La chanson de la semaine

samedi 20 février 2010

Beach House, le 18 février, l'Aéronef de Lille

Si une chose peut sembler affligeante dans ce bas monde, c'est bien de détester l'alcool. La fumée passe encore, mais il semblerait qu'il faille venir d'un autre système solaire pour ne jamais poser les lèvres sur une chope de bière. Au cas où vous seriez dans cette situation inédite, apprêtez-vous à paraître suspect. On semble toujours un peu coupable quand on ne partage pas les usages du peuple. D'ailleurs, un homme qui ne buvait ni ne fumait, dans notre entourage historique, il y en a un dont les ivrognes s'empressent d'invoquer le souvenir, pour diaboliser l'austérité. Ils oublient du même coup que Lénine contrecarre Hitler. Peu importe. Ce n'est pas le sujet. Il se trouve que sans boire un verre, j'ai obtenu des effets plus proches de l'ivresse que de la santé. Généralement, ayant le taux d'alcoolémie d'un taliban, je me souviens de ce que j'ai fait la veille. Or, quelque chose me trouble ces deux derniers jours. C'est à cause d'un concert de Beach House. Dans une petite salle, une centaine de personnes tout au plus s'étaient réunies. L'aéronef, pourtant capable d'accueillir une marée humaine, était cette fois réduit à sa plus petite configuration. Papercuts, pressenti pour la première partie, était remplacé au pied lever par Lawrence Arabia. Je me souviens assez bien de leur set, deux fois supérieur, au bas mot, à l'album, dont les arrangements très pop masquent un peu l'énergie. Pourquoi n'entend-on pas sur disque ces finals électriques et noise? Pourquoi le produit fini est-il si équilibré alors que sur scène le groupe peut s'acharner sur ses guitares et ses pédales à effets? Mystère. Passons. Le grand moment était l'arrivée de Victoria Legrand. On avait déjà vu Alex Scally traverser la salle avant le concert, incognito. Jusque là je me rappelle de tout. C'est le set lui-même qui m'apparait comme en rêve. Quelque chose m'a échappé - l'instant, comme toujours. Je ne serais pas surpris que beaucoup de gens aient ce défaut ou fassent cette expérience de la scène : à trop vouloir profiter d'un instant qu'on sait unique, l'auditeur de disques, pour qui l'éducation musicale a reposé sur la répétition du même, se trouve d'un coup propulsé au cœur d'un événement ponctuel dont il n'arrive pas à jouir pleinement, absolument. Il ne parvient pas à épuiser la sensation, comme il le fait généralement avec le disque et la vénérable touche repeat. Il sort donc du concert avec la sensation étrange de s'être extirpé d'un rêve. Une parenthèse enchantée se referme. Sur le coup, malgré une légère frustration, l'expérience reste roborative et, dans un sens, assez puissante. Beach House ce soir-là a - autant être cash - joué magnifiquement. Ou plutôt devrais-je dire que Victoria Legrand était magnifique. Pour toutes les raisons qui peuvent magnifier quelqu'un. Elle chantait comme sur disque, mais avec une nuance en plus, une envergure mieux révélée, s'il en était besoin. Un petit bémol gâchait néanmoins le plaisir: le volume, comme toujours, était trop fort, même pour ce genre de chansons. En cela, les amateurs de musique classique ne peuvent comprendre tout à fait la préférence des fans de pop pour l'enregistrement; eux qui bénéficient d'une acoustique parfaite et d'une performance travaillée des mois durant à la manière d'une orfèvrerie ont toutes les raisons de penser que la musique, au sens plein du terme, n'existe pas en dehors des concerts. Il n'en va pas de même pour nous qui subissons les aléas de la sono, des interprétations d'amateurs et une ambiance agitée où tout le monde est debout et serré. Beaucoup de facteurs peuvent en effet détourner notre attention de la musique elle-même et, de fait, un grand nombre de personnes sont là pour l'ambiance. Quelques filles, au premier rang, dansaient avec une passion réelle - leur visage était radieux, l'une d'elle gardait les yeux fermés et souriait, se dandinant avec nonchalance et d'amples mouvements sensuels. Son sourire exprimait l'amour. Legrand elle-même s'agitait parfois sur son clavier. Malgré l'admiration, je restais statique. En cela bien français, je me demandais s'il fallait danser ou pas. C'est un choix cornélien. D'un coté, ce n'est pas exactement le genre de musique qui favorise l'agitation (Lawrence Arabia était, de ce point de vue, plus adéquat), de l'autre je suis trop cérébral pour ne pas avoir l'impression, ce faisant, d'être un singe savant. Il y a des attitudes qui ne nous vont pas, aussi désirables soient-elles. En outre, la désagréable image de Proust applaudissant la cantatrice avec les autres spectateurs me vient parfois à l'esprit. C'est étrange comme il y a un point d'isolement (ou de lucidité, ou simplement de recul) où le naturel n'est plus jamais possible dans votre vie. La seule présence des gens autour de vous suffit à créer des interférences avec votre ressenti. Pourtant, quoi qu'en eussent pensé ceux qui ont la chance de ce rapport direct au monde - mais existent-ils vraiment? - quoi qu'ils eussent pu dire devant tant de réserve, il est indubitable que j'ai aimé - à ma façon, c'est-à-dire en vérifiant intellectuellement que ce que j'éprouvais était à un certain degré au dessus de la tiédeur, à une latitude de l'aveuglement, mais pas loin de le passion, dans une région à vrai dire obscure du sentiment. Si obscure que je ne m'en souviens plus. Je ne veux pas dire, en filigrane, que ce concert n'était pas mémorable. Si c'est là tout ce que vous comprenez, je vous recommande de lire la suite: ce concert était presque grandiose, même s'il était tout petit. C'était, pour reprendre mes expressions, une épopée miniature. En une heure à peine, l'affaire était pliée (et pas de Real Love, seule chanson passée sous un odieux silence). En cela, l'impression qu'il laisse est fatalement sur-réelle. Il n'a pas duré assez pour que l'amateur de disques, le répétiteur, puisse s'en lasser en aucune façon, ni même lui trouver une place toute désignée dans sa vie quotidienne. Il n'y a pas de portion congrue, de place bien ajustée dans la mémoire pour un concert de Beach House. Peut-être est-ce le but inavoué du groupe: laisser l'impression d'un rêve à demi-éveillé, d'une séquence d'images fugitives qui vous est passé à l'esprit sans s'y arrêter, sans graver véritablement une marque claire et bien définie. Vous vous levez le lendemain avec des rumeurs dans les oreilles, des sons, des voix, des synthétiseurs, mais tout est vague et par là même intensément désirable. Le souvenir à demi éteint du concert creuse votre faim, vous voulez le revoir. C'est comme quelque chose qui n'est pas métabolisé. Que s'est-il donc passé ce soir-là, qui n'était pas absolument parfait sur le moment, mais pour lequel vous nourrissez le regret de ne pas avoir assez profité? Qu'était-ce donc que cette petite scène bleue si proche de vous et pourtant hors de votre portée? Où est-elle cette voix magique? Où sont-ils passés ces claviers puissants et ces guitares océanes? Vite! Revenez!

