La chanson de la semaine

mercredi 21 juillet 2010

The Xx


Ceci est un texte oublié. Il dormait dans mes archives personnelles depuis ce temps où la chaleur ne rendait pas encore moites nos corps, où la terre était nue et fraîche. Il fait l'effet d'un glaçon dans l'été.

"Mais... Il est mardi et toujours pas de chanson de la semaine? Oui, le temps me manque. Dehors la neige n'a pas fondu. Pas très loin de chez moi il y a des champs. La vue est imprenable, à toute heure, spécialement au coucher de soleil, mais en cette période neigeuse n'importe quelle heure de la journée prend des allures étranges et sidérales. C'est un temps à écouter Norway de Beach House. Mais je souhaite varier les plaisirs. Encore inouïs sur ce blog, les Xx feront l'affaire. Je vous propose plutôt Infinity que VCR. Son titre, éloquent, se mêle aux impressions d'un hiver sans fin. Pour les accompagner, il aurait bien fallu une aurore boréale.

Inutile de les présenter, vous les connaissez tous. Je n'ai pas parlé d'eux l'an passé. Je les ai découverts, brièvement, par le biais d'un show télévisé qui manifestait de façon ostentatoire sa vocation promotionnelle, avec publicités et effets de lumière bidons. Flairant le coup marketing, j'ai fait la moue. Mais certains morceaux sont troubles et malaisés à définir, investissant une place ténue et instable entre la new-wave, le r'n'b, la dream (pas la dream-pop, mais la dream music, ce style de musak electro qui envahissait un temps les supermarchés), ce qui fait que tout en étant d'abord sceptique, leur identité fragile et illimitée finit par toucher timidement l'auditeur. Ils ont en plus un certain naturel: leur disque ne ressemble pas à l'assemblage stéréotypé des musiques qui les ont influencés mais à un truc plus intime, empruntant partout sans borner leurs horizons. Le résultat est pourtant homogène et même, dans les moments moins palpitants, carrément monotone. Leur premier album, imparfait mais séduisant, a donc comme paradoxe de répéter la même formule (et en premier lieu de l'avoir trouvée) tout en donnant le sentiment que le groupe vit dans un paysage musical très large."

vendredi 16 juillet 2010

The Coral

Il y a deux jours, j'ai eu la dent dure avec le dernier album des Coral. Il y a bien sûr de bonnes et mêmes d'excellentes raisons à cela. Mais soyons honnêtes, Butterfly House n'est pas totalement répugnant, il se laisse même écouter, bien que, d'une façon oblique, ce soit là son principal tort. En fait, pour qui a la faiblesse de goûter au folk-rock doucereux et lumineux des Byrds, cet ultime effort présente quelques qualités louables. Mais cette pop gentillette aux allures de pastorale a-t-elle une finalité plus relevée, plus universelle, plus admirable enfin, que de plaire à deux ou trois toqués tels que moi perdus dans la solitude de leur niaiserie? Pour cette raison, j'avoue, j'ai honte d'écouter à l'instant même, avec un certain plaisir, Sandhills.
Mais brisons-là: je ne tresserai pas de louanges à l'adresse d'un disque que j'ai préalablement - et avec la tête froide - démonté en miettes. Butterfly House ne mérite que les éloges des néophytes, pas celui d'un fan des Coral. Quoiqu'à la vérité j'aie dit beaucoup de mal, cette mauvaise foi avait des fins utiles. La première d'entre elles était de ne pas juger ce groupe sur la foi d'un album, comme trop de gens risquent de le faire; la seconde était de recentrer l'attention du public sur leur premier album. Si en aucune manière j'y parvenais, je pourrais m'estimer satisfait et fier de mon travail.
Voici réunies plusieurs chroniques que j'ai écrites en l'honneur de The Coral, 2002. Assemblés ici même et lus en une fois, ces textes zélateurs risquent de décourager l'homme sobre qui, par hasard, y jetterait un œil curieux. Je ne peux toutefois pas m'excuser pour ce ton dithyrambique car, vraiment, je n'ai jamais rien entendu de meilleur, sauf quand, en 2000 je découvrais Ok Computer. Histoire de situer le niveau...


