La chanson de la semaine

samedi 11 février 2012

X-Rock... vous souvenez-vous?



Je viens de retrouver un véritable trésor dans mes archives, et pour une fois il ne s'agit pas d'un disque... mais d'un magazine!


Vous souvenez-vous de X-Rock? Au mois d'aout 2003, l'éditeur français Pierre Veillet lançait le premier numéro d'une aventure qui était vouée à une trop prompte disparition*. Non seulement le web commençait déjà sa marche involontaire contre le monde de l'édition, mais de plus le marché était largement occupé par Rock'n'Folk, les Inrocks et Magic! (le triumvirat contre lequel il serait vain de lutter dans un pays qui ne compte pas tant d'adeptes de rock indé). Ces dix dernières années, plusieurs publications ont ainsi fait les frais de l'engorgement de la presse française. La dernière en date, Rock First, apparaît dans un contexte qui est encore moins favorable au journalisme rock que ne l'était l'époque assez faste de X-Rock.

Quand le premier numéro de X-Rock est apparu, le monde de la musique était en plein boom rock, avec le succès balbutiant des groupes en "the". C'est précisément cette effervescence créatrice qui a motivé la création du journal. Tablant sur l'apparition d'une nouvelle cible, l'éditeur a sans doute cru que le phénomène revivaliste serait pérenne et qu'une frange généralement jeune de la population éprouverait un besoin d'information exclusivement orienté sur cette nouvelle musique.
On pourrait croire qu'il avait eu du flair, on ne saurait d'ailleurs en avoir plus. Si l'affaire n'a pas marché comme prévu, ce n'est en aucun cas la faute du journal qui était bel et bien excellent. Tandis que Magic! snobait la nouvelle musique, que Rock'n'Folk recyclait ses vieilles marottes et que les Inrocks restaient trop généralistes, X-Rock adoptait une ligne éditoriale 100% revival rock agrémentée d'un sampler rempli de nouveautés excitantes. Le premier numéro, que j'ai entre les mains, est ainsi une vraie perle du genre et mérite que je m'attarde sur son contenu.

La Une du mag'

A l'occasion de l'événement de la sortie d'Elephant, c'est Jack et Meg White qui posent en couverture, avec la mention "éléphantesque!"

On apprend, entre autres choses, que le magazine renferme un dossier sur la scène new-yorkaise de 2003 et un documentaire sur Queens Of The Stone Age alors qu'ils sont de passage à Paris. En quatrième de couverture, une énorme pub pour BRMC, l'autre favori du journal, ne laisse planer aucun doute sur les choix musicaux de X-Rock.

 Le cd

Pour ceux qui aiment, la tracklist est alléchante. Je passe sous silence les groupes tombés aux oubliettes et ne retiens pour vous que ceux qui sont passés à postérité. Jugez-en par vous-mêmes:

1 - The Raveonettes, The Great Love Sound
3 - Black Rebel Motorcycle Club - High/Low
5 - Interpol - Obstacle 1 (Black Session Live)
6 - The Warlocks - Stickman Blues
8 - Yeah Yeah Yeahs - Black Tongue
9 - The Libertines - The Delanay
21 - The Black Keys - Hard Row

Certes, sur 21 titres, cela en fait beaucoup de dispensables et peu sont finalement parvenus jusqu'à nous. Mais observez la tracklist des Rock'n'Folk des dernières années et dîtes-moi combien ont cette tenue, ce coté d'anthologie.
A l'époque, je me souviens avoir finalement assez peu apprécié, hormis la b-side des Libertines et le morceau d'Interpol. Des groupes évoqués, je n'en connaissais aucun et pas un seul ne m'a incité à pousser l'investigation plus loin. Je préférais écouter Neil Young, Death In Vegas, Beth Gibbons et m'essayer un peu au jazz. J'aimais aussi les White Stripes, mais je n'avais aucune idée de leur appartenance à un quelconque renouveau du rock; je les assimilais plutôt à Nirvana, comme le suggère d'ailleurs l'édito de X-Rock.