mercredi 17 février 2010

Les réminiscences cachées...

Vous l'aurez remarqué, les journalistes étalent souvent des références classieuses pour vous recommander un disque. Et le principe fonctionne à merveille. Les stickers relaient l'information sur les pochettes des albums et c'est ainsi que des dizaines de rejetons de ZZ Top se trouvent vendus dans les rayonnages sous la publicité mensongère d'un héritier de Neil Young, que chaque mois des dizaines de disques égalent théoriquement en valeur toute la rage des Stooges et le style incomparable du Velvet Underground. Mais une fois le disque dans le lecteur, vous prenez conscience de l'influence communément tue d'autres musiques, moins reluisantes, que la presse et le fan de musique alternative ont coutume de juger honteuses.

J'aimerais que vous m'aidiez à faire une liste de ces réminiscences cachées ou inattendues dans les albums étiquetés "indé", ces instants musicaux qui rappellent des chansons que les journalistes prennent soin de ne jamais rappeler ou qui tranchent avec l'image du groupe. Autrement dit, de constituer une liste d'influences véritables qui prenne à contre-pied la filiation revendiquée ou fantasmée.

Attention, ceci n'est pas pour insulter les groupes ni traquer leurs petits défauts, mais plutôt pour ironiser sur les habitudes laudatives de la presse. Par exemple, les trois morceaux que je vous propose me plaisent beaucoup et leurs influences ne sont honteuses que d'un point de vue critique supérieur, aucunement à mes oreilles.