Dans le fond, quand on parle des Coral, autant se référer au premier disque. Cela évite de dire des âneries. Je les trouvais d'abord impressionnants mais un peu trop horlogers (Magic and Medicine), puis modernes mais casse-tête (Nightfreak), enfin j'ai trouvé un excellent groupe à single (Singles Collection). Il était juste temps de trouver l'album parfait. Ou presque, je ne saurais oublier que Skeleton Key, même si elle est marrante, file le tournis. Et puis la seconde moitié de l'album, si on veut pinailler, est moins décisive que la première, mais il n'empêche qu'elle finit sur Calendars and Clocks, encore un chef d'œuvre à l'actif du groupe. Diversement appréciée, cette chanson est néanmoins le gros morceau d'écriture musical, un itinéraire compliqué mais parfait à travers la musique pop et psyché. A l'image de l'album en fait. Le premier disque des Coral, le plus rock, le plus énergique et le plus anglais de leur carrière (qui devient de plus en plus byrdsienne au fil du temps) est un condensé tantôt farfelu, tantôt émouvant d'un grand nombre d'influences (ska, brit, sixties, psyché) qui se télescopent dans des chansons à tiroir virtuoses qui ont l'immense avantage de pouvoir être réécoutées à volonté sans pour autant révéler tous leurs secrets de fabrication (l'oreille est constamment sollicitée par des changements de registres, des détails soniques, etc). L'interprétation de James Skelly donne la mesure de cette folie douce et de ses sautes d'humeur: de la douceur à la gueulante, c'est à sa voix qu'on doit les meilleurs moments: Dreamin' Of You, I Remember When, Calendars and Clocks... Au niveau du chant, c'est bien plus que de la pop, car on entend une conviction et une intensité qui n'est pas propre au genre, c'est presque une forme de white-soul occulte. Le plus étrange disque des Coral (car dans le fond, il est assez curieux et pas si passéiste qu'on a bien voulu le dire) est aussi leur plus grand disque. Moi qui déteste dans 98% des cas le ska-rock (les 2% restant vont à Madness), je n'aurais jamais imaginé qu'un enregistrement proche du genre puisse faire partie de la liste très serrée de mes albums préférés. (06/04/2010)


De loin, de très très loin leur meilleur album. Je ne vais pas ergoter pendant des heures sur la qualité infinie de the Coral. L'exercice ne rime à rien; il suffira à chacun d'écouter. Mais je peux dire tout mon amour de ce disque. The Coral est un disque total, jouant des ruptures et des émotions, des genres et des registres, c'est une poupée russe qui cache toujours un modèle réduit plus petit, un grand huit qui ne donne pas de haut-le-cœur, un panorama de l'Angleterre à 360°, un collage semblable à la pochette, sauf qu'il est archi-structuré sous ses dehors tarabiscotés et tirés par les cheveux, un magnifique coup d'audace, démonstration de maîtrise, et de l'écriture musicale, et des instruments, nombreux, qui accrochent toujours l'oreille par un détail ou un autre. Il est pop, rock, soul, lad, planant, psyché, ska. Et en plus, il a un chanteur. Ce qui est rare. Vraiment, si je venais à le perdre et qu'il n'en restait qu'un dans le monde, même à un prix astronomique, je tenterais de l'obtenir. J'en ferais mon objectif de vie (un horizon des plus respectables). Peut-être même éprouverais-je une certaine sérénité à poursuivre un objectif si clair, si précis, même s'il parait plus vraisemblable que je sois très nerveux et très frustré à l'idée de ne plus l'écouter.
J'échangerais volontiers ma discographie pour ce seul disque, même si j'en connais quelques autres de très bon. Dernier exemple: si une loi interdisait les Coral dans mon pays, j'émigrerai, au moins lorsque je sentirais que ma fin approche, pour l'écouter une dernière fois. J'aime moins Skeleton Key, Bad Man et Spanish Main, mais ce n'est p
as grave, chaque morceau a sa valeur, sa particularité qui l'isole et le transcende. Je considère comme homme de bienfaisance le prochain qui lui mettra 5/5.




mardi 13 juillet 2010

Vieillir


Pour tous ceux qui ont grandi à cette époque, il va falloir se faire à l'idée que les années 2000 se conjuguent désormais au prétérit. En musique indé, dix ans ne pardonnent pas. Les groupes apparus à l'aube de la décennie précédente viennent d'entrer dans la phase critique de résistance et doivent maintenant faire face à leur propre vieillissement comme à l'ingratitude d'une population sans mémoire butinant la musique au gré de l'irrégularité des modes. Lourde tâche pour des groupes de rock, par définition flanqués d'une imprévoyante imbécilité et coincés dans une philosophie de l'instant adéquate au jeune âge.

Certains réussissent haut la main. Il existe des cas d'école reproductibles tous les dix ans. Des groupes, consciemment ou pas, les suivent à la lettre. Tout d'abord, le modèle emprunté par Julian Casablancas, avec son album synthétique et kitsch: il s'adapte au temps présent comme aiguillé par un indicateur interne, sorte d'antenne invisible dont les plus populaires semblent toujours pourvus (David Bowie). A l'inverse, un Radiohead, en 2000, prenait le futur en contresens et optait pour l'électro avant que les guitares ne viennent secouer le marasme ambiant. Voilà deux possibilités diamétralement opposées. Celle du leader des Strokes fonctionne rarement: au-delà d'un succès temporaire, nourri par la renommée de l'artiste, les albums d'adaptation au présent tombent vite dans l'oubli ou demeurent les derniers wagons. Qui se souvient des albums de Neil Young dans les années 80 par exemple? Personne, Dieu merci. Récemment Eels, dont les fans appréciaient la sobriété, a voulu, avec Humbre Lobo, se lancer dans la mode des albums rock sexy. Ce genre de renouvellement, outre qu'il passe aux yeux des personnes subtiles pour une infidélité à une conviction première, ne marque généralement aucune amélioration dans le style du groupe, bien au contraire.

