La chanson de la semaine

mercredi 24 mars 2010

Sambassadeur


J'aime Belle and Sebastian; j'aime Camera Obscura; j'aime ce qui est mignon; ce qui est tendre; ce qui est doux; les couplets et les refrains que d'aucuns trouvent faciles; les arrangements sophistiqués; les groupes "sages"; Pains of Being Pure At Heart et son patronyme ridicule; ce qui donne une impression d'innocence et de gentillesse; ce qui n'en donne pas QUE l'impression; la niaiserie quand je suis de bonne humeur; la pop mid-eighties; la confortable et infantile légèreté des chansonnettes; la joliesse des mélodies; le caractère "lisse" qui ennuie les autres et pas moi; la lumière bienfaisante du printemps; la tiédeur de l'atmosphère; ce qui reste de rêverie adolescente et de naïveté dans la pop; Sambassadeur (malgré son nom mais pas malgré sa pochette).

lundi 22 mars 2010

la chanson de la semaine: Invisible Man (Nicole Willis and the Soul Investigators)


La soul a failli avoir son revival, comme le rock à frange. En fait, elle l'a eu mais il a fait moins de bruit. On peut signaler une tentative de médiatisation en masse l'an passé, supportée principalement par les fnacs; les classiques du genre s'étalaient au regard des incultes, dont je suis, avec des commentaires élogieux et des prix verts. Mais rien ne confirme que la sauce ait pris. Ces dix dernières années toutefois, des productions dites "à l'ancienne" ont fleuri en bouquets, jusqu'à ce qu'Amy Winehouse porte tout ça sur le devant de la scène, où elle reste assez seule depuis. Dans l'ombre, Nicole Willis et Sharon Jones, les deux principales représentantes du genre, ont leurs admirateurs. Très old school, jusque dans leur présentation (avec le nom du groupe traditionnellement détaché: Nicole Willis and the Soul Investigators; Sharon Jones and the Dap-King), trop rétro peut-être pour toucher un public jeune et avide de faire son temps, ces deux excellentes chanteuses n'ont pas exactement le succès public d'Amy Winehouse. Cette dernière, sans doute en vertu de ses manières graveleuses, a renouvelé le genre sans y toucher, comme c'est bien souvent le cas: la musique respecte formellement les codes, mais la personnalité infuse dedans comme une herbe et donne une saveur que beaucoup trouve remarquable. Doit-on comprendre que Nicole Willis et Sharon Jones sont trop scrupuleusement pro pour attirer la gloire? Mais pourquoi pas... N'a-t-on pas, en les écoutant le même sentiment qu'en écoutant les Coral? Ne sont-elles pas à Amy Winehouse ce que les Coral sont aux Libertines? Autant dire qu'elles sont parfaites. Leur conservatisme - qui ne pas de mystère- a l'immense avantage d'être justifié par toutes les belles qualités de leurs disques: comme toujours en musique c'est la réussite qui légitime la démarche et non l'inverse (cela ne laissant pas d'être scandaleux aux gens à principes). Elles voulaient peut-être sonner "intemporel" en faisant volontairement rétro; si rien ne dit que ce soit, dans l'intention, une bonne idée (c'est même une erreur logique), le résultat semble en tout cas porter ses fruits. Il faut passer légèrement sur Be It, un album de nu-soul vaguement lounge que j'écouterais volontiers dans un magasin H&M mais pas chez moi, et se diriger droit vers Keep Reachin' Up. On comprend alors ce que je voulais dire: Nicole Willis s'accompagne d'un groupe soul à l'ancienne et réalise enfin un grand disque où l'écriture des morceaux se met au service de sa voix sans s'éclipser derrière une atmosphère cosy. L'instrumental "the soul investigator theme" synthétise l'excellence de son backing-band: avec la sensibilité rythmique de la guitare, on a déjà un peu plus de balancement qu'avec les sons synthétiques inconsistants de Be It. Mais le meilleur morceau reste une chanson: Invisible Man. La suite d'accords au piano est irrésistible, la basse assure le groove et le refrain achève de faire d'Invisible Man un tube mémorable! Il faut dire que l'album en est truffé. Les bons albums, qu'on écoute d'une traite, sont déjà rares dans les genres que j'affectionne, mais il faut croire que j'ai eu du bol d'en trouver un dans un domaine qui m'est assez largement étranger.