Commençons donc avec la chanson Ghost Mouth de mes bien aimés Girls. Combien ont cité Pet Sounds, sans qu'on n'entende jamais une note de Brian Wilson? Pour ma part, je suis incapable de dire ce qui a pu objectivement influencer une telle merveille, mais j'ai au moins repéré un clin d'œil à... Sinead O'Conor! La phrase "Nothing compares to you" ne vous rappelle-t-elle rien?

On continue avec le très beau VCR des Xx. On ne compte plus les influences qu'on prête à ce très jeune groupe pour expliquer leur style. The Cure, Young Marble Giants... Mais qui a repéré le très discret hommage à 4 Non Blondes? Quand Oliver Sim se met à chanter, il suit bien la ligne mélodique de What's Up. C'est le même, mais en plus timide.

Enfin, pour le dernier exemple, les Strokes, je triche un peu car cette réminiscence fait partie des influences clairement revendiquées par le groupe. Mais ni la presse ni les fans n'ont voulu l'entendre, pensant peut-être que Tom Petty faisait un peu tâche auprès d'Iggy Pop et de Blondie... Julian Casablancas a reconnu s'être inspiré d'American Girl pour la chanson Last Nite, mais en vérité j'aurais pu en choisir d'autres, tant la couleur des morceaux des Strokes, sur leurs deux premiers albums, doit à l'association guitare/basse des Heartbreakers.

Bon, il y en a plein d'autres, j'attends maintenant vos propositions éclairées.








samedi 13 février 2010

The Leisure Society


L'Angleterre jalouse-t-elle Fleet Foxes? Est-ce bien raisonnable? Le folk parquet ciré avait déjà deux représentants, outre Atlantique, Fleet Foxes et Midlake. Voici un troisième groupe du même gabarit, mais qui nous vient d'Angleterre. Peu d'influences britanniques chez eux, on les trouve plus proches d'un Neil Young assagi (only love can break yout heart a manifestement inspiré the last of the melting snow) que de Fairport Convention ou Bert Jansch. Malgré leur aspect trop poli, the Leisure Society livre tout de même un album plaisant et - parfois - parcouru d'instants de magie.

Ne vous fiez pas à leur allure imberbe; ils ne sont pas tous débutants. Le chanteur Nick Hemming est sur le circuit indé depuis 1993 - qui le savait? Il est possible que The Sleeper, œuvre mineure mais rassurante, lance enfin sa carrière. L'expérience - car on sent le travail à l'œuvre - lui a permis de sortir un album folk très finement ouvragé, ourlé d'arrangement aussi sophistiqués que chez les Moody Blues; dans la mesure où il ne semble pas avoir un tempérament à danser sur les tables, j'ose dire que c'était le mieux qu'il pût faire.

Cheminant sur des sentiers discrets et fleurissants, The Leisure Society a réalisé ce genre d'album très accompli, où chacun a visiblement donné le meilleur et s'est mis en quatre pour cueillir les plus belles pousses. Le bouquet est odorant, mais plus souvent décoratif que vraiment enivrant. Que cela n'empêche pas le lecteur d'écouter A fighting chance, la très bonne introduction de l'album, ainsi que l'étonnant We were wasted qui ressuscite Tim Buckley. Ce n'est pas que the Sleeper se complaise dans le passéisme - critique bête d'ailleurs, puisque le folk connaît par définition peu de marges d'évolution - mais le sentiment que l'anecdotique laisse momentanément place à quelque chose de plus profondément touchant, de mûr, de précieux est pour le moins troublant. Considérant la bonne tenue de l'album, qui ressort agrémenté d'un disque bonus (avec l'instrumental the wayfarer, peut-être la plus belle chose du groupe), et ces quelques moments supérieurs qui l'émaillent, je pense devoir le conseiller en priorité à ceux qui croient que le dernier Midlake est un bon disque. Les autres feront selon leur sensibilité. Il semble peu probable qu'on écoute tous les jours Leisure Society - mais d'un autre coté, il semble peu probable aussi qu'on n'en ait jamais besoin. Qui n'a rêvé de se trouver allongé dans l'herbe à loisir et de goûter à la dolce vita?

