La chanson de la semaine

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mercredi 22 décembre 2010

2010, en un clin d'oeil


Vous avez vu, lu, et peut-être approuvé le top des blogueurs 2010. Un classement dont la réalisation a été un plaisir, puisqu'elle a permis de satisfaire un de ces vices inoffensifs - plutôt devrais-je dire une fantaisie - qui frappe unanimement les blogueurs: le goût des listes, des notations et des comparaisons. Pour autant, il n'y a sur mon blog aucun barème, aucune note, rien qui permette de poser une échelle de valeurs. Ici règne la confusion. Voici donc la rétrospective de l'année, en vrac, sans classement. Avec néanmoins deux héros.

L'hiver de Beach House
Je n'ai, au sujet de l'année écoulée, qu'une seule opinion claire: c'est que Teen Dream en reste mon sommet personnel. L'enchantement est identique une dizaine de mois après. Il faut dire que j'ai bénéficié de conditions d'écoute exceptionnelles et optimales. A qui voulait bien l'entendre, j'expliquais qu'à l'époque où sortait le disque était (re)diffusée la saga de La Guerre des étoiles. Comprenne qui pourra: alors que ses détracteurs n'entendent autre chose qu'un long et vague ennui, j'ai perçu dans Teen Dream comme une épopée miniature, une épopée de chambre, certes, mais une épopée quand même, avec sa verve intarissable, son sens des grandeurs, son emphase, son accomplissement héroïque et galvanisant. Une musique de Jedi. Rien de comparable à l'album précédent, Devotion, lui-même excellent, mais plus fantaisiste, plus capricieux. Teen Dream, à la longue, révèle un certain classicisme, c'est une couche de neige froide, mais comme dans le conte de Grimm, l'enfant frigorifié y trouve un petit coffret et dans ce coffret une clé en or. Maintenant, attendons qu'il la porte à la serrure et nous verrons ce qui sortira de la boîte... Pour moi, c'est tout vu: un trésor!

Les rigolos de Mgmt

L'année commençait donc bien. Il n'y avait guère que Beach House, mais c'était énorme. Peu de temps après, c'était au tour de Mgmt. L'affaire était pourtant mal engagée: le duo, déjà vilipendé pour sa disco clinquante de 2008, fut cette fois cloué au pilori. Avec une suite rococo vite jugée décadente par les puristes du rock, Mgmt devint la bête à abattre, l'incarnation de tout ce que la pop, en 2010, pouvait avoir d'irritant pour un partisan de la ligne dure. Dans la lignée des Klaxons et de leur breloques fluorescentes, le duo de Brooklyn mélangeait tous les styles sans se soucier aucunement du bon goût ni même de la clarté de ses intentions. Tout un chacun d'être embrouillé et, sans réfléchir, de crier haro sur le baudet. Force est de constater, quelques mois plus tard, que le disque de Mgmt n'était pas si brouillon qu'on a bien voulu le dire. Baroque, excessif, libre - oui! Mais sans queue ni tête, non. Avec le temps il ne révèle qu'une faille: il est trop court. Les ficelles mises à nues, le disque est digéré. Mais pour en arriver là, il aura fallu l'écouter des dizaines de fois. Ce qui justifie une telle insistance c'est qu'on l'a absous, aimé puis adoré. La chanson éponyme de l'album (Congratulations) n'y est pas pour rien...


Les meilleurs clips

Forever and ever amen, the Drums
Avant qu'on me jette aux oubliettes, je tiens à préciser, pour les avoir vus sur scène, que les Drums c'est avant tout une esthétique, une mode - et bientôt, quand Slimane l'aura déclaré, la mode.
En live, c'est (jusqu'à présent) inaudible et le chant n'est pas en rythme. Il faut dire que Jonathan Pierce est très occupé à danser et qu'on ne peut pas tout faire en même temps. L'hystérie collective s'explique donc plutôt par le visuel et l'art de bouger, qui est un art de vivre, que par la musique. Quiconque veut associer l'image au son doit regarder les clips. C'est là que brille le groupe dans toute sa splendeur. Cette vidéo, je la trouve excellente, pour les couleurs, les vêtements, la danse (d'automates), les images qu'on dirait capturées à Manchester dans les années 80-90 et pour la lumière (notamment sur les toits). Il y a un langage fort, concentré, précis, vif - et néanmoins une incurable nostalgie. Mais je vais vous surprendre, peut-être, en vous disant que la musique me plait également. Les Drums, ne vous déplaise, ont sorti l'un des meilleurs disques de l'année.