mercredi 17 mars 2010

Girls & Le Prince Miiaou à l'Aéronef (Lille)

Passer en première partie de Girls, ce n'était pas gagné. Surtout quand le public avisé (moi) aurait aimé voir les Smith Westerns ou une autre tuerie inconnue des Etats-Unis. Au lieu de cela, l'affiche nous met au parfum: ce sera une française qui, tenez-vous bien, se fait appeler Le Prince Miiaou. En arrivant dans la micro-salle de l'aeronef, je n'avais pas encore écouté une seule chanson de Le Prince Miiaou et n'était pas particulièrement pressé d'en entendre. C'est pourtant elle qui a fait le concert. Entendons-nous bien: Girls était présent, le set a duré le temps qu'il fallait, mais, comment dire, c'était... bien. Prenez le ton de la marionnette de Zidane chez les Guignols: c'était bien - sans plus, sans enthousiasme particulier, sans passion. Girls a enchaîné des chansons connues (et d'autres, comme Life in San Francisco, qui n'étaient pas sur l'album) comme une suite identique de ballades plaintives assez peu crédibles - ou alors c'était moi et mon rhume qui étions à l'ouest. L'ennui m'a gagné dès que j'ai entendu C.Owen manquer cruellement de caisse. Autant, lors du concert de Beach House, le petit public amassé comme un banc de moules semblait en transe, autant les gens présents dans la salle pour Girls étaient statiques et mous. Je parle des auteurs du meilleur album de l'an passé, ce n'est pas rien. Il est donc facile de conclure que la déception est venue de l'attente excessive. Mais les meilleurs morceaux eux-mêmes sont passés inaperçus dans la foulée d'une interprétation monotone. De Laura je n'ai entendu que la guitare rythmique. Le micro du second guitariste (d'apparence un iroquois narcotique) était-il défectueux ou ont-ils baissé son volume? Quand au final bruitiste de Hellhole Ratrace, il était trop brouillon pour nous mettre en apesanteur. La sono étant ce qu'elle est par ailleurs.

Un peu déçu, mais heureusement, Le Prince Miiaou a compensé. Comme souvent, on se laisse surprendre par une première partie, dans la mesure où on n'en attendait rien. Le public a eu l'air d'apprécier autant que moi, même si les deux chansons en français étaient inaudibles et que, pour le peu que j'en ai compris, elles étaient d'une tournure littéraire dramatico-existentielle embarrassante - c'était comme d'entrer dans la psychologie embrumée d'une personne à qui font défaut la pudeur, le recul et cette vitalité primaire qui permet à tant de gens de cacher la profondeur de leurs souffrances, ou de les suggérer accidentellement sans s'appesantir sur les détails.
Tourgueniev détestait le hamlétisme, cette tendance toujours très en vogue, notamment chez les étudiants, à se préoccuper beaucoup des variations subtiles de ses états d'âme. Mais il détestait cela dans la mesure où il en souffrait lui-même et paraissait, en écoutant ces créatures empêtrées dans leurs maux, voir sa propre image, crue et peu reluisante, dans un miroir de vérité. Il en est de même pour moi. J'ignore ce qu'en a pensé le public, mon embarras est peut-être lié, finalement, à ma pudeur. Mais quoi qu'il en soit, le plaisir n'était jamais ruiné, car lorsque les paroles semblaient absconses la musique quant à elle terminait sur un bouquet final héroïque et galvanisant. Pour ce qui est des chansons anglaises, majoritaires, elles étaient non seulement excellentes mais en plus troublantes de conviction. Le Prince Miiaou a beau être le nom de scène d'une jeune femme un peu nerveuse, vraisemblablement intimidée par ce public inconnu qui est venu pour Girls - "ce n'est jamais facile de faire une première partie", dit-elle - elle se livre totalement sur scène, mélangeant son anxiété à une émotion brute qui m'a paru éclatante. Plus le concert avançait, plus ses yeux s'arrondissaient et brillaient. Dès la fin de la première chanson, elle criait avec conviction. C'est ce qui l'a rendue plus touchante que Girls: peut-être parce qu'elle débute encore, on n'a décelé aucune routine, mais une envie hurlante d'exposer ses chansons au monde. Reste maintenant à écouter le disque en détail (je suis en train de le faire) mais l'étape du concert était en tout cas enthousiasmante.