Les interviews et les brèves

Dans le même numéro, on peut recueillir les paroles d'un grand nombre d'acteurs de la musique, qui ignoraient encore qu'ils seraient bientôt incontournables. Ainsi, on apprend que les Raveonettes, dont le premier album devait bientôt paraître, étaient fans de Suicide; que les Kings Of Leon écoutaient les Pixies, Built To Spill et les Go-Betweens (!) avant de découvrir le groupe qui allait changer leur vie, les White Stripes; que Pat Carney, des Black Keys, se mettait en colère à la seule évocation de Cream ou du Grateful Dead; que les White Stripes, qui venaient tout juste de sortir Elephant et qui faisaient la une du mag (ce pourquoi je l'avais acheté) se considèraient comme un groupe de folk; que Black Rebel Motorcycle Club prévoyait de passer 7 à 10 ans à Londres par solidarité envers un des leurs qui, s'il quittait le sol américain, n'avait plus le droit d'y rentrer.
Puis les Yeah Yeah Yeahs enchaînaient avec leur rapport au succès, les espoirs vite fondés en eux, tandis qu'un tour d'horizon des groupes new-yorkais était l'occasion pour certains d'exprimer leur avis sur une éventuelle scène rock (Interpol, The Rapture, James Murphy, Liars).
Enfin, deux dernières interviews, non des moindres, viennent clore cette partie: les Libertines, en pleine implosion, et the Kills, qui expliquaient pourquoi ils avaient pris VV et Hotel pour surnom.


Les chroniques

Là aussi, c'est plutôt riche. A croire que les mois d'aout et septembre 2003 ont été particulièrement prolixes. Je pense plutôt, sans avoir pris le temps de vérifier les dates de sortie, que la rédaction a fait le choix de passer en revue les disques parus aux alentours de l'été 2003, en repêchant parfois des albums légèrement antérieurs.

Au choix:

Take Them On, On Your Own (Black Rebel Motorcycle Club) 9/10
Chain Gang Of Love (The Raveonettes) 9/10
Magic And Medicine (The Coral) 8/10 (selon moi sous-noté, si on considère toutefois que les autres albums chroniqués n'ont pas été, eux, surcotés)
Lovers (The Sleepy Jacksons) 9/10
Movement (Gossip) 7/10

Welcome To The Monkey House (The Dandy Warhols) 7/10
Youth And Young Manhood (Kings Of Leon) 8/10
Phoenix (The Warlocks) 8/10

Bien entendu, j'en ai laissé certains de coté, parce qu'ils n'appartenaient pas vraiment à la même génération (Super Furry Animals, The National...) ou parce qu'ils sont moins importants (Hot Hot Heat, British Sea Power...)


Conclusion: le premier numéro de X-Rock devrait faire office de collector. Il semblerait que le magazine ne soit pas allé au-delà du 8ème numéro, après une première interruption à cause des pertes d'argent. Les suivants possèdent des unes au diapason de ce premier sommaire: The Strokes, BRMC, Kings Of Leon... De tous les magazines que j'ai achetés inutilement pendant la décennie, si je ne devais en garder qu'un, ce serait bien sûr celui-là. Et vous, vous en souvenez-vous? L'avez-vous acheté, lu ou bien simplement feuilleté? Et qu'en pensez-vous?

*Pour un descriptif précis, vous pouvez vous reporter au lien suivant.

samedi 4 février 2012

Lana Del Rey, Born To Die

Si Lana Del Rey se sent accablée par la critique, tandis que ni Lady Caca, ni les autres poufs ne montrent le moindre stigmate d'une blessure médiatique, c'est seulement parce que dans le cas précis de Lana Del Rey, la jeune et fragile chanteuse a eu la malchance d'attirer à elle un public souvent animé des plus mauvaises intentions et composé de la pire peste qui soit: les fans d'indie-pop. Aïe.



Quand on est, comme moi, un inconditionnel de musique alternative, on sait très bien que des amis pareils nous épargnent la peine de se faire des ennemis. Car, en effet, nous sommes généralement enclins à la sournoiserie, n'hésitant pas à répudier sans scrupule ce que nous avons d'abord innocemment aimés. Ainsi, ce sont souvent les premiers amateurs, ingrats, qui se sont retournés contre elle, autant par souci de leur propre crédibilité que par effarement devant le résultat surproduit de Born To Die.