PS: Et puis de toute façon, j'aime le banjo!

mercredi 10 février 2010

Des nouvelles de l'Ouest

Parmi les disques les plus attendus des mois à venir, en voici deux qui devraient plaire l'un aux amateurs de garage-rock, dans la plus pure tradition des Seeds, l'autre aux fans d'indie-rock allumé qui ne crachent pas sur un classic-rock barbu et costaud. Etrange mélange entre les Pixies, les Clash (la voix ne me trompe pas) et la musique folk-rock américaine, toujours l'un des piliers de ce blog - pour ceux qui penseraient que j'ai abjuré -, Titus Andronicus, ami myspace des délicats Pains of Being Pure At Heart et des punkettes des Vivian Girls, revient en mars prochain avec un disque (the Monitor) magnifiquement présenté et dont le premier extrait, Four Score and Seven, long de huit minutes (pas mal pour un groupe qui prétend jouer du punk-rock) annonce une promenade curative dans la musique roots américaine. Titus Andronicus, qui revendique inexplicablement l'influence de Galaxie 500 (je ne l'entend pas beaucoup...), pourrait donc réunir les tendances complémentaires du blog (le folk-rock et le garage indé) et fédérer les deux types de lecteur. Mais il faut encore attendre - le 21 mars, on saura.

D'ici là, nous aurons écouté le deuxième album des Strange Boys, et le premier distribué en France dès sa sortie: Be Brave, premier single d'un album éponyme, porte déjà fièrement les couleurs du groupe d'Austin. Ceux qui avaient annoncé Soft Pack comme parangon du garage-rock cette année - sans doute inspirés par les communiqués des attachés de presse - ne vont rien comprendre au hold-up qui se prépare. Même si personnellement j'aime bien Soft Pack, il faut reconnaître aux Strange Boys un brio plus éclatant, une verve de petite frappe qui semble plus naturelle, découlant sans doute d'une prédisposition ontologique pour ce genre d'activité insouciante et régressive. ça arrive. De toute façon, ils ont le style qu'on a tout de suite, dès le plus jeune âge, ou qu'on n'acquiert jamais. Ces petites affaires sont contraires à la maturité. Ce qui n'empêche pas les jeunes d'avoir une culture: la pochette de leur album, par exemple, n'est pas sans évoquer quelque souvenir stonien...

lundi 8 février 2010

La Chanson de la semaine...


... n'est pas sortie cette semaine, mais il y a déjà deux ans. Vu que personne ne l'a écoutée (sauf les lecteurs d'Eldorado) il n'est pas inutile de la remettre ici (en en-tête du blog).
Souvenez-nous de 2008, l'ensemble des médias n'avait d'yeux que pour Fleet Foxes et son folk pépère dans l'esprit du premier Crosby, Stills & Nash. La scène de Seattle, dans l'ombre de cette gentille pastorale à l'odeur de paquerette, avait pourtant deux sensations autrement plus fortes à proposer: the Dutchess and the Duke, dont je parlerai en avril, et les Moondoggies, dont j'ai fait force éloges du premier album à la pochette magnifique. Les Dutchess sont presque garage et n'ont pas grand chose à voir avec les harmonies vocales du soft folk, mais les seconds sont bel et bien de la famille de Fleet Foxes, sauf qu'ils ont une approche plus électrique de la musique, en héritiers crédibles de Neil Young et du Crazy Horse. Si par hasard vous êtes déçus par le dernier album de Midlake - qui, parait-il, les voit s'engouffrer dans les méandres du folk progressif, ce que l'affreuse pochette, qui semble tout droit sorti de Donjon et Dragon, ne laisse pas ignorer - si donc, vous n'avez pas envie de vous sentir en automne en cette saison déjà froide, la solution c'est de redécouvrir les Moondoggies, le plus brillant espoir du folk-rock américain. Leur disque Don't Be a Stranger, rappelons-le, est sans déchets. Tout au plus pourrait-on lui reprocher ce clavier un peu encombrant - certains morceaux auraient en effet gagné en âpreté si le clavier s'était fait plus discret. Mais après tout, il ne s'agit que d'un premier essai, qui demande sans doute quelques ajustements. Il n'empêche qu'en 2008, je ne connais pas beaucoup d'albums (hormis celui des Dutchess and the Duke) à pouvoir lui tenir la dragée haute.
Rdv la semaine prochaine pour un tout autre morceau. Enjoy!

