La chanson de la semaine

samedi 29 octobre 2011

Used To Own: 1.New Order

Revendre des disques est un acte rituel chez le collectionneur, l'un des multiples visages de sa passion. Car collectionner n'est pas accumuler sans fin mais, parfois, se resserrer sur l'essentiel, éliminer les disques parasites - en un mot: sélectionner.

Fondamentalement, on peut dire que l'âme du collectionneur est tiraillée entre l'accumulation (horizontale) et la sélection (verticale). Un principe démocratique le dispute sans cesse à un accès d'élitisme. Aussi, quand ce dernier prédomine, l'amateur se décide-t-il à vidanger l'étagère, dans la logique comptable du gain d'espace mais également avec l'idée maniaque d'un ordre, d'une hiérarchie des disques où chacun aurait sa place et dont l'intrus devrait être évincé. J'ai ainsi en ma possession un certain nombre de disques dont l'usage s'est raréfié, quand il n'a pas été inexistant dès l'abord, or je ne vois pas d'un bon œil leur cohabitation avec mes favoris.

"On ne vit pas à coups de chef-d'œuvres" pourrait-on me rétorquer. C'est vrai. Cela dit il est tout aussi vrai de dire qu'il existe des albums sans intérêts, achetés sur la foi d'une seule chanson ou, pire, d'une critique (à l'époque où je croyais aux "classiques" - coïncidence, c'était quand l'adsl n'existait pas chez moi: il y a un lien direct entre la "croyance" et l'absence de connexion. L'accès libre à internet limite fortement l'argument d'autorité, du moins en musique). Les promotions "prix verts" de la fnac ont eu le même effet: achetés par 4, les disques valaient moins chers, ce qui a enrichi ma collection d'une variété de nullités considérables (jusqu'à Sonny & Cher, le premier RHCP...).

Là n'est pourtant pas la question du jour. Dans une phase de sobriété, d'inhibition du réflexe consumériste, peut-être même devrais-je dire dans un moment d'ascèse, je me suis débarrassé de disques que je n'aurais JAMAIS dû revendre! De même qu'on devrait réfléchir à deux fois avant d'acheter, il faudrait réfléchir à deux fois (voire plus) avant de se démunir de ses biens matériels. Tant qu'à faire, une fois qu'on les a...

1 - Get Ready - New Order (2001)

Quelle erreur, quand j'y songe, d'avoir refourgué à un passant, pour la modique somme de 4 euros, lors d'une brocante villageoise, un disque de la trempe de Get Ready. Jamais je n'aurais dû oublier qu'à l'origine je l'avais aimé (car ce qu'on a aimé une fois, on peut l'aimer deux fois). Pourquoi n'ai-je pas pensé à Crystal, à 60 Miles an Hour, à Vicious Streak, Primitive Notion, Rock the Shak, Run... c'est-à-dire, en fin de compte, à presque tous les morceaux de l'album? Ce n'est donc pas comme s'il n'y avait qu'une perle discrète enfouie sous la boue.
Il m'est arrivé de concevoir à propos de New Order l'équivalent d'un préjugé, sauf qu'il s'est formé a posteriori. Ce qui n'est, je l'avoue, pas très cohérent. L'histoire, c'est que Get Ready m'avait enchanté à sa sortie, alors que j'ignorais tout du groupe. Puis, j'ai découvert Joy Division, pour lequel j'ai nourri pendant un an une passion morbide, depuis largement révolue. J'ai alors vu en New Order (les continuateurs) une sorte de sous-Joy Division - les albums à connotation électronique m'ont d'ailleurs conforté dans cette opinion. Par la suite, je n'ai plus juré que par les disques antérieurs aux années 80. Du coup, j'ai oublié Get Ready. L'album, emporté par ma médisance, a subi le reniement le plus absurde qui soit. Ce n'est que bien des années plus tard, c'est-à-dire récemment, que j'ai éprouvé l'envie, ou la curiosité, de le réécouter. Au fond de moi, je savais qu'il était et resterait un très bon disque, plus proche de la production d'ensemble des années 00 que de la musak synthétique originelle.