Video Games et Blues Jeans nous ont plu par le charme vénéneux et par l'impression de langueur divine que laissait sa voix, rappelant à notre souvenir l'envoutement de Mazzy Star. Or, quelques semaines après la découverte, Born To Die, d'une beauté glacée et un peu solennelle, annonçait un tout autre programme.
 Comme Lizzy Grant le laissait entendre dans Blue Jeans, sa culture profonde vient du hip-hop. On en entend forcément des traces dans l'album, ne serait-ce qu'au niveau de la production. Certains morceaux, comme Diet Dew Mountain, flirtent ainsi - c'est moche à dire - avec le r'n'b. Bien sûr, comme c'est le r'n'b de Lana Del Rey, les gens bienveillants qui ont été les premiers thuriféraires de Video Games assurent avec la plus grande ouverture d'esprit que c'est du très bon r'n'b (quand ils l'auraient ignoré si Rihanna en avait été l'auteur). Mais la plupart, dotés d'une fermeté de goût inflexible, ne comprennent pas comment ils ont pu se leurrer le temps de quelques singles mirifiques. Lana Del Rey est ainsi devenu pour eux le nom d'un malentendu. Aussi pressé de renier qu'ils se sont empressés d'aimer, ils vouent maintenant la jeune diva inexpérimentée au bucher des vanités.
Mais ce n'est pas tout. Un autre malentendu s'agrège autour de son statut incertain de "diva": alors que sur disque, Lana Del Rey a une voix magnifique et modulable à souhait, elle semble se tromper d'octave sur scène (ce qui lui a valu bien des déboires après le Saturday Night Show, même si elle n'était pas parfaite non plus en France). Le verdict des détracteurs estimant que Lana Del Rey est un pur produit marketing, formaté pour le studio mais inefficace dans la "vraie vie", où l'imposture éclate au grand jour, s'en trouve renforcé.



Les critiques qu'essuie Lana Del Rey sont donc les conséquences fortuites de ces malentendus. Elle doit sa notoriété grandissante au type de public qui l'a découverte, parce qu'il joue un rôle actif dans les médias, mais elle doit également à cette même famille conflictuelle les parodies, les articles peu amènes et les allusions sarcastiques à sa bouche lippue.
Bien entendu, Lady Gaga est autrement insupportable, mais personne sur la blogosphère indé ne lui a accordé le moindre crédit. L'indifférence l'a donc préservée des critiques "élitistes", tandis que Lana Del Rey s'apprête, elle, à toucher un public encore plus large, qui va rogner jusque dans les marges, là où le hipster, aux aguets, est sur le point de dégainer. Lana Del Rey s'est donc trouvée affublée de prétentions indie et malheureusement pour elle il y a des gardiens du temple très durs avec ceux ou celles qui affichent des prétentions. Ils ne la rateront pas.
Ceux-là sauront-ils admettre que de la première à la dernière chanson, Lana Del Rey est époustouflante? Que Million Dollar Man est une immense chanson de trip-hop? Que des tubes FM comme Off The Races ou National Anthem, que les magasins H&M ou Promod apprécieront sans doute, n'enlèvent rien à Dark Paradise ou Blue Jeans, qui sont de grandes et belles chansons populaires?



Le problème de Born To Die est qu'il s'adresse à trop de monde et qu'on a perdu l'habitude de l'éclectisme. L'accoutumance aux catégories homogènes et imperméables a rendu malsaine l'idée d'une fusion entre le r'n'b et la pop indépendante. Qu'est devenue l'irréductibilité de chaque genre? Qu'est-il arrivé aux frontières pourtant réputées infranchissables qui séparaient NRJ de Bernard Lenoir? Celui qui a sincèrement adoré Video Games et Blue Jeans risque ainsi de retourner sa chemise à cause de Diet Dew Mountain et de quelques chansons d'un style ennemi. Faut-il lui en vouloir? Certains se soucient des frontières plus que de raison, sans doute, mais leur inquiétude n'est pas infondée: la démarcation des courants - comme des pays, des sexes ou des classes sociales - permet de satisfaire ce besoin entre tous humains de se forger une identité, même si elle doit rester figée.  Pour ma part, j'ai cette fois-ci tendance à me détacher de mes influences habituelles et à reconnaître que j'aime beaucoup la voix de Lana Del Rey - je ne parle pas en revanche de son image ou des paroles de ses chansons.
J'admire sa voix, sa langueur, sa flexibilité, tout en sachant qu'elle est peu responsable de la composition des morceaux. C'est là ce qui me déçoit et cela ne tient pas à la qualité des chansons, mais à cette politique de l'auteur-compositeur à laquelle j'attache beaucoup d'importance parce que mon éducation artistique est fondamentalement romantique: le génie personnel avant toute chose. Ici, il faut en convenir, c'est un vrai travail de groupe - dont la partie promotionnelle n'est pas la moindre... Mais le résultat est plus que convaincant: il impressionne.