Tighten Up, the Black Keys
On l'a sans doute tous regardée, quoiqu'on pense des Black Keys et notamment de leur dernier album, ce Brothers dont le titre à lui seul plagie le langage de la soul. Les Black Keys sont sortis du bourbier dans lequel ils s'enlisaient. Il y a quatre ans de cela, ils abusaient des larsens, leur son était écrasant et disgracieux. Aujourd'hui, après un détour par le rap et son flow ininterrompu, les Black Keys ont gagné en fluidité; leurs rythmes balancent plus. C'est parce qu'ils ont appris de la musique black. Ce n'est pas encore du blues, ni de la soul, mais ces écoliers laborieux qui copiaient sagement les classiques, à force de vouloir être cool, finissent par le devenir. Ils crânent, mais c'est bon enfant.

La meilleure prise de live

L'an prochain sortira le nouvel album des Smith Westerns qui, s'il est à l'image de cette chanson, sera dantesque. En attendant, cette vidéo, capturée au festival de Pitchfork cet été, est un moment de classe inédit, qui réussit le tour de force de faire croire à l'existence d'une génération secrète, clandestine et sidérante de fraîcheur, de nouveauté.


Chansons Soul/R'n'b

Without a heart, Sharon Jones and the Dap-Kings
La publication, cette année, de l'Odyssée de la soul, réplique r'n'b de l'Odyssée du rock parue en 2008, est un signe des temps. Ce genre de livre n'arrive jamais par hasard, ni à contre-courant. Il consacre en fait le retour de la musique black comme nouvelle tendance dominante. Même s'il faudra quelques années pour que l'ébullition devienne phénomène et que le phénomène devienne, à son tour, moment historique, il est d'ores et déjà certain que la population noire connaîtra son revival, comme les blancs ont vécu le leur en 2001. La preuve, s'il en faut une, c'est le succès critique que connaissent Kanye West ou Janelle Monae auprès des webzines et des médias jusqu'alors spécialisés dans le rock indé. Sharon Jones, quant à elle, à rebours de ces démarches modernistes, a ressuscité la soul à l'ancienne, de l'old-school sans concessions qui trouve, en 2010, un public plus large qu'auparavant. Et doucement, les fans de musique indé finissent par s'y mettre...*


I need a dollar, Aloe Blacc
Encore de l'old-school. Un classique instantané, comme il y en a à peine cinq par an. A noter que sur l'album, on trouve une reprise du Velvet Underground - Femme fatale. La musique soul, à son tour, s'inspirerait-elle du rock comme le rock s'est inspiré du r'n'b?

A l'écart des projecteurs

Comin' Through, The War On Drugs
Kurt Vile, le retour. Que ce type me fascine, c'est peu dire. Mais il me désole aussi. Son ep est catastrophique - ou presque - et le single qui a suivi ne vaut pas grand chose non plus. Mon échelle de comparaison se base en tout cas sur Freeway, ce qui place bien sûr la barre très haut. Mais j'espère qu'il attendra à nouveau ces sommets en solo. S'il ne le fait, son copain Adam s'en occupera: à deux, pour le groupe the War On Drugs, ils déroulent des tapis de merveilles. 


Good To Be, Magic Kids
Avec un patrimoine aussi léger que les Beach Boys (qui sont surestimés, non?) et une ambiance festive nourrie aux violons, les Magic Kids de Memphis ont virtuellement l'un des défauts majeurs de la musique indé: l'infantilisme gaga et la niaiserie volontaire. Mais bon, quand on voit le niveau de songwriting, on s'écrase. En plus, en cette période de Noël, Hey Boy sera idéale pour les soirées en famille. Cela remplacera les sempiternelles chorales et les brass-bands. Un jour, peut-être, on expliquera pourquoi cet album n'a pas eu à sa sortie l'impact mérité.

Summer Holiday, Wild Nothing
Cela aurait pu être un nouveau single de Pains of Being Pure At Heart. On y trouve la même atmosphère diffuse qui touche les enfants des années 90.


folk-rock

Twenty Miles, Deer Tick
Un crève-cœur par un canard.


It's a shame, it's a pity, the Moondoggies
Observez le succès d'un groupe et vous connaîtrez les fantasmes de la foule. Les Moondoggies, confidentiels et bornés à l'anonymat, n'en suscitent visiblement aucun. Il est parfois désespérant de constater qu'on ne partage pas tous les mêmes rêves. Il leur manque sans doute le sex-appeal, la clé de voûte de la musique moderne.