Changing, the Moondoggies in Don't Be A Stranger, 2009, Hardly Art

dimanche 7 février 2010

The Black Lips


On ne va pas y aller par le dos de la petite cuillère: 200 Million Thousand compte parmi les trois disques les plus violents, les plus bruts et les plus déglingués qu'il m'ait été donné d'entendre: exception faite des Sex Pistols que je n'ai jamais réussi à encaisser, il y a Kick Out the Jams et Raw Power. On arrête là. Si les deux autres ne vous plaisent pas, il trônera tout seul, comme unique sensation rock'n'roll isolée, bien au-dessus du reste. Vous voulez un disque de rock? Point n'est besoin d'en avoir deux (à moins d'être un fan obsessionnel du genre). Quand tout l'esprit, la fureur, le rythme et la hargne se trouvent condensés dans un même brûlot vous pouvez faire les frais de tous les autres.

De la première jusqu'à la dernière minute, 200 Million Thousand explose, craque, déborde de partout. Il ne tient pas en place, se fiche de tout, même de l'enregistrement - très limite, oui, mais le rock a toujours eu un avantage considérable sur la pop: alors que celle-ci est dépendante des studios et de leur orfèvrerie, le rock n'a quant à lui besoin que d'une interprétation convaincante.

Alors, qu'est-ce qu'il a cet album? Au vu de certaines chroniques, j'osais à peine l'écouter. Le précédent m'avait paru agaçant avec ses rythmes au hachoir, son petit son sec et sa nervosité oppressante, ce que j'appelle le style pantalon serré. Seul Cold Hands, géniale chanson dans le style des Seeds, me semblait ouvrir des espaces, laisser l'auditeur respirer tout en lançant la cavalcade. Se profilait enfin une musique de road-movie speed, quelque chose qui, tout en étant rock, changeait de la faconde punk habituelle.

200 Million Thousand reprend le garage rock sixties de cette chanson et le pousse plus loin, plus loin en arrière pour commencer, car le groupe, déjà pas innovant à la base, a décidé de se la jouer rétro sans complexe; plus loin dans l'intensité, la furia, la démence même - les cris sur The Drop I Hold, la violence inouïe du chant sur Again and Again. Il n'y a que Mc5 gueulant "Kick out the jams motherfucker" sur leur premier disque pour produire un effet aussi absolument libérateur. Sauf que Mc5 peut éventuellement saouler certains quand les Black Lips - peut-être simplement parce qu'ils sont d'aujourd'hui - vont les emmener jusqu'au bout du trip. Pourquoi eux et pas d'autres? Ecoutons Old Man et son refrain magnifique - mais maltraité. Comment savoir si ce morceau aurait été mieux avec plus d'application? Il y a dans cette démo - car le disque est une démo - une sorte de beauté en hardes. Starting Over, Short Fuze... Mince! Oubliez les Seeds, les Sonics, les 13th Floor Elevators, c'est-à-dire les instigateurs, et même une partie de la concurrence, car 200 Million Thousand enterre presque tout.

Maintenant, il sort au bon et au mauvais moment à la fois: quand le garage-rock se refait une santé outre-Atlantique, mais aussi à une époque où tout le monde écoute encore du rock, où donc le rock n'est pas assez mort pour surprendre. Il aurait fallu attendre que les synthés ringardisent la musique, dans le même esprit rétro-futuriste qu'en 85, ou que l'électronique reprenne sa part de marché comme dans les nineties, ensuite seulement ce disque serait arrivé, comme un pavé dans la marre.



200 MillionThousand
The Black Lips
2009, Vice Music

vendredi 5 février 2010

Top des chansons 2009 BIS


Quelle connerie les tops! Je m'étais dit que j'en ferais pas, mais j'en ai fait un, parce que ça ne servait à rien de se dire le contraire quand tant d'autres montrent l'exemple. J'espérais faire découvrir à la face du monde quelques morceaux formidables - et beaucoup le sont, oui, the Dutchess and the Duke, c'est très bon, Heartless Bastards a sorti un grand morceau, un magnifique morceau, que j'ai d'ailleurs placé en pole position, juste devant Shampoo d'Elvis Perkins, assurément le titre qui a le plus tourné dans l'i-pod. J'avais cité, à raison, une chanson très énergique des Felice Brothers. Enfin, c'est du passé, je vous renvoie au top...