mercredi 1 février 2012

Got It All, Portugal.the Man

Le premier événement musical de la nouvelle année n'a pas été pour moi la sortie d'un album (ça, c'est le deuxième), mais un concert. Les Black Keys, malgré leur succès, nous ont fait l'honneur de rattraper leur date annulée à Lille en janvier 2011. A l'époque, ils avaient argué de leur fatigue (en vérité, ils en ont surtout profiter pour composer El Camino...). Difficile de leur en vouloir, surtout quand on voit l'énergie qu'ils dépensent quotidiennement sur scène. Mais ils sont revenus et, cette fois, malgré une renommée grandissante, n'ont pas rechigné à donner le meilleur d'eux-mêmes devant un public sans doute moins considérable que dans une capitale quelconque d'Europe.
En effet, le Zénith n'était pas archi-plein: l'arc de cercle qui entoure la fosse laissait une bonne marge pour s'ébattre et même se promener tranquillement. Cela n'a pas empêché Dan Auberach et surtout Patrick Carney (dont je suis devenu un admirateur) de se dépenser sans compter. Placé du coté de la batterie, j'ai essayé, à force de coups d'œil, de mieux regarder le guitariste (tout en regrettant de l'entendre moins que la caisse et les cymbales) avant de comprendre la chance que j'avais de pouvoir observer derrière les fûts un batteur aussi admirable que Pat Carney. Si certains ont appris la guitare après avoir écouté un concert de rock, nul doute que Pat Carney ne déclenche des vocations de batteur.



Si vous y étiez, sachez que vous pouvez écouter l'intégralité du concert sur Youtube grâce à quelques internautes qui, pour la bonne cause, ont passé le concert caméra en main (les pauvres...)

Mais ce n'est pas le sujet de l'article. Le concert des Black Keys a permis à l'assistance de découvrir un groupe méconnu, tout comme le pays dont il est originaire: l'Alaska. Je ne suis pas sûr que beaucoup y aient pris plaisir. Si les gens s'amassent pour les Black Keys, ils font la queue à la buvette lors de la première partie. Moi-même je regrette l'organisation des concerts: au lieu de mettre dans l'ambiance, la première partie épuise mon capital écoute et atténue l'effet de la tête d'affiche. Le choc d'un concert vient souvent, en premier lieu, du volume sonore écrasant. La première impression est celle du sol qui tremble. C'est pourquoi le groupe qui sert de hors-d'œuvre a toutes les chances de provoquer une libération d'adrénaline, tandis qu'au moment où les techniciens préparent la scène pour le second, vous êtes déjà rassasiés; l'accoutumance a émoussé vos sensations.

Le groupe qui a ouvert la soirée s'appelait Portugal. The Man. Un nom repoussoir comme l'indie-rock en a pris la fâcheuse habitude. Un nom qui veut dire quelque chose, bien sûr, mais dont le principe est fumeux (le motif invoqué pour le choix de ce nom improbable est qu'un groupe peut être perçu comme l'union de plusieurs hommes en vue d'en former un seul, de même que n'importe quel pays peut, à l'échelle mondiale, compter pour une voix). Ils trouvaient que ça sonnait bien; ils ont eu tort. Peut-être est-ce pour cette raison qu'au bout de huit ans de tournée et d'albums (ils en sont au 6ème), le groupe n'a toujours pas récolté le fruit de ses efforts. Personnellement, avec un nom pareil, je n'aurais jamais écouté.



