La chanson de la semaine

mardi 9 mars 2010

Coconut


Quiconque joue de la guitare sait comme moi qu'en enchaînant trois accords - pratique lassante et étonnamment répandue - il vous vient à l'esprit une ribambelle de chansons déjà enregistrées, voire déclinées sous d'autres versions taisant plus ou moins leur modèle. A moins d'avoir la mémoire courte, tout sonne comme du déjà entendu. La solution à l'impasse - et c'est pour ça que le rock se porte toujours bien - c'est la production. Avec des cycles réguliers, elle affiche des prétentions revues à la hausse: volontairement effacée lorsque reviennent les puritains du son (punk, retour du rock, etc) avec leur authenticité portée en étendard; étoffée lorsqu'à force de rejouer à dix ans d'intervalle les mêmes rythmes binaires on est bien obligé d'en admettre la relative pauvreté et de laisser alors au producteur le soin de prendre en charge une partie du boulot. Or, en ce moment, l'heure est à la mise en son, la prod' travaille daredare. Le rock des Hives, ça a bien fait marrer deux minutes, mais il montre vite ses limites; on ne remue pas 20 ans du popotin sur le même tempo. Après la fête vient donc un moment étrange, où la direction étriquée que certains évangélistes du punk avaient choisi vire au cul-de-sac. Alors, on dit que le rock est mort, sous-entendu qu'il reviendra dans 10 ans mais que pour le moment il faut aviser. Archie Bronson Outfit sort son 3ème album sur ces entrefaites, succédant à un Derdang Derdang pataud mais plébiscité.

Sont-ils conscients de la nécessité de s'adapter ou n'est-ce qu'un symptôme? En tout cas, les barbus d'Archie Bronson Outfit, qu'on croyait pourtant très humbles, ont laissé les commandes à un ancien de DFA, label électro, Tim Goldsworthy. D'où un son disco-punk, toujours agressif, mais largement plus élaboré qu'avant et globalement plus dansant. Mis au diapason de Mgmt et de cette époque très voyante, Archie Bronson Outfit vient d'offrir au même rock viril et laborieux ses nouvelles guêtres et parviennent - un comble en 2010 - à surprendre. Ils ne devraient pourtant pas: remis dans le contexte, ils ne font que suivre l'évolution attendue de l'époque. Ce n'est pas une totale révolution, mais un simple changement de teint, comme au revenir d'un séjour à l'étranger. Cependant, ils semblaient doués d'une si faible marge d'évolution qu'on en reste sans voix. Le groupe n'aurait jamais été capable, en 2006, de sortir un morceau atmosphérique aussi subtil que Hunt You Down. Mais prenons bien garde qu'il leur aura fallu 4 bonnes années pour refaire un disque. Rien n'a dû aller de soi: il a fallu commencer, pour accoucher d'un objet homogène qui ne soit pas qu'une tentative hasardeuse de rénovation, par penser un projet sur le long terme, le soupeser et le peaufiner. La réussite est là, pas absolument géniale - ABO reste un groupe de bûcherons dans l'âme - mais surclassant définitivement les anciennetés du groupe. Quand on sait que certains vouent un culte à Derdang Derdang (meilleur album de l'année 2006 pour eux), on se demande jusqu'où ira leur passion au sujet de Coconut. A moins qu'ils se soient lassés depuis. C'est notamment mon cas. En me procurant Coconut, je n'attends d'ailleurs rien de plus qu'un plaisir passager, puissant, compact, mais pas durable. Il est trop tôt bien sûr pour valider ce sage a priori. Mais, même en tenant à la prudence qui m'a manqué alors que j'affichais un peu vite mon amour de Derdang Derdang - que je n'écoute plus guère - il faut convenir que Coconut est garni. Globalement, la seconde moitié de l'album est meilleure que la première, ce qui est l'exact opposé du précédent, mais sur la première il y a Shark's Tooth qui annonce déjà la teneur du disque. Du rock héroï-comique gonflé aux amphétamines et lorgnant sur le dance-floor fantasmé des grottes de Lascaux. Le meilleur titre de l'album, Bite it and Believe it, a ce pouvoir de catharsis qu'on attend généralement d'Archie Bronson Outfit mais qui, auparavant, peinait à se réaliser complétement - or rien n'est pire qu'une catharsis inachevée. Le groupe a conservé ses rythmiques lourdes, son mid-tempo écrasant et le son rampant des guitares mais la production joue avec les effets comme un gosse avec les commandes imaginaires d'une navette spatiale. On se trouve bien vite propulsés sur orbite et ça, ça n'était jamais arrivé avec Archie Bronson Outfit. Excellent disque, donc, qui va permettre au groupe d'accéder à une plus large audience - ou une autre, tout simplement. Il fait bon de voir que les mots progrès et innovations ont un sens, dans un monde du rock toujours tiraillé par son complexe des trois accords.


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