Maintenant j'explique pourquoi les tops sont nazes: soit vous écoutez toutes les sorties au fil de l'année, mais au final vous n'avez rien digéré, voire rien aimer vraiment (parce que les journées sont trop courtes pour découvrir chaque jour un disque et dans le même temps vous repaître de ceux déjà parus). C'est la course à la nouveauté à laquelle s'adonnent certains et en général, on ne sait plus - et ils ne savent plus non plus - ce qu'ils ont aimé.
Deuxième hypothèse: vous faîtes comme moi, une trentaine de disques dans l'année à tout casser, et encore pas vraiment. Vous vous aiguillez au feeling, mais du coup à la fin de l'année vous ne savez pas encore que vos morceaux préférés vous les découvrirez l'an prochain. Je pensais vraiment qu'avec Girls et Kurt Vile découvert au dernier moment, ça n'allait pas arriver. Et c'est vrai que ces deux-là, ils ne risquent pas de se faire éclipser - d'ailleurs ils retournent dans le top (c'est de la triche, mais pas moyen de les ignorer, alors j'ai pris une autre chanson). Pour le reste, une fois encore je me rends compte que mon top était moyen, non parce qu'il comportait des chansons que je récuse, loin de là, mais parce qu'il manquait certaines parmi les meilleures, les plus touchantes ou les plus exaltantes. Par exemple, j'aime bien la chanson de Joe Henry mais face à Cass McCombs, il n'aurait pas fait le poids. J'aime beaucoup la chanson de God Help the Girls, mais Camera Obscura a fait mieux encore. Et si les Cave Singers me semblent attachants, j'aurais pu les remplacer par Pains Of Being Pure At Heart.

Alors voilà, les deux tops vont cohabiter. Le premier, c'est le top 2009 en 2009, le second c'est le top 2009 début 2010. Entre les deux, pas de retournement de veston, mais une valeur ajoutée, qui surpasse parfois la première (mais pas toujours quand même). Dans le cas où des artistes se retrouvent dans les deux tops c'est à cause de la convergence des styles.

10 - Future primitive (Papercuts)
9 - Can't get over you (Vivian Girls)
8 - Young adult friction (Pains of Being Pure at Heart)
7 - Tonight (Smith Westerns)
6 - James (Camera Obscura)
5 - Morning Light (Girls)
4 - Short fuze (the Black Lips)
3 - Dream-come-true girl (Cass McCombs)
2 -
Monkey (Richard Hell covered by Kurt Vile)
1 - Don't Lie (the Mantles)

Je souhaite tout de même rappeler à votre bon souvenir le premier top, dans la mesure où certains titres restent incontournables: 15 - suite on a frame (Joe Henry) ; 14 - Leap (the Cave Singers) ; 13 - Ain't nothing like you (Blakroc) ; 12 - Run chicken run (the Felice Brothers) ; 11 - Andrew (Crystal Antlers) ; 10 - Tell my mom I miss her so (Ryan Bingham) ; 9 - Mr Mudd and Mr Gold (Townes Van Zandt covered by Steve & Justin Townes Earle) ; 8 - Hunchback (Kurt Vile) ; 7 - Hands (the Dutchess and the Duke) ; 6 - Perfection as a hipster (God Help the Girl) ; 5 - It ain't gonna save me (Jay Reatard) ; 4 - Standing between the lovers of Hell ; 3 - Laura (Girls) ; 2 - Shampoo (Elvis Perkins) ; 1 - The mountain (Heartless Bastards)


jeudi 4 février 2010

Yo La Tengo


Ici, il est rare de voir passer les anciens. J'en ai pourtant plein ma discothèque. Certains m'encombrent. Des disques achetés sans même une écoute préalable, par goût de la collection, sur la foi d'une légende, d'un culte secret mais fervent, parfois par simple curiosité pour les classiques révérés - voire par volonté de ressembler aux hommes normaux. Je me cherchais. C'est bien. On avance de cette façon, en voulant être toujours plus (parfois quelqu'un d'autre) que ce qu'on était déjà. Illusion trompeuse mais motrice. Seulement, après un certain age, on ne se soucie plus vraiment d'évoluer: notre médiocrité et nous-mêmes cohabitons en harmonie. Alors on vire le superflu et on se replie sur l'essentiel. Constat aberrant sans doute mais imparable: l'essentiel n'est pas ce que les gens disent. Chez moi ce n'est ni le Velvet Underground ni les Stones. Des premiers, j'apprécie l'état d'esprit, le son, l'intention et la descendance (dont je vais d'ailleurs parler), des seconds je me contente de Sticky Fingers (un vrai bon disque celui-là, comme Out Of My Head, néanmoins constitué d'un nombre peut-être trop important de reprises). Mais aucun de ces groupes ne m'est aussi précieux que... Yo La Tengo.