Le morceau d'entame a distillé une ambiance stoner, pesante et dangereuse, comme Black Rebel Motorcycle Club. Petit à petit le groupe a évolué vers un son plus pop et une chanson mélodique s'est révélée entre toutes: Got It All. A coup sûr un single, me suis-je dit. Il avait un air de déjà-entendu, comme un truc des Beatles ou de T.Rex auquel j'aurais volontiers ajouté un chœur de gospel. La version studio me fait le même effet familier et immédiatement enchanteur. J'apprends que le groupe est fan de Bowie, de Pink Floyd et qu'il s'est adjoint les services d'un mixeur ayant orienté l'album vers un son pop-rock. Cela conforte mes impressions: à partir d'une culture psyché, Portugal.The Man a accepté le moule de la pop. Et le résultat est bon. On commencera donc l'année nouvelle avec un tube oublié de la précédente. N'est-ce pas souvent le cas?






samedi 3 décembre 2011

El Camino, The Black Keys

Honnêtement, si l'album des Black Keys ne devait pas sortir le 6 décembre j'aurais bouclé mon top de fin d'année dès le mois de novembre - et encore, en octobre il était prêt. Pour moi, la page est tournée. Depuis Girls en fait. Et je ne dis pas que ce dernier est un chef d'œuvre, ou même un grand disque, mais c'est le seul album à présenter aussi bien, le seul qui me fasse dire "ça, c'est un album". A l'ancienne, si vous voulez, avec un début, une fin, et un parcours entre les deux qui soit cohérent. Le reste, c'est du mp3. Pourquoi? N'est-ce pas "vite emballé, vite pesé"? Je reconnais que ce sont des jugements à l'emporte-pièce, mais il y a un truc dans l'album de Girls qui me rappelle ce que j'ai toujours attendu d'un disque de rock: non seulement des morceaux qu'on réécoute dans le détail, des soli de guitare (c'est un impératif pour moi), mais aussi ce coté "monolithe" de l'ensemble qui rend la sortie d'un album plus événementielle. Eh bien, le nouveau Black Keys, arrivé à grand renfort de propagande, est de ceux-là. La réputation du groupe est telle, désormais, que de toute manière l'arrivée d'El Camino ne pouvait pas se faire en catimini. Mais au-delà de l'attente d'un public nombreux, il y a cette série de hits, des morceaux préparés exprès pour frapper un grand coup, intimider, désarmer, conquérir les radios.



Lonely Boy nous y a mal préparés. Cette chanson, bonne mais banale, ne faisait que perpétuer de façon routinière la faconde des Black Keys depuis qu'ils ont décidé de groover. Les cinq chansons offertes en streaming par le groupe, en échange d'une inscription sur sa weblist, n'étaient d'ailleurs pas toutes excellentes. Gold On The Ceiling, comme Run Right Back, sont empreintes d'une lourdeur blues-rock seventies assez lassante. Quand on sait que les Black Keys ont fricoté avec ZZ Top, on ne s'en étonne pas. Heureusement deux morceaux se hissaient au-dessus du lot: Sister, imparable, et surtout Little Black Submarine. Pour cette dernière, l'impression d'un calque de Stairway To Heaven laissait quand même présager d'une panne d'inspiration. Mais après de nombreuses écoutes et après comparaison avec Led Zeppelin, j'en suis venu à la conclusion que Little Black Submarine est un très grand morceau de guitare, un modèle pour apprentis. Que les Black Keys soient devenus des pros, comme les Stones en leur temps, est ce dont cette chanson atteste.



La suite est parfois démentielle. Le site Grooveshark a révélé que Dan Auerbach et Patrick Carney avaient gardé le meilleur pour la fin. Pour le prochain single, le duo d'Akron aura l'embarras du choix: Dead and Gone, Mind Eraser, Stop Stop, Money Maker? Les deux premières sont les chef d'œuvres de l'album - et je n'ai pas encore écouté Nova Baby ni Hell Of A Season.
Maintenant je peux boucler mon top, et je ne crois pas prématuré de dire que El Camino sera sur la plus haute marche.

samedi 29 octobre 2011

Used To Own: 1.New Order

Revendre des disques est un acte rituel chez le collectionneur, l'un des multiples visages de sa passion. Car collectionner n'est pas accumuler sans fin mais, parfois, se resserrer sur l'essentiel, éliminer les disques parasites - en un mot: sélectionner.