C'est peu de dire que cet album de vieux (le groupe avait déjà 20 ans d'existence) sonne très jeune! Jamais des vétérans n'avaient rafraichi à ce point leur style - leurs premiers disques passeraient même pour des albums de vieillesse en comparaison. L'épreuve de la sélection naturelle (ou sélection culturelle) est donc réussie avec brio. Il me suffit d'évoquer Is This It, paru la même année, pour soutenir l'idée que Get Ready est de plein pied dans la décennie à venir, qu'il est cool et jeune comme le disque des Strokes. Impossible en l'écoutant d'imaginer la longue histoire de Cook et Sumner. On les dirait plutôt nés de la dernière pluie. La pochette témoigne parfaitement de cette intelligence du temps, qui ne paraît même pas opportuniste: il semblerait plutôt que New Order ait enfin sorti, 20 ans après ses débuts, l'album dont il rêvait. Tout en affirmant son goût pour la modernité et ses accessoires hi-tech, le groupe renouvelle son esthétique à grands renforts de pose androgyne. On retrouve les mêmes coloris sur la pochette (blancheur impersonnelle) mais l'habillage est plus jeune. Le contenu se calque sur cette évolution: une couleur musicale intacte, mais rehaussée par une production plus moderne. D'années en années, des formes successives ont ainsi dessiné un "esprit" New Order, mais celui-ci ne s'est pleinement révélé (selon moi) qu'avec Get Ready.


dimanche 9 octobre 2011

The War On Drugs - la country de l'espace

Wagonwheel Blues faisait partie des albums qui, en 2009, avaient totalement relancé mon intérêt pour le rock alternatif. Rien que pour ça je dois une fière chandelle à ces groupes qui, chacun à leur manière, ont replacé l'Amérique au centre de l'univers indé. Sans l'impact de Kurt Vile, Girls, Crystal Stilts et the War On Drugs pour me sortir la tête du trou, je serais peut-être arrivé, à force de déterrer les vieilles babioles des collectionneurs, à racler le fond de la croûte continentale. Mes nouvelles inspirations ont eu le mérite de me faire remonter la pente jusqu'aux années 90, c'est-à-dire à mon adolescence, et non plus à celle de mes parents.

Mais l'histoire risque malheureusement de s'arrêter là pour la plupart des groupes qui ont eu cet effet régénérateur. Ou elle continuera sans moi, dans la demi-pénombre de l'indie-rock pour minorités culturelles. Des groupes cités, seul Girls semble résolu à suivre le chemin de la réussite. Les autres sont en train de glisser. Crystal Stilts abuse de la réverbération jusqu'à rendre tout à fait désuète chacune de leurs chansons - devenues des gadgets vintage -, Kurt Vile et les War On Drugs, eux, empruntent la même direction médicamenteuse et amorphe, tandis que Best Coast, Dum Dum Girls et Vivian Girls n'ont guère plus d'intérêt à force de piailler. Brève étincelle dans la nuit de la pop, cette galaxie semble avoir déjà vécu. Elle décline, par atrophie de ses parties. Aucun désir d'expansion ne semble motoriser ces groupes qui préfèrent se confiner dans leur statu quo, végéter, lamentables, comme des plantes privées d'air et rabougries.

The War On Drugs était pourtant celui dans lequel j'avais placé le plus d'espoir, parce que leur premier album, malgré quelques longueurs, contenait des hits potentiels, mal arrangés et souvent crapoteux mais très entraînants, à l'image de Arms Like Boulders.
Slave Ambient n'a pas totalement renoncé à ces fulgurances (voir Baby Missiles, avec cette impression d'entendre l'harmonica de l'espace - ou de la country dans la Guerre des étoiles!) mais il ne les a pas portées vers plus de perfection et de plus, les a raréfiées. Il faut attendre Blackwater pour retrouver un élan.
L'album n'est pourtant pas raté: aux oreilles attentives il offre même des passages de guitare affriolants (Best Night) et il ressemble trop à Wagonwheel Blues pour s'avérer un échec complet. Mais il ne s'en émancipe pas assez non plus pour tenir ce qu'on a pris déraisonnablement pour des promesses. Je suppose que je finirai quand même par l'acheter, parce que dans le genre, il n'y a pas grande concurrence (reconnaissons leur originalité) mais je reste déçu qu'ils ne profitent pas plus de ce monopole.


Voilà donc mon sentiment mitigé sur cet album qui, paradoxalement, trustera les premières places de mon classement de fin d'année, à cause d'une poignée de titres, de son ambiance unique, et aussi, avouons-le, de la parenté avec une culture indé que j'aime (Galaxie 500, Spiritualized) et qui titille toujours cette partie du cerveau dévolue à la mémorisation des expériences agréables.