L'hiver de Beach House
Je n'ai, au sujet de l'année écoulée, qu'une seule opinion claire: c'est que Teen Dream en reste mon sommet personnel. L'enchantement est identique une dizaine de mois après. Il faut dire que j'ai bénéficié de conditions d'écoute exceptionnelles et optimales. A qui voulait bien l'entendre, j'expliquais qu'à l'époque où sortait le disque était (re)diffusée la saga de La Guerre des étoiles. Comprenne qui pourra: alors que ses détracteurs n'entendent autre chose qu'un long et vague ennui, j'ai perçu dans Teen Dream comme une épopée miniature, une épopée de chambre, certes, mais une épopée quand même, avec sa verve intarissable, son sens des grandeurs, son emphase, son accomplissement héroïque et galvanisant. Une musique de Jedi. Rien de comparable à l'album précédent, Devotion, lui-même excellent, mais plus fantaisiste, plus capricieux. Teen Dream, à la longue, révèle un certain classicisme, c'est une couche de neige froide, mais comme dans le conte de Grimm, l'enfant frigorifié y trouve un petit coffret et dans ce coffret une clé en or. Maintenant, attendons qu'il la porte à la serrure et nous verrons ce qui sortira de la boîte... Pour moi, c'est tout vu: un trésor!
Les rigolos de Mgmt
L'année commençait donc bien. Il n'y avait guère que Beach House, mais c'était énorme. Peu de temps après, c'était au tour de Mgmt. L'affaire était pourtant mal engagée: le duo, déjà vilipendé pour sa disco clinquante de 2008, fut cette fois cloué au pilori. Avec une suite rococo vite jugée décadente par les puristes du rock, Mgmt devint la bête à abattre, l'incarnation de tout ce que la pop, en 2010, pouvait avoir d'irritant pour un partisan de la ligne dure. Dans la lignée des Klaxons et de leur breloques fluorescentes, le duo de Brooklyn mélangeait tous les styles sans se soucier aucunement du bon goût ni même de la clarté de ses intentions. Tout un chacun d'être embrouillé et, sans réfléchir, de crier haro sur le baudet. Force est de constater, quelques mois plus tard, que le disque de Mgmt n'était pas si brouillon qu'on a bien voulu le dire. Baroque, excessif, libre - oui! Mais sans queue ni tête, non. Avec le temps il ne révèle qu'une faille: il est trop court. Les ficelles mises à nues, le disque est digéré. Mais pour en arriver là, il aura fallu l'écouter des dizaines de fois. Ce qui justifie une telle insistance c'est qu'on l'a absous, aimé puis adoré. La chanson éponyme de l'album (Congratulations) n'y est pas pour rien...
Les meilleurs clips
Forever and ever amen, the Drums
Avant qu'on me jette aux oubliettes, je tiens à préciser, pour les avoir vus sur scène, que les Drums c'est avant tout une esthétique, une mode - et bientôt, quand Slimane l'aura déclaré, la mode.
En live, c'est (jusqu'à présent) inaudible et le chant n'est pas en rythme. Il faut dire que Jonathan Pierce est très occupé à danser et qu'on ne peut pas tout faire en même temps. L'hystérie collective s'explique donc plutôt par le visuel et l'art de bouger, qui est un art de vivre, que par la musique. Quiconque veut associer l'image au son doit regarder les clips. C'est là que brille le groupe dans toute sa splendeur. Cette vidéo, je la trouve excellente, pour les couleurs, les vêtements, la danse (d'automates), les images qu'on dirait capturées à Manchester dans les années 80-90 et pour la lumière (notamment sur les toits). Il y a un langage fort, concentré, précis, vif - et néanmoins une incurable nostalgie. Mais je vais vous surprendre, peut-être, en vous disant que la musique me plait également. Les Drums, ne vous déplaise, ont sorti l'un des meilleurs disques de l'année.