(à droite: photo de Robert Gil empruntée au webzine Popnews; je la choisis parce que c'est dans cet accoutrement qu'elle a fini le concert)













A la décharge de Girls, n'oublions pas qu'ils ont une série de plus de quarante concerts et que se déplacer exprès à Lille pour jouer devant seulement 70 (?) personnes, ce doit être assez frustrant, pour ne pas dire pénible.

mardi 16 mars 2010

The Virgin


La chanson de la semaine, pour la deuxième fois consécutive, est déjà vieille. The Virgin est une des quelques bonnes chansons de Gene Clark, un membre de la première heure du groupe américain les Byrds, groupe très sous-estimé en France et pourtant influent. Ni les Byrds, ni Gene Clark n'ont, il est vrai, une discographie irréprochable. Truisme qui s'applique néanmoins à tous les groupes. Dans leurs meilleurs moments, les Byrds sont égaux à Bob Dylan, mais la chose est assez rare. Il faut surtout chercher du coté de Sweetheart of the rodeo, co-écrit avec Gram Parsons. Pas l'un de leurs plus connus mais le teint doucement lumineux de ces petites chansons countrysantes en fait pourtant un classique. Cela n'exonère pas de s'intéresser aussi à leurs autres disques, même si the Notorious Byrds Brothers, considéré comme un incontournable, est très décevant. Brisons là avec les Byrds, que Gene Clark a tôt fait de quitter pour jouer en compagnie des frères Gosdin et enregistrer au passage une des plus belles chansons au monde (selon moi): Tried So Hard, qui a le défaut sur ce disque d'être interprétée trop modestement. Les versions qu'en ont gravés Yo La Tengo et, surtout, Fairport Convention sont nettement supérieures. Celle de Fairport Convention est tout bonnement divine, mais je me suis déjà étendu sur le sujet l'année dernière. Gene Clark a ensuite enregistré, à l'aube des années 70, des albums solos, dont le plus connu No Other évoque peut-être quelque chose pour vous. Personnellement c'est White Light, l'album noir, qui a attiré mon attention. Disque de musique folk simple, délicat, peu électrifié mais finalement plus moderne qu'un disque des Byrds. White Light appartient à cette catégorie souvent chanceuse d'albums qui suscitent l'intérêt de l'auditeur parce qu'ils démarrent en trombe sur un morceau magnifique. The Virgin est en effet le premier et meilleur titre de l'album. Les paroles sont à décrypter, je n'y ai pas prêté d'attention particulière, il s'agit certainement d'une chanson d'amour et de jeunesse - une certaine routine de la chanson folk et rock, que colportent nos troubadours. Seul Tried So Hard m'avait réellement plu par ses paroles (chose rare). Sur The Virgin, ce sont les inflexions de la voix, liées aux slides de la guitare, qui me séduisent. Maintenant, bonne écoute, et si d'aventure vous n'aimiez pas The Virgin, croyez-m'en, c'est que la musique folk(-rock) diffusée par ce blog n'est pas votre tasse de thé!

dimanche 14 mars 2010

Blueberry (Late of the Pier)

Avec Fool's Gold vendredi et Late in the Pier dimanche, ce blog n'aura jamais été aussi puéril. Mention spéciale au clip de Best in the class, petite sottise agréable mais effroyablement kitsch, nourrie des mêmes synthés cheap que les Fiery Furnaces mais très loin de la maturité intrigante du duo. Late of the Pier ressemblerait plutôt aux Klaxons. Ce qui rend Best in the class à peu près fréquentable c'est que la très jolie jeune fille qui affecte de chanter sur la vidéo l'est assurément.

