La chanson de la semaine

dimanche 7 février 2010

The Black Lips


On ne va pas y aller par le dos de la petite cuillère: 200 Million Thousand compte parmi les trois disques les plus violents, les plus bruts et les plus déglingués qu'il m'ait été donné d'entendre: exception faite des Sex Pistols que je n'ai jamais réussi à encaisser, il y a Kick Out the Jams et Raw Power. On arrête là. Si les deux autres ne vous plaisent pas, il trônera tout seul, comme unique sensation rock'n'roll isolée, bien au-dessus du reste. Vous voulez un disque de rock? Point n'est besoin d'en avoir deux (à moins d'être un fan obsessionnel du genre). Quand tout l'esprit, la fureur, le rythme et la hargne se trouvent condensés dans un même brûlot vous pouvez faire les frais de tous les autres.

De la première jusqu'à la dernière minute, 200 Million Thousand explose, craque, déborde de partout. Il ne tient pas en place, se fiche de tout, même de l'enregistrement - très limite, oui, mais le rock a toujours eu un avantage considérable sur la pop: alors que celle-ci est dépendante des studios et de leur orfèvrerie, le rock n'a quant à lui besoin que d'une interprétation convaincante.

Alors, qu'est-ce qu'il a cet album? Au vu de certaines chroniques, j'osais à peine l'écouter. Le précédent m'avait paru agaçant avec ses rythmes au hachoir, son petit son sec et sa nervosité oppressante, ce que j'appelle le style pantalon serré. Seul Cold Hands, géniale chanson dans le style des Seeds, me semblait ouvrir des espaces, laisser l'auditeur respirer tout en lançant la cavalcade. Se profilait enfin une musique de road-movie speed, quelque chose qui, tout en étant rock, changeait de la faconde punk habituelle.

200 Million Thousand reprend le garage rock sixties de cette chanson et le pousse plus loin, plus loin en arrière pour commencer, car le groupe, déjà pas innovant à la base, a décidé de se la jouer rétro sans complexe; plus loin dans l'intensité, la furia, la démence même - les cris sur The Drop I Hold, la violence inouïe du chant sur Again and Again. Il n'y a que Mc5 gueulant "Kick out the jams motherfucker" sur leur premier disque pour produire un effet aussi absolument libérateur. Sauf que Mc5 peut éventuellement saouler certains quand les Black Lips - peut-être simplement parce qu'ils sont d'aujourd'hui - vont les emmener jusqu'au bout du trip. Pourquoi eux et pas d'autres? Ecoutons Old Man et son refrain magnifique - mais maltraité. Comment savoir si ce morceau aurait été mieux avec plus d'application? Il y a dans cette démo - car le disque est une démo - une sorte de beauté en hardes. Starting Over, Short Fuze... Mince! Oubliez les Seeds, les Sonics, les 13th Floor Elevators, c'est-à-dire les instigateurs, et même une partie de la concurrence, car 200 Million Thousand enterre presque tout.

Maintenant, il sort au bon et au mauvais moment à la fois: quand le garage-rock se refait une santé outre-Atlantique, mais aussi à une époque où tout le monde écoute encore du rock, où donc le rock n'est pas assez mort pour surprendre. Il aurait fallu attendre que les synthés ringardisent la musique, dans le même esprit rétro-futuriste qu'en 85, ou que l'électronique reprenne sa part de marché comme dans les nineties, ensuite seulement ce disque serait arrivé, comme un pavé dans la marre.



200 MillionThousand
The Black Lips
2009, Vice Music

4 commentaires:

  1. Il n'est pas violent cet album ! les précédents l'étaient bien plus. Mais je suis d'accord que celui-ci est leur meilleur, on voit l'évolution.
    Comme ils le disent eux-même : 'trop punks pour être hippies et trop hippies pour être punk" (ou l'inverse) Cette phrase les décrit parfaitement je trouve.

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  2. Pas violent? Le précédent était plus "nerveux", plus concassé, si c'est ce que tu veux dire. Mais il me semblait malgré tout moins frappafingue.

    Ta citation est du genre à mettre en en-tête de blog je trouve.

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  3. yes ce disque est violent, moins nerveux que les autres genre "oh katrina", mais plus sombre, plus dégueu encore, il y a un morceau avec des yeahhh amorphes où on dirait qu'ils se dégueulent dessus. avec ce disque, ils arrêtent de jouer les sales morveux pour rentrer dans la folie sans le fun.
    en tout cas, content de trouver quelqu'un qui n'est pas passé à côté de ce disque.

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  4. Et pourtant, il est bien composé. C'est le jour de l'interprétation qu'ils devaient être dans un état second.

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