Le groupe d'Ira Kaplan a tout d'un groupe d'ancien critique rock: pas très rythmique, pour ne pas dire mou (mais franchement, on s'en fout), pas rock'n'roll dans l'attitude (revers de la finesse et vice-versa), très sophistiqué et parfois même destiné à un public cérébral. Un groupe constant, toujours discret (force et faiblesse à la fois, retenue élégante et impuissance à sortir du landerneau indé), toujours absolument amical.

Amical. C'est le mot qui résume le mieux ce que j'éprouve à leur égard. Il serait abusif de faire croire au lecteur que Yo La Tengo suscite des réactions extrêmes, une passion violente et aveugle qui change votre vie. Non, Yo La Tengo n'est pas un exemple philosophique de la passion, mais l'illustration d'un concept tout aussi important: la sympathie. Comme le bûcheron est l'ami du bois, Yo La Tengo est l'ami de celui que vous lisez, au sens évidemment particulier que je donne au mot. Je ne connais pas, personnellement, Ira Kaplan, Georgia Hubley ni James McNew, et ne manifeste d'ailleurs pas spécialement le désir de les rencontrer. Mais leurs disques, depuis maintenant plusieurs années, conservent une place spéciale dans ma discothèque: alors que les coups de cœur disparaissent, que les meilleurs s'érodent, que chaque groupe connait des hauts et des bas, mon estime n'a jamais varié pour Yo La Tengo: je ne les ai jamais portés aux nues et ne les ai jamais méprisés. On pourrait en conclure que ce groupe est passe-partout, terne et sans personnalité. On pourrait. La musique est douce, la voix n'est généralement qu'un murmure et le tempo ne s'emballe jamais. Painfull, disait une connaissance, porte bien son nom.

Je conçois en effet que beaucoup trouvent leur disques d'un ennui mortel. J'ai plus souvent écouté Yo La Tengo le soir, voire la nuit, allongé dans mon lit, qu'en pleine journée ou en activité - même si, de toute évidence, leur musique ne devrait être pleinement appréciée qu'en fin d'après-midi (voire, éventuellement, en début de matinée, en tout cas à un moment où la clarté est douce et sereine). Je comprends donc bien certaines réticences puisque moi-même n'ai jamais tenu Yo La Tengo, jusqu'alors, pour un de mes groupes préférés - j'entends, un des dix premiers. Mais alors que je ne les ai pas écoutés tout les jours de ma vie - sauf Fakebook, les premiers temps - Yo La Tengo revient toujours à fréquence raisonnable dans le lecteur ou l'i-pod.

Or, c'est peut-être également parce que je ne les ai pas écoutés tous les jours que je constate aujourd'hui mon immense affection pour ce groupe. A forte dose, cela semble impossible, et d'ailleurs cela n'arrive pas. Mais, pour user d'une métaphore alimentaire, c'est comme boire de l'eau: vous trouvez peut-être que ça n'a pas de goût mais vous avez besoin de cette pureté et de cette fraîcheur parfois, pour revenir à autre chose que les sodas* (ou l'alcool). La comparaison n'est pas flatteuse car l'eau est incolore et inodore - ce qui semble être le parangon de la mauvaise musique - or Yo La Tengo a une couleur, une saveur particulière (qui est toujours la même d'ailleurs), cette suavité délicate de la musique folk américaine baignée dans les volutes électriques de l'indie-rock, une pointe de nostalgie très apprêtée (un aiguillon vous pique parfois le cœur) dans un cocon de tiédeur, mais malgré cela, je la conserve car elle dit en quoi Yo La Tengo semble sain (et donc peu rock'n'roll).