Plus consistante est la ballade accidentée de Blueberry, aux accents kinksiens, mais qui dérive très vite sur tout autre chose. L'amalgame bizarre de fragments mélodiques ne se fait pas sans fracas: comme chez les Fiery Furnaces des sons électro servent de brusque transition entre les parties. Si la première écoute est déroutante - on a le sentiment qu'une belle chanson est gâchée par des choix de production douteux - son originalité un peu abrupte finit par s'estomper et laisser place à une chanson à tiroir singulière et atmosphérique. Sur Blueberry, Late of the Pier ressemble en tout cas à autre chose qu'un inoffensif produit pour collégiens. En quelques minutes, l'auditeur a traversé plusieurs styles musicaux impeccablement maîtrisés et ne s'est vautré dans aucun. Est-ce une voie à suivre pour la musique? Aura-t-on l'occasion, dès 2010, d'entendre de quoi sera composé leur prochain album? Je serais curieux d'y jeter une oreille en tout cas, et pas du tout bégueule.

vendredi 12 mars 2010

Fool's Gold


Les musiques les plus étrangères à notre environnement ont toujours besoin d'un petit temps d'incubation. Je crois bien avoir écouté Surprise Hotel il y a deux mois, par l'intermédiaire d'un clip estival et léger magnifiant l'illusion (dans le fond si libérale) du bonheur partagé par tous. Devant ces petites guitares calypso et ces paroles hebreu j'étais resté plus ou moins neutre d'humeur. La liesse, même chic et bon enfant, ne me touche pas trop. L'heure est à la révision de jugement, puisque le morceau a de nouveau croisé mon chemin et qu'il a cette fois libéré toutes ses vertus joviales. Hasard d'une ré-écoute qui a réveillé le souvenir vivant d'une sensation de bien-être et de plaisir, comme si au premier abord le cerveau n'avait pas voulu décrypter le message que la mémoire a gravé malgré tout.
Mais qu'est-ce que Fool's Gold? On ne peut pas ne pas dire un mot de présentation: ce n'est pas si fréquent, même depuis Vampire Weekend, que la tradition africaine (style, parait-il, éthiopien) et les USA convolent en noces musicales. En regardant une photo du groupe, je constate l'intention: ils sont nombreux, habillés léger avec t-shirt et chemisettes de couleurs différentes, comptent deux latinos et forment donc un ensemble bariolé et métissé, de connivence avec l'esprit pluri-culturel de notre temps et la saison estivale qui s'annonce. Un rayon de lumière baigne toujours leur visage. On dirait qu'ils vous convient à un grand barbecue.
A ce stade, deux écueils devraient m'alerter : l'appropriation de la culture africaine, qui dans mon jargon signifie une absorption de l'altérité dans les marges confortables du monde occidental. Bref, une forme de réduction de l'Autre au Semblable. Ce qui va de pair avec la superstructure si mielleuse de notre monde médiatique: tout le monde est content, tout le monde danse!
Cette rigidité intellectuelle, si jamais vous vous en étonnez, me vient de ma formation et je ne la porte heureusement que comme une paire de lunettes. J'ai aussi des yeux. Je vois à quel dogmatisme elle confine. Dans le même esprit, Daniel Darc et Mustang, dans un entretien pour Magic!, disaient que le reggae joué par des blancs est chose sacrilège et interdite. Et pourquoi l'initiative ne réfuterait-elle pas un jour le principe? D'autant que l'authenticité n'est pas toujours de bon aloi. On ne sait jamais bien qui s'en revendique, qui la manipule, de quelle marge elle dispose face à la tentation de l'identité sectaire ou du nationalisme. Aussi, la fusion d'une musique africaine avec l'indie-pop, même si elle rappelle par son principe les chimères de la world music (sans la charité complaisante), la mièvrerie des rencontres fantasmées entre un peuple et un autre, est tout compte fait un signe plutôt sain d'évolution, d'expressions croisées entre plusieurs mouvances qui ne pouvaient pas rester hermétiques indéfiniment. Honnêtement, qui se ne sentirait devenir plus léger en écoutant ce Surprise Hotel? Le disque de Fool's Gold, meilleur que Vampire Weekend, rend plus réelle et plus viable l'idée de la world music.