Fondamentalement, on peut dire que l'âme du collectionneur est tiraillée entre l'accumulation (horizontale) et la sélection (verticale). Un principe démocratique le dispute sans cesse à un accès d'élitisme. Aussi, quand ce dernier prédomine, l'amateur se décide-t-il à vidanger l'étagère, dans la logique comptable du gain d'espace mais également avec l'idée maniaque d'un ordre, d'une hiérarchie des disques où chacun aurait sa place et dont l'intrus devrait être évincé. J'ai ainsi en ma possession un certain nombre de disques dont l'usage s'est raréfié, quand il n'a pas été inexistant dès l'abord, or je ne vois pas d'un bon œil leur cohabitation avec mes favoris.

"On ne vit pas à coups de chef-d'œuvres" pourrait-on me rétorquer. C'est vrai. Cela dit il est tout aussi vrai de dire qu'il existe des albums sans intérêts, achetés sur la foi d'une seule chanson ou, pire, d'une critique (à l'époque où je croyais aux "classiques" - coïncidence, c'était quand l'adsl n'existait pas chez moi: il y a un lien direct entre la "croyance" et l'absence de connexion. L'accès libre à internet limite fortement l'argument d'autorité, du moins en musique). Les promotions "prix verts" de la fnac ont eu le même effet: achetés par 4, les disques valaient moins chers, ce qui a enrichi ma collection d'une variété de nullités considérables (jusqu'à Sonny & Cher, le premier RHCP...).

Là n'est pourtant pas la question du jour. Dans une phase de sobriété, d'inhibition du réflexe consumériste, peut-être même devrais-je dire dans un moment d'ascèse, je me suis débarrassé de disques que je n'aurais JAMAIS dû revendre! De même qu'on devrait réfléchir à deux fois avant d'acheter, il faudrait réfléchir à deux fois (voire plus) avant de se démunir de ses biens matériels. Tant qu'à faire, une fois qu'on les a...

1 - Get Ready - New Order (2001)

Quelle erreur, quand j'y songe, d'avoir refourgué à un passant, pour la modique somme de 4 euros, lors d'une brocante villageoise, un disque de la trempe de Get Ready. Jamais je n'aurais dû oublier qu'à l'origine je l'avais aimé (car ce qu'on a aimé une fois, on peut l'aimer deux fois). Pourquoi n'ai-je pas pensé à Crystal, à 60 Miles an Hour, à Vicious Streak, Primitive Notion, Rock the Shak, Run... c'est-à-dire, en fin de compte, à presque tous les morceaux de l'album? Ce n'est donc pas comme s'il n'y avait qu'une perle discrète enfouie sous la boue.
Il m'est arrivé de concevoir à propos de New Order l'équivalent d'un préjugé, sauf qu'il s'est formé a posteriori. Ce qui n'est, je l'avoue, pas très cohérent. L'histoire, c'est que Get Ready m'avait enchanté à sa sortie, alors que j'ignorais tout du groupe. Puis, j'ai découvert Joy Division, pour lequel j'ai nourri pendant un an une passion morbide, depuis largement révolue. J'ai alors vu en New Order (les continuateurs) une sorte de sous-Joy Division - les albums à connotation électronique m'ont d'ailleurs conforté dans cette opinion. Par la suite, je n'ai plus juré que par les disques antérieurs aux années 80. Du coup, j'ai oublié Get Ready. L'album, emporté par ma médisance, a subi le reniement le plus absurde qui soit. Ce n'est que bien des années plus tard, c'est-à-dire récemment, que j'ai éprouvé l'envie, ou la curiosité, de le réécouter. Au fond de moi, je savais qu'il était et resterait un très bon disque, plus proche de la production d'ensemble des années 00 que de la musak synthétique originelle.

