La chanson de la semaine

samedi 4 février 2012

Lana Del Rey, Born To Die

Si Lana Del Rey se sent accablée par la critique, tandis que ni Lady Caca, ni les autres poufs ne montrent le moindre stigmate d'une blessure médiatique, c'est seulement parce que dans le cas précis de Lana Del Rey, la jeune et fragile chanteuse a eu la malchance d'attirer à elle un public souvent animé des plus mauvaises intentions et composé de la pire peste qui soit: les fans d'indie-pop. Aïe.



Quand on est, comme moi, un inconditionnel de musique alternative, on sait très bien que des amis pareils nous épargnent la peine de se faire des ennemis. Car, en effet, nous sommes généralement enclins à la sournoiserie, n'hésitant pas à répudier sans scrupule ce que nous avons d'abord innocemment aimés. Ainsi, ce sont souvent les premiers amateurs, ingrats, qui se sont retournés contre elle, autant par souci de leur propre crédibilité que par effarement devant le résultat surproduit de Born To Die.

Video Games et Blues Jeans nous ont plu par le charme vénéneux et par l'impression de langueur divine que laissait sa voix, rappelant à notre souvenir l'envoutement de Mazzy Star. Or, quelques semaines après la découverte, Born To Die, d'une beauté glacée et un peu solennelle, annonçait un tout autre programme.
 Comme Lizzy Grant le laissait entendre dans Blue Jeans, sa culture profonde vient du hip-hop. On en entend forcément des traces dans l'album, ne serait-ce qu'au niveau de la production. Certains morceaux, comme Diet Dew Mountain, flirtent ainsi - c'est moche à dire - avec le r'n'b. Bien sûr, comme c'est le r'n'b de Lana Del Rey, les gens bienveillants qui ont été les premiers thuriféraires de Video Games assurent avec la plus grande ouverture d'esprit que c'est du très bon r'n'b (quand ils l'auraient ignoré si Rihanna en avait été l'auteur). Mais la plupart, dotés d'une fermeté de goût inflexible, ne comprennent pas comment ils ont pu se leurrer le temps de quelques singles mirifiques. Lana Del Rey est ainsi devenu pour eux le nom d'un malentendu. Aussi pressé de renier qu'ils se sont empressés d'aimer, ils vouent maintenant la jeune diva inexpérimentée au bucher des vanités.
Mais ce n'est pas tout. Un autre malentendu s'agrège autour de son statut incertain de "diva": alors que sur disque, Lana Del Rey a une voix magnifique et modulable à souhait, elle semble se tromper d'octave sur scène (ce qui lui a valu bien des déboires après le Saturday Night Show, même si elle n'était pas parfaite non plus en France). Le verdict des détracteurs estimant que Lana Del Rey est un pur produit marketing, formaté pour le studio mais inefficace dans la "vraie vie", où l'imposture éclate au grand jour, s'en trouve renforcé.



Les critiques qu'essuie Lana Del Rey sont donc les conséquences fortuites de ces malentendus. Elle doit sa notoriété grandissante au type de public qui l'a découverte, parce qu'il joue un rôle actif dans les médias, mais elle doit également à cette même famille conflictuelle les parodies, les articles peu amènes et les allusions sarcastiques à sa bouche lippue.
Bien entendu, Lady Gaga est autrement insupportable, mais personne sur la blogosphère indé ne lui a accordé le moindre crédit. L'indifférence l'a donc préservée des critiques "élitistes", tandis que Lana Del Rey s'apprête, elle, à toucher un public encore plus large, qui va rogner jusque dans les marges, là où le hipster, aux aguets, est sur le point de dégainer. Lana Del Rey s'est donc trouvée affublée de prétentions indie et malheureusement pour elle il y a des gardiens du temple très durs avec ceux ou celles qui affichent des prétentions. Ils ne la rateront pas.
Ceux-là sauront-ils admettre que de la première à la dernière chanson, Lana Del Rey est époustouflante? Que Million Dollar Man est une immense chanson de trip-hop? Que des tubes FM comme Off The Races ou National Anthem, que les magasins H&M ou Promod apprécieront sans doute, n'enlèvent rien à Dark Paradise ou Blue Jeans, qui sont de grandes et belles chansons populaires?



Le problème de Born To Die est qu'il s'adresse à trop de monde et qu'on a perdu l'habitude de l'éclectisme. L'accoutumance aux catégories homogènes et imperméables a rendu malsaine l'idée d'une fusion entre le r'n'b et la pop indépendante. Qu'est devenue l'irréductibilité de chaque genre? Qu'est-il arrivé aux frontières pourtant réputées infranchissables qui séparaient NRJ de Bernard Lenoir? Celui qui a sincèrement adoré Video Games et Blue Jeans risque ainsi de retourner sa chemise à cause de Diet Dew Mountain et de quelques chansons d'un style ennemi. Faut-il lui en vouloir? Certains se soucient des frontières plus que de raison, sans doute, mais leur inquiétude n'est pas infondée: la démarcation des courants - comme des pays, des sexes ou des classes sociales - permet de satisfaire ce besoin entre tous humains de se forger une identité, même si elle doit rester figée.  Pour ma part, j'ai cette fois-ci tendance à me détacher de mes influences habituelles et à reconnaître que j'aime beaucoup la voix de Lana Del Rey - je ne parle pas en revanche de son image ou des paroles de ses chansons.
J'admire sa voix, sa langueur, sa flexibilité, tout en sachant qu'elle est peu responsable de la composition des morceaux. C'est là ce qui me déçoit et cela ne tient pas à la qualité des chansons, mais à cette politique de l'auteur-compositeur à laquelle j'attache beaucoup d'importance parce que mon éducation artistique est fondamentalement romantique: le génie personnel avant toute chose. Ici, il faut en convenir, c'est un vrai travail de groupe - dont la partie promotionnelle n'est pas la moindre... Mais le résultat est plus que convaincant: il impressionne.





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