mardi 9 mars 2010

Coconut


Quiconque joue de la guitare sait comme moi qu'en enchaînant trois accords - pratique lassante et étonnamment répandue - il vous vient à l'esprit une ribambelle de chansons déjà enregistrées, voire déclinées sous d'autres versions taisant plus ou moins leur modèle. A moins d'avoir la mémoire courte, tout sonne comme du déjà entendu. La solution à l'impasse - et c'est pour ça que le rock se porte toujours bien - c'est la production. Avec des cycles réguliers, elle affiche des prétentions revues à la hausse: volontairement effacée lorsque reviennent les puritains du son (punk, retour du rock, etc) avec leur authenticité portée en étendard; étoffée lorsqu'à force de rejouer à dix ans d'intervalle les mêmes rythmes binaires on est bien obligé d'en admettre la relative pauvreté et de laisser alors au producteur le soin de prendre en charge une partie du boulot. Or, en ce moment, l'heure est à la mise en son, la prod' travaille daredare. Le rock des Hives, ça a bien fait marrer deux minutes, mais il montre vite ses limites; on ne remue pas 20 ans du popotin sur le même tempo. Après la fête vient donc un moment étrange, où la direction étriquée que certains évangélistes du punk avaient choisi vire au cul-de-sac. Alors, on dit que le rock est mort, sous-entendu qu'il reviendra dans 10 ans mais que pour le moment il faut aviser. Archie Bronson Outfit sort son 3ème album sur ces entrefaites, succédant à un Derdang Derdang pataud mais plébiscité.

Sont-ils conscients de la nécessité de s'adapter ou n'est-ce qu'un symptôme? En tout cas, les barbus d'Archie Bronson Outfit, qu'on croyait pourtant très humbles, ont laissé les commandes à un ancien de DFA, label électro, Tim Goldsworthy. D'où un son disco-punk, toujours agressif, mais largement plus élaboré qu'avant et globalement plus dansant. Mis au diapason de Mgmt et de cette époque très voyante, Archie Bronson Outfit vient d'offrir au même rock viril et laborieux ses nouvelles guêtres et parviennent - un comble en 2010 - à surprendre. Ils ne devraient pourtant pas: remis dans le contexte, ils ne font que suivre l'évolution attendue de l'époque. Ce n'est pas une totale révolution, mais un simple changement de teint, comme au revenir d'un séjour à l'étranger. Cependant, ils semblaient doués d'une si faible marge d'évolution qu'on en reste sans voix. Le groupe n'aurait jamais été capable, en 2006, de sortir un morceau atmosphérique aussi subtil que Hunt You Down. Mais prenons bien garde qu'il leur aura fallu 4 bonnes années pour refaire un disque. Rien n'a dû aller de soi: il a fallu commencer, pour accoucher d'un objet homogène qui ne soit pas qu'une tentative hasardeuse de rénovation, par penser un projet sur le long terme, le soupeser et le peaufiner. La réussite est là, pas absolument géniale - ABO reste un groupe de bûcherons dans l'âme - mais surclassant définitivement les anciennetés du groupe. Quand on sait que certains vouent un culte à Derdang Derdang (meilleur album de l'année 2006 pour eux), on se demande jusqu'où ira leur passion au sujet de Coconut. A moins qu'ils se soient lassés depuis. C'est notamment mon cas. En me procurant Coconut, je n'attends d'ailleurs rien de plus qu'un plaisir passager, puissant, compact, mais pas durable. Il est trop tôt bien sûr pour valider ce sage a priori. Mais, même en tenant à la prudence qui m'a manqué alors que j'affichais un peu vite mon amour de Derdang Derdang - que je n'écoute plus guère - il faut convenir que Coconut est garni. Globalement, la seconde moitié de l'album est meilleure que la première, ce qui est l'exact opposé du précédent, mais sur la première il y a Shark's Tooth qui annonce déjà la teneur du disque. Du rock héroï-comique gonflé aux amphétamines et lorgnant sur le dance-floor fantasmé des grottes de Lascaux. Le meilleur titre de l'album, Bite it and Believe it, a ce pouvoir de catharsis qu'on attend généralement d'Archie Bronson Outfit mais qui, auparavant, peinait à se réaliser complétement - or rien n'est pire qu'une catharsis inachevée. Le groupe a conservé ses rythmiques lourdes, son mid-tempo écrasant et le son rampant des guitares mais la production joue avec les effets comme un gosse avec les commandes imaginaires d'une navette spatiale. On se trouve bien vite propulsés sur orbite et ça, ça n'était jamais arrivé avec Archie Bronson Outfit. Excellent disque, donc, qui va permettre au groupe d'accéder à une plus large audience - ou une autre, tout simplement. Il fait bon de voir que les mots progrès et innovations ont un sens, dans un monde du rock toujours tiraillé par son complexe des trois accords.