C'est peu de dire que cet album de vieux (le groupe avait déjà 20 ans d'existence) sonne très jeune! Jamais des vétérans n'avaient rafraichi à ce point leur style - leurs premiers disques passeraient même pour des albums de vieillesse en comparaison. L'épreuve de la sélection naturelle (ou sélection culturelle) est donc réussie avec brio. Il me suffit d'évoquer Is This It, paru la même année, pour soutenir l'idée que Get Ready est de plein pied dans la décennie à venir, qu'il est cool et jeune comme le disque des Strokes. Impossible en l'écoutant d'imaginer la longue histoire de Cook et Sumner. On les dirait plutôt nés de la dernière pluie. La pochette témoigne parfaitement de cette intelligence du temps, qui ne paraît même pas opportuniste: il semblerait plutôt que New Order ait enfin sorti, 20 ans après ses débuts, l'album dont il rêvait. Tout en affirmant son goût pour la modernité et ses accessoires hi-tech, le groupe renouvelle son esthétique à grands renforts de pose androgyne. On retrouve les mêmes coloris sur la pochette (blancheur impersonnelle) mais l'habillage est plus jeune. Le contenu se calque sur cette évolution: une couleur musicale intacte, mais rehaussée par une production plus moderne. D'années en années, des formes successives ont ainsi dessiné un "esprit" New Order, mais celui-ci ne s'est pleinement révélé (selon moi) qu'avec Get Ready.


dimanche 9 octobre 2011

The War On Drugs - la country de l'espace

Wagonwheel Blues faisait partie des albums qui, en 2009, avaient totalement relancé mon intérêt pour le rock alternatif. Rien que pour ça je dois une fière chandelle à ces groupes qui, chacun à leur manière, ont replacé l'Amérique au centre de l'univers indé. Sans l'impact de Kurt Vile, Girls, Crystal Stilts et the War On Drugs pour me sortir la tête du trou, je serais peut-être arrivé, à force de déterrer les vieilles babioles des collectionneurs, à racler le fond de la croûte continentale. Mes nouvelles inspirations ont eu le mérite de me faire remonter la pente jusqu'aux années 90, c'est-à-dire à mon adolescence, et non plus à celle de mes parents.

Mais l'histoire risque malheureusement de s'arrêter là pour la plupart des groupes qui ont eu cet effet régénérateur. Ou elle continuera sans moi, dans la demi-pénombre de l'indie-rock pour minorités culturelles. Des groupes cités, seul Girls semble résolu à suivre le chemin de la réussite. Les autres sont en train de glisser. Crystal Stilts abuse de la réverbération jusqu'à rendre tout à fait désuète chacune de leurs chansons - devenues des gadgets vintage -, Kurt Vile et les War On Drugs, eux, empruntent la même direction médicamenteuse et amorphe, tandis que Best Coast, Dum Dum Girls et Vivian Girls n'ont guère plus d'intérêt à force de piailler. Brève étincelle dans la nuit de la pop, cette galaxie semble avoir déjà vécu. Elle décline, par atrophie de ses parties. Aucun désir d'expansion ne semble motoriser ces groupes qui préfèrent se confiner dans leur statu quo, végéter, lamentables, comme des plantes privées d'air et rabougries.

The War On Drugs était pourtant celui dans lequel j'avais placé le plus d'espoir, parce que leur premier album, malgré quelques longueurs, contenait des hits potentiels, mal arrangés et souvent crapoteux mais très entraînants, à l'image de Arms Like Boulders.
Slave Ambient n'a pas totalement renoncé à ces fulgurances (voir Baby Missiles, avec cette impression d'entendre l'harmonica de l'espace - ou de la country dans la Guerre des étoiles!) mais il ne les a pas portées vers plus de perfection et de plus, les a raréfiées. Il faut attendre Blackwater pour retrouver un élan.
L'album n'est pourtant pas raté: aux oreilles attentives il offre même des passages de guitare affriolants (Best Night) et il ressemble trop à Wagonwheel Blues pour s'avérer un échec complet. Mais il ne s'en émancipe pas assez non plus pour tenir ce qu'on a pris déraisonnablement pour des promesses. Je suppose que je finirai quand même par l'acheter, parce que dans le genre, il n'y a pas grande concurrence (reconnaissons leur originalité) mais je reste déçu qu'ils ne profitent pas plus de ce monopole.


