèse qu'un fan de Deerhoof se soucie peu ou prou d'émotions et aborde la musique selon un angle plutôt cérébral, résolument non sentimental. N'importe! Brisons-là, il s'agit en fait de parler d'un autre groupe, aussi peu universel, presque aussi barré et très marginal en France: Deerhunter, les chasseurs de cerf. Avec un nom pareil, inutile d'indiquer la provenance. Les USA sont spécialistes des noms d'animaux. Mais Deerhunter n'est pas un groupe de folk-rock. C'est un groupe urbain, dans la lignée de Spacemen 3, Sonic Youth et de l'indie-rock des nineties. Plus isolés que les Warlocks ou les Raveonettes, moins accrocheurs aussi, Deerhunter a frôlé la considération publique l'an passé, du fait de la reprise de Fluorescent Grey par Jay Reatard. Pas de connexions bien profondes entres le leader du groupe sonique et la nouvelle grande gueule de la power pop pour autant. Deerhunter reste un truc underground et audible trois ou quatre fois par semaines aux bas mots. Mais lorsque les conditions s'y prêtent, l'effet peut laisser pantois. Bien sûr, ce n'est pas fulgurant comme l'était Sonic Youth, et puis il n'y a pas le statut d'icône underground pour fasciner le public, mais les guitares de Never Stops, le refrain d'Agoraphobia, le mur du son sur Twilight at Carbon Lake, ou encore la petite valse de Slow Swords parviennent à envoûter l'auditeur accessible à la musique noise autant qu'aux climats planants et hypnotiques. Ce psychédélisme rafraichi peut évoquer tout ce qui s'est fait de mieux dans les vingt dernières années, de Galaxie 500 aux Warlocks, mais avec un supplément de folie. Leur dernier album est un double, difficile à assimiler en une fois donc. A vrai dire, on écoute ce genre de choses bribes par bribes. Mais le format convient peut-être à leur côté prolixe et fourre-tout, à cette volonté manifeste d'exploiter toutes les idées. Quand on les cueille au meilleur d'eux-mêmes, c'est peut-être un des meilleurs groupes en activité. Pour le reste, il y a des longueurs.

MICROCASTLE/WEIRD ERA CONTINUED
Deerhunter
2008, Kranky/4AD

jeudi 1 octobre 2009

des chansons en or (3)


Celle-là, c'est un phare. Aucune influence, aucune hérédité. Black out total depuis des années. San Francisco est juste 1) un hymne à la gloire d'une grande ville 2) un tube adorable, bien au-delà des années 60. Je pourrais vous dire que c'est du niveau de Lennon ou de Ray Davis, mais à quoi bon le préciser? L'homme qui est à l'origine de ce morceau est tout simplement leur égal. John Phillips n'est autre que le leader discret des Mamas and the Papas, quartette populaire d'un compositeur resté dans l'ombre de ses tubes.
Ce type, qui avait l'air plus sympathique que la moyenne, voyait la lumière partout. Il chantait des morceaux tristes sur son album solo et pourtant on n'y voyait jamais que le soleil, la plage, la mer. Un soleil déclinant il est vrai. Mais toujours ces atmosphères en demi-teinte, où la gaieté et la nostalgie marchent de concert, toujours cette même ambiguïté de sentiments...Ce type était le Watteau de la Californie, le Verlaine des bords de mer. La même grâce, le même léger badinage. Pour moi, rien n'est jamais franchement triste chez lui, ce serait plutôt une nuance délicate du bonheur, une subtilité suave et rare. Mais le compositeur de chansonnettes ne se contentait pas d'écrire pour lui et son groupe. Il donnait aussi aux proches. Un jour l'idée lui vint d'abandonner une chanson à son ami Scott McKenzie, peu doué pour la composition mais indéniablement meilleur chanteur. Et on aura beau dire, spontanéité oblige, l'esthétique do it yourself, tout le baratin punk, ça vaut peut-être pour la valeur expressive, mais ce n'est pas comme ça qu'on fait la pop. La pop est une fabrique, un artisanat, il faut de bons interprètes, une voix solide. C'est léché, travaillé, retapé...et ça donne un tube aussi splendide que celui-là, quelque part entre la gaieté d'une période sans nuage, le havre de paix qui ravive des nostalgies vagues, des rêves d'Eden un peu niais mais doux pour l'esprit, et, toujours, ce sentiment trouble, cet élan qui magnifie pendant quatre minutes la vie de l'auditeur. Très fort!

San Francisco (Be Sure To Wear Some Flowers In Your Hair)
in SAN FRANCISCO, 1967 sony music
Scott McKenzie

Raveonettes


Une petite brève pour informer le lecteur que le nouvel album des Raveonettes est en écoute sur leur myspace. Et la bonne nouvelle c'est qu'il est très bon - je craignais un peu que la réverbération devienne envahissante mais ils ont réussi à dynamiser leur style et à renchérir sur les mélodies. beau travail donc.