lundi 8 mars 2010

New Seasons


Il n'est pas interdit, maintenant que les tops sont bouclés, de revenir sur un groupe anecdotique, mais pourtant très sympa, des années 00. Les Sadies ne sont pas connus dans l'Hexagone et ne le seront pas davantage à la suite de cet article, je le crains. Non que ce soit une lacune immense dans la culture musicale française mais ce petit groupe, qui a été épaulé par Jon Spencer (la tournée 2008 avec Heavy Trash), vaut le détour si d'aventure vous aimez les Byrds et Gram Parsons. Parce qu'alors là, vous tapez dans le mille. C'est exactement ça. Parfois trop même, mais qu'attendre en terme d'innovation d'un groupe qui au fil des ans s'engouffre plus profondément dans la country (voir leur myspace, et aussi leur disque avec John Doe)?
Nonobstant cette obsession vieillotte, cela fait un moment qu'on attend un nouveau disque des Sadies seuls. Les récentes collaborations, avec Jon Spencer, avec John Doe mais aussi pour le projet des sessions Jeffrey Lee Pierce, semblent en avoir retardé l'échéance. Il faut dire qu'en side-band, les Sadies trouvent un rôle taillé sur mesure. L'album avec John Doe, même s'il m'avait l'air ennuyeux, laissait voir l'humilité du groupe: talentueux pour la composition, virtuoses de la guitare, ils préfèrent offrir leur service plutôt que de s'obstiner à vivre dans une petite bulle fragile qu'ils savent de toute façon condamnée à rester secondaire. Les Sadies, c'est le groupe qu'on aimerait avoir pour nous accompagner sur disque. Ils se trouvent qu'ils ont quand même sorti, en 2007, un album assez magnifique, surprenant par ses emprunts à la musique psychédélique et sa parenté avec le Brian Jonestown Massacre, ce qui ouvre des horizons plus larges que la musique du village. Une belle pochette rougeoyante et une douzaine de bons morceaux plus Byrdsiens que McGuinn, dont un instrumental magnifique (Wolf Tones), avec ça on est loin de l'horrible Pink Mountain Rag de John Doe!

dimanche 7 mars 2010

My kingdom for a horse


C'est ce que chantait Mark Linkous en 95, reprenant une phrase de Shakespeare. Vivant en ermite dans son pays natal, la Virginie, parmi ses reptiles (c'est du moins l'image que véhiculait la rumeur), l'homme-groupe de Sparklehorse avait réuni en une quinzaine d'années une véritable confrérie de fans ardents, sensibles à ce qu'il leur murmurait dans le creux de l'oreille. De sa discographie, je ne connais que Vivadixiesubmarinetransmissionplot, clin d'oeil à un autre titre alambiqué: Swordfishtrombones, de son mentor Tom Waits. Il partageait avec ce dernier la volonté de se créer un univers bien à lui, décalé et personnel, mais n'en avait pas la voix écorchée et imbibée d'alcool.

Sans être un fan, son disque de 1995 me touche d'une manière bien particulière. Indie par la mise en son lo-fi et par la fragilité de la voix, Viva... croisait le blues, le folk et le rock moderne dans un mélange plus immédiatement à fleur de peau que soigneusement enregistré. C'est ce qui continue de faire la qualité brute de cette œuvre rêveuse et souvent douce (les guitares saturées y ont aussi leur place). En plus des qualités musicales, on y remarque surtout le travail de l'homme seul, celui qui bricole ses morceaux avec une débrouillardise d'autodidacte. Cela aussi le distinguait: une façon de faire, une patte. L'influence probable qu'il peut exercer sur un compositeur solo tient autant, sinon plus, à cette faconde qu'à son registre.

Il travaillait à un nouvel album, après l'opus collectif the Dark Side of the Night paru l'an passé.

vendredi 5 mars 2010

We Are Only Riders


Après une bien longue absence, motivée par un impondérable de taille, le retour sur Between the Lines of Age ne pouvait se faire sur une semi-déception (comme l'album des Strange Boys). Plutôt que de choisir entre les nouveautés que je n'ai pas écoutées, j'ai préféré vanter le mérite d'un disque à part. Qui s'occupe des tributes? A fortiori, qui dira l'intérêt d'écouter un disque hommage à un artiste qu'on ne connait pas? Pas familier du Gun Club - ce qui ne saurait tarder - c'est le nom des invités, et le caractère vraiment exceptionnel de leur rencontre, qui m'a attiré dans cet obscur Jeffrey Lee Pierce Sessions Project. Nick Cave, David Eugene Edwards, Mark Lanegan, les Raveonettes et les Sadies sur un même disque: la nouvelle surprend (mais pas tant, une fois qu'on a compris ce qui les reliait).