Voilà donc mon sentiment mitigé sur cet album qui, paradoxalement, trustera les premières places de mon classement de fin d'année, à cause d'une poignée de titres, de son ambiance unique, et aussi, avouons-le, de la parenté avec une culture indé que j'aime (Galaxie 500, Spiritualized) et qui titille toujours cette partie du cerveau dévolue à la mémorisation des expériences agréables.

jeudi 29 septembre 2011

Portamento

The Drums sont à la musique ce que le style "ligne claire" est à la bande-dessinée. Forcément moins impressionnante que le travail touffu et hyper-réaliste d'un Alex Ross (dessinateur virtuose de Marvel), on lui doit quand même les meilleurs albums, les Tintin, Blake et Mortimer et cie, tout ce qui a un impact immédiat et durable sur le public. Se mettre sobrement au service du propos, autoriser une lecture fluide et instantanée du message, telles sont les raisons qui conduisent la majorité des gens à la préférer aux tentatives trop ambitieuses. Les mass media nous apportent quotidiennement le témoignage que le grand public n'aime pas perdre son temps en contemplation. Aussi la pop est-elle toujours plus pop lorsqu'elle vise en plein dans le mille, sans détours.
Le sachant bien, l'objectif des Drums est depuis le début de produire une musique pop simple, épurée et accrocheuse. La première fois, c'était avec le tube Let's Go Surfing, qui les avait consacrés "garçons de plage" - appellation commode et souvent injuste car si on écoute bien Summertime, on s'aperçoit que la tristesse menaçait déjà de s'épanouir. Elle le faisait alors à la manière ostentatoire et naïve des bluettes; le premier degré de Down By The Water avait quelque chose de factice, comme un vieux tube des 50'. Mais il s'agissait d'un indice qui aurait dû nous aiguiller: les Drums ne sont pas Dan et Dean et ils ont souvent le cœur triste; ils ne dégustent pas une Vanilla Cream les pieds enfoncés dans le sable chaud, mais se promènent plutôt en parka dans les rues de Mandchester.
Ils ont l'humeur anglaise, l'esprit plein de brumes. Pour autant, ils le disent simplement, avec cette fonction d'éclaireur qui dissipe les ombres, qui illumine un sentiment d'une lumière crue.



Aujourd'hui, ce sentiment s'est accentué. Certains titres, par exemple, ont perdu la fraîcheur spontanée du premier album (c'est le cas du déprimant Searching For Heaven, avec ses synthés inquiétants). La pochette flippante de l'album, remake de l'Exorciste, est presque un choc visuel - à mille lieu de toute candeur. A première écoute, If He Likes It Let Him Do It n'évoque en rien le sentiment amoureux, encore moins la légèreté ailée du désir. Conclusion: les Drums ont l'air d'aller mal. In The Cold ressemblerait presque à the Cure, c'est dire. Mais une chose demeure inchangée: le fameux style "ligne claire" dont je parlais plus haut. Cette esthétique est tellement nette que l'auditeur y revient toujours, comme si les Drums avaient plus de réalité que d'autres. Leur disque est plus frontal, plus rond, plus "concret" que les albums sortis cette année. Il a comme qualité foncière d'exister plus que bien des disques.
Objectivement, je crois exagérer; le revers de la médaille sera toujours le manque d'ampleur. On ne peut pas faire dans le minimalisme, avec un synthé très gadget et un guitariste adepte du corde à corde, voire du surplace (genre, je joue les notes dans un sens puis je les balaye dans l'autre) et dans le même temps sortir un chef-d'œuvre de richesse harmonique. Techniquement, l'album est des plus mineurs. Mais il a un charme énorme.
Prenons un exemple: How It Ended. Par elle-même simplissime comme de la twee-pop, cette chanson est transcendée par quelques chœurs légers et nostalgiques. Money est quasiment génial pour les mêmes raisons: elles tiennent à des riens, des petits détails qui subliment une composition rudimentaire. Et ce n'est pas le rapprochement avec Morrissey qui me fera écrire autant de bien de cette chanson (leur meilleure, sans doute), car je crois sincèrement que l'élève égale le maître. L'ouverture de l'album, de toute façon, est somptueuse et surpasse largement les antécédents du groupe. Des cinq premières chansons, rien n'est à jeter. Book Of Revelation et ses paroles touchantes sur l'émancipation, Days, avec cette ligne superbement chantée: "I've could been your mother (...) your twin brother"... D'une voix claironnante, limpide comme l'esthétique du groupe.