Garage-rock


More or Less, the Soft Pack
Le garage-rock US (forcément US) est en forme. Depuis deux ans, il est même à son meilleur. D'ici peu on pourra éditer un nouveau coffret de Nuggets. Comme avant, le style peine à accoucher d'un grand album; on se contente donc de quelques chansons, à droite, à gauche. Mais c'est comme ça, c'est inscrit dans le code génétique du genre: l'inaptitude à sortir un chef-d'œuvre ne date pas d'hier. En compensation, des dizaines de groupes offrent annuellement des petites pépites. Les Soft Pack ont déjà donné avec Extinction, mais More or Less n'est pas mal non plus. L'album est un peu fade, mais ils sont tellement sympathiques que je l'écoute quand même.

I'm a thief, The Fresh & Onlys
Réplique exacte de l'album des Mantles et cousin proche des Crystal Stilts, Play It Strange est encore un bon disque de garage-rock. Les Fresh & Onlys pondent des morceaux comme les poules: c'est régulier. Ils ont toujours un bon petit lot à écouler. Je suis preneur.



Be Brave, the Strange Boys
Grosse déception, les Strange Boys, avec leur mauvaise country nasillarde, sont loin, très loin d'être à la hauteur de leur réputation. D'ailleurs l'album a fait un flop. Mais Be Brave, le single qui l'annonçait, reste très bon.



World

Surprise Hotel, Fool's Gold
Drôle de truc, ce Fool's Gold. L'album n'est pas extraordinaire - pas vraiment meilleur que Vampire Weekend - mais il est porté par un hit estival qui a répandu la bonne humeur.


Le reste

D'autres chansons ont déposé leur message sur le rebord de la fenêtre. J'en ai oublié, sans doute. Hoola, d'Archie Bronson Outfit, a rythmé le mois de février. Mais la charge héroïque de leur album m'a trop abruti. When I'm with you, de Best Coast laissait présager un été radieux; le disque est si décevant que j'en ai oublié le single mirifique qui l'annonçait. What's in it for d'Avi Buffalo est le meilleur Mgmt de rechange. Mais puisqu'on a l'original... Enfin, il y a le nouvel ep de Girls, les meilleurs san franciscains. Je n'ai pas eu le loisir de beaucoup l'écouter. Dans l'ensemble, il m'a manqué du temps, cette année, pour entrer dans les détails. Tant mieux, peut-être: au lieu de survoler des dizaines de disques, j'ai savouré pleinement une poignée d'entre eux.



* Reste que la façon dont revival rock et revival soul se sont logiquement succédés dans les médias laisse planer un doute: n'était-ce pas programmé à l'avance (d'autant que Sharon Jones, par exemple, n'est pas un perdreau de l'année)? Mais on sait, de toute façon, que l'opinion publique dépend en grande partie de ceux qui la créent.

jeudi 6 mai 2010

Sharon Jones and the Dap-Kings


Sharon Jones, dans une interview, se disait fière d'être noire. Elle peut surtout être fière d'elle-même. Tous les noirs n'ont pas son talent (et moi je ne suis pas fier d'être blanc comme Lou Reed car je n'ai - hélas - pas écrit Walk on the wild side). Malgré tout, je crois, comme beaucoup de ses pairs et comme peu d'occidentaux, aux différences raciales. Le jazz, par exemple, pour un blanc, c'est un reader digest consulté cigare en main: c'est prestigieux même quand on n'y comprend rien. Mais on n'y comprend surtout rien. On l'a assez répété - on finit par y croire - il manque au blanc le sens du swing. Les seuls blancs qui s'intéressent encore au jazz sont Marc Edouard Nabe et des universitaires polis et vétilleux mais pas très funky. Il y a cependant une chose qui défie radicalement cette ségrégation latente; cette chose, c'est la soul. C'est Motown, en particulier. Est-ce parce que d'emblée Gordy a cherché à séduire le public blanc avec des chansons calibrées pop? On l'a dit, on le lui a reproché, on l'a écrit dans les livres d'histoire. C'est peut-être, c'est sans doute, vrai, mais rien n'explique cette fusion parfaite des sensibilités, cette passerelle inédite entre nos deux cultures. Qu'aujourd'hui des revivalistes continuent à faire vivre ce style de pop habité et universel est à la fois parfaitement conservateur et en même temps on ne peut pas les en remercier assez.

Si Sharon Jones plaît sans réserves, et aussi vite, c'est bien sûr parce que l'oreille identifie tous les ingrédients qui ont fait le succès de la firme américaine dans les sixties, parfois jusqu'à les confondre avec l'original. Bien qu'on soit trop jeunes pour s'en souvenir, cette musique nous a imprégné dès notre enfance, via les films, les publicités et peut-être les best-of de nos parents. Quelques notes suffisent: une voix chaude, des chœurs, un refrain enlevé et la mécanique s'emballe. En musique, l'amour est un réflexe.