Quiconque connait les discrets Sadies - hélas virés country pure et dure depuis un moment - ne voudrait pas rater ça. Pris séparément, chacun des invités n'a pas la même place, évidemment, dans ma discothèque et je ne me vanterai pas d'avoir écouté ou acheté systématiquement leurs derniers disques. La dernière livraison des Raveonettes par exemple ne m'a pas emballé. Si le dernier album de Nick Cave et des Bad Seeds a ses moments (More News From Nowhere) je n'ai pas éprouvé le besoin compulsif de me le procurer. Quant à la chanteuse de Blondie, elle aussi de la partie, son nom n'est pour moi qu'une légère plus-value. Bref, c'est l'aspect collectif qui a attiré mon attention plus que le nom de Jeffrey Lee Pierce.
Les connoisseurs, en revanche, auront bien d'autres raisons de venir picorer ici, car en effet les morceaux présents sur ce tribute n'avaient jamais été diffusés auparavant. Ils viennent d'une vieille cassette qu'un proche, Cypress Grove, a déterré de son grenier. L'enregistrement défectueux empêchait la diffusion mais en revanche les chansons inachevées se prêtaient parfaitement au jeu de la reprise. Du coup, chacun avec des approches différentes, ces trois morceaux, Ramblin' Mind, Constant Waiting et Free To Walk, sont déclinés trois fois, dans des versions assez différentes pour écarter toute lassitude. Le procédé, bien sûr, reste assez contestable, mais le résultat est au-dessus des espérances bien maigres qu'on aurait pu placer dans un projet si branlant. A ces trois chansons s'ajoutent sept autres inédits, tous aussi bons les uns que les autres. Il n'y a strictement aucun déchet. Cela m'étonne d'écrire cette phrase, mais c'est comme ça: l'album est bon de la première à la dernière minute. Nick Cave lui-même, le Goethe de cette compilation, qui - seul petit bémol - fait un peu figure de marbre, ne surpasse en rien ses camarades. A la rigueur, c'est son interprétation, pourtant réussie, qui convainc le moins. Sa voix est majestueuse, mais elle se pose toujours comme une pierre sur du lichen, elle est lourde, épaisse, en cela impressionnante mais certainement moins vibrante que celles de David Eugene Edwards ou de Lydia Lunch.

Cette chicane exceptée, l'ensemble du disque se plait à varier de quelques nuances la position initiale de Jeffrey Lee Pierce, que le béotien parvient à restituer à travers les différents portraits qu'en brossent les invités.
Les Raveonettes, par exemple, sortent du lot constitué par Mark Lanegan, Nick Cave et DDE, tous trois assez proches, en livrant une version réverbérée et pleine de fuzz de Free To Walk qui, du coup, ne ressemble pas du tout aux deux autres avatars de cette chanson. Autre exemple de variantes audacieuses: Constant Waiting par John Dowd, qui martyrise le morceau jusqu'à le faire ressembler à du post-punk - complètement à rebours de la version folk de Mark Lanegan (qui s'est d'ailleurs surpassé).
Ailleurs, tout est bon: les Sadies, dans la veine de New Seasons et des Byrds; Crippled Black Phoenix, le plus indé de tous les groupes présents, qui tend à magnifier le coté épique des chansons, aidé en cela par DEE, identique à lui-même, peut-être parce que dès le départ il a élaboré son style sur des éléments du Gun Club; Mick Harvey, plus classique; et Cypress Grove qui fait flamber le disque: sa version de Ramblin' Mind est sans doute celle qui sera la plus à même de créer l'illusion auprès d'un fan de Jeffrey Lee Pierce. Pour les autres, de toute façon, elle constitue en soi un moment d'interprétation unique. Bon, maintenant, il n'y a plus qu'à s'intéresser à Jeffrey Lee Pierce lui-même.

Moment préféré: Just a Mexican Love, mais chacun sait déjà (ou saura) que j'adore absolument la voix de DEE.