Pour bien vieillir, il faut en fait avoir eu des commencements modestes. C'est alors que tout reste possible. Pour illustrer cette thèse, l'année 2010 nous a gratifié d'un excellent album des Black Keys, Brothers, peut-être leur meilleur. Mais pour mieux montrer la différence de parcours entre des groupes de qualité diverses, je vous parlerai dans le même temps d'un autre disque fraîchement paru, qui est un échec total: Butterfly House, des Coral.

Les deux groupes sont apparus au même moment sur la scène internationale, avec un premier album en 2002 et ont été classés dans la rubrique "retour du rock". La comparaison s'arrête là. L'un est américain, l'autre anglais: pendant que les Black Keys, obsédés par le blues, tentent de ressusciter une certaine tradition roots, les Coral, au début très anglophiles, jouent un brit-rock déglingué et magnifique, brassant toutes les influences de l'île, jusqu'au ska. A l'époque, il n'y a pas photo: les Coral non seulement sont les plus forts mais il s'agit même du meilleur groupe au monde. Cependant, les temps changent. Les meilleurs périclitent souvent tandis qu'un groupe modeste mais travailleur comme les Black Keys a des chances de s'en sortir. A force d'huile de coude, le duo d'Akron finit par fluidifier son jeu, même si ce n'est pas sans mal. Au début peu doués pour le blues des noirs - qui s'en étonnerait? - les yankees comprennent qu'il faut y mettre aussi un peu du leur: la mélodie, la pop, le mélo, l'atmosphère, tout ce qui fait qu'ils ne seront jamais des bluesmen. "Apprends à te connaître"... et ne te renie pas. Le projet Blakroc aura été de bon secours: en voyant la force de conviction des rappeurs, Dan Auerbach a senti ce qui lui manquait. Fort de cet aquis, Brothers est un bon disque, prêt à remporter un certain succès populaire. D'abord travailleurs de l'ombre, les Black Keys pourraient devenir des dinosaures respectés. On ne saurait en dire autant, par exemple, des White Stripes, qui n'intéressent plus personne.

Les Coral, trop forts, trop bons, auraient dû, comme les meilleurs, s'arrêter plus tôt. Cinq ans et puis s'en va. Cela aurait été juste parfait. Roots and Echoes aurait fait un dernier album tolérable car, en dépit de sa tiédeur, il contient son lot de bonnes chansons. Mais Butterfly House est le pas en trop: insipide, mou, répétitif et brumeux, le dernier disque des Coral ne pose pas seulement problème parce qu'il est mauvais - auquel cas il suffit de ne pas l'écouter - mais parce qu'il renouvelle la réputation du groupe en mal. C'est donc à dessein que j'ai choisi une photo en totale contradiction avec leurs dernières productions: j'espère ainsi rétablir la plus juste image du groupe, celle qui mérite, en tout cas, de passer à postérité.
Etant donné le mauvais sort que réservent le temps et la mémoire collective à ses œuvres, un groupe est presque toujours jugé sur la foi de ses derniers disques, ce qui entraîne en conséquence une perte subite de crédibilité en cas d'échec. On ne pourra plus brandir les Coral en étendard sans avoir à se justifier auprès des nouveaux-venus, des curieux sceptiques et des moqueurs patentés. C'est un tort considérable qu'ils ont fait à leur propre légende.
Penser que leur premier album, the Coral, dont je vais publier tout le bien que j'en ai écrit à droite et à gauche, n'aura peut-être jamais l'exposition qu'il mérite tandis que, publicité oblige, des milliers de gens vont écouter ce Butterfly House inutile est un motif d'agacement constant pour moi.

La conclusion à tout cela c'est que les Black Keys, ces copistes dont on n'attendait pas grand chose, ont profité de leur vieillissement pour enfin sortir un grand disque - même si les amateurs de blues et, plus généralement, les adeptes de musique black vont logiquement crier à l'imposture. Pendant ce temps, un authentique bon groupe, un des meilleurs que l'Angleterre ait connu, se prend les pieds dans le tapis en copiant le folk-rock sixties de C,S & N alors qu'il s'était auparavant distingué sur un premier album parfait en n'imitant rien ni personne (sauf l'auteur d'une marche russe) et avait témoigné du don incomparable d'être lui-même... Les aléas du vieillissement en pop music...