Comme pour l'album de Camera Obscura, qui rappelait obscurément des madeleines d'autrefois, ce disque de Sharon Jones est l'occasion de soulever le couvercle de notre mémoire musicale, où bouillonnent des airs inconnus, appris on ne sait où, mais qui ont modifié pour toujours notre horizon d'attente. Moins original, donc, que le très bon album de Nicole Willis paru en 2005, qui sonnait moins vintage (mais l'était quand même), I learned the hard way est hyper classique mais hyper bon, autant par ses accompagnements que par le chant. S'il est difficile de mettre de coté l'histoire du genre et par conséquent de jauger le disque en tant qu'expérience musicale isolée, unique et irremplaçable (ce que devrait être tout disque), il peut amplement s'apprécier pour lui-même. Par goût, vous pourriez même l'aimer davantage que certains classiques, tout en sachant qu'il est en revanche moins novateur.

lundi 22 mars 2010

la chanson de la semaine: Invisible Man (Nicole Willis and the Soul Investigators)


La soul a failli avoir son revival, comme le rock à frange. En fait, elle l'a eu mais il a fait moins de bruit. On peut signaler une tentative de médiatisation en masse l'an passé, supportée principalement par les fnacs; les classiques du genre s'étalaient au regard des incultes, dont je suis, avec des commentaires élogieux et des prix verts. Mais rien ne confirme que la sauce ait pris. Ces dix dernières années toutefois, des productions dites "à l'ancienne" ont fleuri en bouquets, jusqu'à ce qu'Amy Winehouse porte tout ça sur le devant de la scène, où elle reste assez seule depuis. Dans l'ombre, Nicole Willis et Sharon Jones, les deux principales représentantes du genre, ont leurs admirateurs. Très old school, jusque dans leur présentation (avec le nom du groupe traditionnellement détaché: Nicole Willis and the Soul Investigators; Sharon Jones and the Dap-King), trop rétro peut-être pour toucher un public jeune et avide de faire son temps, ces deux excellentes chanteuses n'ont pas exactement le succès public d'Amy Winehouse. Cette dernière, sans doute en vertu de ses manières graveleuses, a renouvelé le genre sans y toucher, comme c'est bien souvent le cas: la musique respecte formellement les codes, mais la personnalité infuse dedans comme une herbe et donne une saveur que beaucoup trouve remarquable. Doit-on comprendre que Nicole Willis et Sharon Jones sont trop scrupuleusement pro pour attirer la gloire? Mais pourquoi pas... N'a-t-on pas, en les écoutant le même sentiment qu'en écoutant les Coral? Ne sont-elles pas à Amy Winehouse ce que les Coral sont aux Libertines? Autant dire qu'elles sont parfaites. Leur conservatisme - qui ne pas de mystère- a l'immense avantage d'être justifié par toutes les belles qualités de leurs disques: comme toujours en musique c'est la réussite qui légitime la démarche et non l'inverse (cela ne laissant pas d'être scandaleux aux gens à principes). Elles voulaient peut-être sonner "intemporel" en faisant volontairement rétro; si rien ne dit que ce soit, dans l'intention, une bonne idée (c'est même une erreur logique), le résultat semble en tout cas porter ses fruits. Il faut passer légèrement sur Be It, un album de nu-soul vaguement lounge que j'écouterais volontiers dans un magasin H&M mais pas chez moi, et se diriger droit vers Keep Reachin' Up. On comprend alors ce que je voulais dire: Nicole Willis s'accompagne d'un groupe soul à l'ancienne et réalise enfin un grand disque où l'écriture des morceaux se met au service de sa voix sans s'éclipser derrière une atmosphère cosy. L'instrumental "the soul investigator theme" synthétise l'excellence de son backing-band: avec la sensibilité rythmique de la guitare, on a déjà un peu plus de balancement qu'avec les sons synthétiques inconsistants de Be It. Mais le meilleur morceau reste une chanson: Invisible Man. La suite d'accords au piano est irrésistible, la basse assure le groove et le refrain achève de faire d'Invisible Man un tube mémorable! Il faut dire que l'album en est truffé. Les bons albums, qu'on écoute d'une traite, sont déjà rares dans les genres que j'affectionne, mais il faut croire que j'ai eu du bol d'en trouver un dans un domaine qui m'est assez largement étranger.