Malheureusement, je vois aussi comme cette métaphore révèle des limites: les gens boivent de l'eau pour se rasséréner et par précaution alimentaire mais s'ils avaient à choisir, ils prendraient quelque chose de plus gouteux. Yo La Tengo serait ainsi un groupe qu'on écoute par défaut, par lassitude du reste, comme s'il ne pouvait exister qu'au négatif, par alternative à des musiques plus catchy ou plus bouleversantes. Or, s'il est vrai qu'à la base Yo La Tengo est l'image même du groupe alternatif, c'est aussi, pour moi, un groupe qui vaut par lui-même, en dehors de toute hiérarchie et de toute comparaison.
En fait, l'aura qu'il diffuse est si bien ancrée en nous qu'on n'a pas besoin de l'écouter souvent: on préférera généralement écouter une musique qui accompagne nos humeurs d'un instant et laisser Yo La Tengo dans un coin de notre tête. Pourtant, dès qu'on s'en sera un peu trop écarté, on y reviendra - chose qu'on ne fera pas forcément avec les autres groupes.

A l'instant même, je pense à Dickens, aux Grandes Espérances, cette célébration des humbles, une des rares qui ne soient empreinte que de gratitude, de bonté et de tendresse (sans l'esprit de vengeance qui souvent accompagne la célébration des humbles), je me sens dans la peau de Pip après avoir tenté l'ascension de la grande société: qu'il est bon de revenir chez soi! Voilà ce qu'évoque pour moi Yo La Tengo, mais cette impression de familiarité est sans doute le résultat des nombreuses implications du groupe dans mon environnement. C'est l'arbre au fond du jardin qu'on voit tous les jours sans jamais bien l'observer mais qu'on ne voudrait pour rien au monde voir disparaître.

Pour les autres, ceux qui ne connaissent pas encore bien, ne vous laissez pas abuser par ces propos gâteux: Yo La Tengo a beau faire partie de mon décors, il s'écoute avant tout avec un plaisir immédiat et même si certains morceaux sont vraiment pépères, ils ont toujours le mérite (à quelques exceptions près) d'accomplir un équilibre, celui de la beauté apollinienne, de la statuaire, de la plastique parfaite, de l'exactitude métronomique. Une forme de perfectionnisme qui satisfait donc l'esprit comme les sens. Mais ce qui est bien plus, c'est que cette impression de réussite, au lieu d'être rigide, est toujours balancée par un sentiment gracile et aérien, une sensation de légèreté discrète, parfois même un vif plaisir et une infime tristesse, presque une nuance non référencée du bonheur (comme sur cet album Fakebook, entièrement acoustique, constitué majoritairement de reprises que les quelques compos originales se paient le culot de surpasser presque). Ils sont timides, ils semblent secondaires, on n'éprouve en les écoutant aucune des sensations fortes du rock et pour ces raisons, ceux qui n'adhèrent jamais qu'aux sentiments entiers ignoreront les nuances de leur artisanat, mais pour les autres, les amoureux des demi-teintes, des impressions incertaines, de l'indécision des sens - alors que la forme, je le répète, est carrée et précise -, leur discographie est un trésor.














***

*like real water in a world of soda pop (Robert Wyatt à propos de Damon and Naomi)

Pour un aperçu condensé mais quand même assez exhaustif de leur discographie, vous pouvez commencer par la compilation Prisonners of Love, sorti en 2005. Deux disques et une seule faute: la longue plage Nuclear War, certainement ce que le groupe a fait de plus pénible.

mercredi 3 février 2010

Archie Bronson Outfit

Le 1er mars sortira le nouveau disque d'Archie Bronson Outfit, le trio de barbus un peu patauds qui avait sorti en 2007 un très bon disque de rock massif et fin comme un hippopotame. L'emballement, de mon coté, avait été immédiat. On le comprendra aisément: à l'époque le monde n'avait d'yeux que pour les Arctic Monkeys ou les Babyshambles. Un disque presque stoner venant d'Angleterre, c'était comme une aberration géographique et cela valait son pesant d'or. Sauf qu'aujourd'hui je n'écoute plus beaucoup Dart For My Sweetheart. Le groupe avait le son, c'est sûr, un son qui aplatit l'auditeur comme une crêpe mais les compos ne suivaient pas toujours. Ils nous reviennent heureusement avec une petite surprise. L'époque l'exige, ils l'ont fait: ils ont ajouté de l'électronique. Et ce nouvel habillage sonore leur sied à merveille. Premier single, Shark's Tooth, en écoute sur leur myspace.