Tighten Up, the Black Keys
On l'a sans doute tous regardée, quoiqu'on pense des Black Keys et notamment de leur dernier album, ce Brothers dont le titre à lui seul plagie le langage de la soul. Les Black Keys sont sortis du bourbier dans lequel ils s'enlisaient. Il y a quatre ans de cela, ils abusaient des larsens, leur son était écrasant et disgracieux. Aujourd'hui, après un détour par le rap et son flow ininterrompu, les Black Keys ont gagné en fluidité; leurs rythmes balancent plus. C'est parce qu'ils ont appris de la musique black. Ce n'est pas encore du blues, ni de la soul, mais ces écoliers laborieux qui copiaient sagement les classiques, à force de vouloir être cool, finissent par le devenir. Ils crânent, mais c'est bon enfant.
La meilleure prise de live
L'an prochain sortira le nouvel album des Smith Westerns qui, s'il est à l'image de cette chanson, sera dantesque. En attendant, cette vidéo, capturée au festival de Pitchfork cet été, est un moment de classe inédit, qui réussit le tour de force de faire croire à l'existence d'une génération secrète, clandestine et sidérante de fraîcheur, de nouveauté.
Chansons Soul/R'n'b
Without a heart, Sharon Jones and the Dap-Kings
La publication, cette année, de l'Odyssée de la soul, réplique r'n'b de l'Odyssée du rock parue en 2008, est un signe des temps. Ce genre de livre n'arrive jamais par hasard, ni à contre-courant. Il consacre en fait le retour de la musique black comme nouvelle tendance dominante. Même s'il faudra quelques années pour que l'ébullition devienne phénomène et que le phénomène devienne, à son tour, moment historique, il est d'ores et déjà certain que la population noire connaîtra son revival, comme les blancs ont vécu le leur en 2001. La preuve, s'il en faut une, c'est le succès critique que connaissent Kanye West ou Janelle Monae auprès des webzines et des médias jusqu'alors spécialisés dans le rock indé. Sharon Jones, quant à elle, à rebours de ces démarches modernistes, a ressuscité la soul à l'ancienne, de l'old-school sans concessions qui trouve, en 2010, un public plus large qu'auparavant. Et doucement, les fans de musique indé finissent par s'y mettre...*
I need a dollar, Aloe Blacc
Encore de l'old-school. Un classique instantané, comme il y en a à peine cinq par an. A noter que sur l'album, on trouve une reprise du Velvet Underground - Femme fatale. La musique soul, à son tour, s'inspirerait-elle du rock comme le rock s'est inspiré du r'n'b?
A l'écart des projecteurs
Comin' Through, The War On Drugs
Kurt Vile, le retour. Que ce type me fascine, c'est peu dire. Mais il me désole aussi. Son ep est catastrophique - ou presque - et le single qui a suivi ne vaut pas grand chose non plus. Mon échelle de comparaison se base en tout cas sur Freeway, ce qui place bien sûr la barre très haut. Mais j'espère qu'il attendra à nouveau ces sommets en solo. S'il ne le fait, son copain Adam s'en occupera: à deux, pour le groupe the War On Drugs, ils déroulent des tapis de merveilles.
Good To Be, Magic Kids
Avec un patrimoine aussi léger que les Beach Boys (qui sont surestimés, non?) et une ambiance festive nourrie aux violons, les Magic Kids de Memphis ont virtuellement l'un des défauts majeurs de la musique indé: l'infantilisme gaga et la niaiserie volontaire. Mais bon, quand on voit le niveau de songwriting, on s'écrase. En plus, en cette période de Noël, Hey Boy sera idéale pour les soirées en famille. Cela remplacera les sempiternelles chorales et les brass-bands. Un jour, peut-être, on expliquera pourquoi cet album n'a pas eu à sa sortie l'impact mérité.
Summer Holiday, Wild Nothing
Cela aurait pu être un nouveau single de Pains of Being Pure At Heart. On y trouve la même atmosphère diffuse qui touche les enfants des années 90.
folk-rock
Twenty Miles, Deer Tick
Un crève-cœur par un canard.
