La chanson de la semaine

dimanche 5 avril 2009

Ten Stones


David Eugene Edwards est égal à lui-même, mais il s'affine. Beaucoup de morceaux enregistrés par son ancien groupe, 16 horsepower, sont devenus difficilement audibles. Il y aura toujours l'excellent et rustique "Folklore" pour démentir, ainsi que quelques titres majeurs, mais de tout cela on tirerait surtout une compilation. Quoi qu'il en soit, l'homme impressionne toujours. Quiconque a entendu (et vu) "Hutterite Miles" sait quelle fascination mortifère exerce sa voix et sa musique. Il confère à une très vieille souche de la tradition américaine une dimension lyrique et sombre qui en libère le coté morbide, dramatique, primitivement sauvage même. Confiné dans son registre de country gothique, Woven Hand ne risque pas d'ouvrir de nouvelles portes à cette musique désolée, qui sent l'Amérique profonde et le trauma infantile. On se moque parfois lourdement de l'identité religieuse du groupe; le mélange de crainte et de respect que continue d'évoquer pour moi la musique de 16 horsepower m'empêche de prendre la chose avec autant de légèreté. Un mot anglais résumera bien mon sentiment: awe. A l'écoute, en tout cas, rien n'a changé: on croirait encore que tout cela nous vient d'un autre monde, d'avant le déluge. Notre imagination ressasse de vilains clichés, dont on ne mesure absolument pas le degré de véracité historique : on voit ainsi un village de l'Amérique rurale, des familles frappées par la consanguinité assister à la messe du dimanche, des pendus aux arbres, le frère qui fend du bois dans la grange, et un axe de communication désert. Ce nouveau disque se prêtera donc encore à l'archaïsme. Crédible, cela va sans dire, compte tenu de la carrure de DEE, mais un peu trop pittoresque pour qu'on ne fasse pas d'allusions. Il faut reconnaître qu'avec un texte inspiré du livre de Job, une chanson liturgique des indiens d'Amérique, un peu de banjo (même si c'est devenu rare), et sachant que l'ensemble a été enregistré pour le label New Jerusalem Music par un gars qui s'appelle sobrement David Eugene Edwards et qui est fils de pasteur, il est naturel qu'on trouve à cette musique une identité fortement marquée. C'est peut-être aussi ce qui continue de faire la longévité du groupe, quand il a toujours été en dehors des modes, creusant le même sillon avec ténacité. Les morceaux rock restent inspirés par le gun club, mais détournés de leur énergie primaire et lyricisés par le chant de DEE (moins outrancier qu'avant dans les cris, ce qui augure d'une plus grande durée de vie pour ce disque). Les morceaux plus doux sont parfois de véritables merveilles. Cohawkin road est ainsi l'une des plus belles chansons du groupe, magnifiée notamment par quelques notes de guitare électrique qui rehaussent subtilement les accords. On n'oubliera pas non plus Horsetail, puissante et décisive. Seul la reprise Quiet nights of quiet stars, très bossa nova, dénote dans cet ensemble d'americana noire et amère. Interprétation impeccable, certes, mais complètement hors-propos. On préfère quand DEE fait ce qu'il a toujours fait, et il continue à bien le faire. Bon album.

TEN STONES
Woven Hand
Sound Familyre, 2008

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