It's a shame, it's a pity, the Moondoggies
Observez le succès d'un groupe et vous connaîtrez les fantasmes de la foule. Les Moondoggies, confidentiels et bornés à l'anonymat, n'en suscitent visiblement aucun. Il est parfois désespérant de constater qu'on ne partage pas tous les mêmes rêves. Il leur manque sans doute le sex-appeal, la clé de voûte de la musique moderne.
Garage-rock
More or Less, the Soft Pack
Le garage-rock US (forcément US) est en forme. Depuis deux ans, il est même à son meilleur. D'ici peu on pourra éditer un nouveau coffret de Nuggets. Comme avant, le style peine à accoucher d'un grand album; on se contente donc de quelques chansons, à droite, à gauche. Mais c'est comme ça, c'est inscrit dans le code génétique du genre: l'inaptitude à sortir un chef-d'œuvre ne date pas d'hier. En compensation, des dizaines de groupes offrent annuellement des petites pépites. Les Soft Pack ont déjà donné avec Extinction, mais More or Less n'est pas mal non plus. L'album est un peu fade, mais ils sont tellement sympathiques que je l'écoute quand même.
I'm a thief, The Fresh & Onlys
Réplique exacte de l'album des Mantles et cousin proche des Crystal Stilts, Play It Strange est encore un bon disque de garage-rock. Les Fresh & Onlys pondent des morceaux comme les poules: c'est régulier. Ils ont toujours un bon petit lot à écouler. Je suis preneur.
Be Brave, the Strange Boys
Grosse déception, les Strange Boys, avec leur mauvaise country nasillarde, sont loin, très loin d'être à la hauteur de leur réputation. D'ailleurs l'album a fait un flop. Mais Be Brave, le single qui l'annonçait, reste très bon.
World
Surprise Hotel, Fool's Gold
Drôle de truc, ce Fool's Gold. L'album n'est pas extraordinaire - pas vraiment meilleur que Vampire Weekend - mais il est porté par un hit estival qui a répandu la bonne humeur.
Le reste
D'autres chansons ont déposé leur message sur le rebord de la fenêtre. J'en ai oublié, sans doute. Hoola, d'Archie Bronson Outfit, a rythmé le mois de février. Mais la charge héroïque de leur album m'a trop abruti. When I'm with you, de Best Coast laissait présager un été radieux; le disque est si décevant que j'en ai oublié le single mirifique qui l'annonçait. What's in it for d'Avi Buffalo est le meilleur Mgmt de rechange. Mais puisqu'on a l'original... Enfin, il y a le nouvel ep de Girls, les meilleurs san franciscains. Je n'ai pas eu le loisir de beaucoup l'écouter. Dans l'ensemble, il m'a manqué du temps, cette année, pour entrer dans les détails. Tant mieux, peut-être: au lieu de survoler des dizaines de disques, j'ai savouré pleinement une poignée d'entre eux.
* Reste que la façon dont revival rock et revival soul se sont logiquement succédés dans les médias laisse planer un doute: n'était-ce pas programmé à l'avance (d'autant que Sharon Jones, par exemple, n'est pas un perdreau de l'année)? Mais on sait, de toute façon, que l'opinion publique dépend en grande partie de ceux qui la créent.
"J'en ai oublié, sans doute. Hoola, d'Archie Bronson Outfit, a rythmé le mois de février. Mais la charge héroïque de leur album m'a trop abruti."
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Tiens marrant. J'aime beaucoup ABO mais ce dernier album m'a très vite lassé (voire jamais passionné en fait). Pourtant, le premier single annonçait de belles choses!
En tout cas, bilan original et puis sympa à lire!
Celui-là, personne ne l'a aimé. Pourtant, il est cavalier, fruste et technoïde. Je l'avais entre les mains l'autre jour et sa pochette me rappelait de bons moments passés à écouter Hoola ou Bite it and believe it.
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