La chanson de la semaine

jeudi 19 août 2010

2010, A suivre...


C'est terrible comme 2010 est pauvre. Terrible et rassurant à la fois. Qui voudrait d'une année où chaque semaine signifierait la sortie d'un disque imparable? Qui voudrait voir sa discothèque remplie d'indispensables qu'on n'aurait même plus le temps d'épuiser? Avec l'embarras du choix, le plaisir plein et absolu de la possession d'un disque longtemps convoité cède la place à une façon désordonnée et obsessionnelle de butiner la musique. On se consolera donc ainsi de cette année de disette où le second meilleur disque, à mes yeux, est le plus mauvais album des Coral, où le troisième de la liste sera vraisemblablement le solide mais trop banal Soft Pack. Pour le reste, c'est une quasi plaisanterie. L'année commençait pourtant fort bien avec Teen Dream, de Beach House, qui est d'ores et déjà assuré d'être élu meilleur album de l'année par mes soins. Avec une telle réussite, franchement inespérée, quand depuis des années on attendait en vain un grand disque de dream-pop, l'année 2010 restera curieusement dans les annales de ce blog. Mais à ce titre seulement, car en aout aucun signe d'amélioration n'est à signaler. Avec la sortie prévue de Phosphene Dream des Black Angels et d'un nouveau Black Mountain - dont je vous proposerai les premiers extraits - les fans de néo-psychédélisme vont peut-être avoir l'eau à la bouche. Sauf que, malgré une excellente pochette, le groupe de Stephen McBean a l'air de s'être paumé dans les dédales en carton-pâte du hard à la Black Sabbath. Déjà que Black Mountain n'était pas un groupe de première finesse, le Söderling de la pop, à la droite de puncheur, va nous revenir avec des jambes encore plus lourdes.
Revenons à janvier: These New Puritans signaient la première cochonnerie high-tech de l'année. Elle fut appréciée par certains pendant quelques mois, le temps qu'il fallait à Mgmt pour sortir l'autre flop de 2010. Si la sortie du disque vaut qu'on en parle, on ne sait toujours pas si le disque en lui-même vaut qu'on l'écoute. A chaque fois, l'avis oscille entre "bof" et "pas mal!". Depuis, Arcade Fire a pris le relais, mais comme les choses vont vite et que la qualité des disques décroit, les Klaxons sont déjà au taquet, près à relancer l'intérêt des jeunes pour la pop. Hélas, eux aussi ont un petit air de perdants cette année. Bref, les "gros" s'écroulent gentiment et pendant ce temps, les petits tardent au démarrage.
Par exemple, j'aurais aimé pouvoir parler plus longuement des Strange Boys ou de Best Coast. Problème: les premiers sont archi-décevants, la deuxième indisponible en France et, pour ce que j'en ai entendu dire, bien en-dessous des allégations flatteuses l'ayant concernée pendant les quelques mois où l'excellent single When I'm With You avait alléché le public. Waaves peut-il laisser espérer quelque chose? A première écoute, les morceaux ont un air de punk-rock collégial. Déjà déclaré nouveau Blink123, Waaves risque de ne pas vraiment nous contenter. Le pire, c'est que les Dum Dum Girls, dans le même registre garage, ne sont pas si bonnes qu'indiquées par la presse. Pas mal, ok, mais dans le genre, je préfère les Vivian Girls.

Tout n'est pas fini. Il existe d'autres gros titres. Ariel Pink, par exemple. Oui, tiens, Ariel Pink, le gourou de la scène californienne. Il a signé, il est vrai, quelques morceaux délirants et bien sentis. Mais c'était avant de sortir son nouveau disque. Les moyens mis à sa disposition font mentir les zélateurs qui le voyaient devenir énorme pour peu qu'il s'adjoigne les services d'un vrai studio: pourvu du matériel nécessaire, Ariel Pink sonne tout au plus comme un deuxième Mgmt. Décidément, 2010 ne réussit à personne. Ah si, peut-être! J'oubliais que les amateurs d'electro ont tout le loisir de célébrer Four Tet, auteur d'un album très réussi et souvent captivant. Ce n'est, hélas, pas ma tasse de thé. Pas plus que les Magnetic Fields, toujours aussi mutins et capricieux. Cette impression d'écouter le manège enchanté, avec une petite distance ironique dans la voix, m'agace assez vite. Dommage, car ils ont écrit, dans leur carrière, de belles petites choses.

Dans la catégorie "retour du rock" et ses reliquats, on peut signaler deux efforts louables: Black Rebel Mortocycle Club et les Black Keys. Mais les impressions fortes des premières écoutes trahissent une application d'écolier, dénoncent même un génie factice, comme si ces groupes, devenus professionnels, savaient maintenant quelles ficelles utiliser pour donner l'illusion des "classiques".

On n'en dira pas autant, dans un autre genre, indéfinissable, de Crystal Castles, qui essaie, imparfaitement, de faire des choses. Quoi donc? On ne sait pas bien encore, mais c'est rafraichissant et parfois imprégné d'une violence ravageuse (Doe Deer). Cela dit, ce groupe indique assez clairement la direction que prend le rock à l'aube de la décennie: plus électronique qu'électrique... Ah, vous trouvez ça cool, vous? Il est vrai que beaucoup apprécient Gonjasufi et LCD Soundsystem...

Parlons maintenant des disques insignifiants, médiocres, quelconques, dont je n'ai rien à secouer, malgré d'éventuelles qualités: Broken Bells, Gorillaz, Foals, Gush, Liars, Local Natives (que je vais pourtant voir en concert vu qu'ils passent avec les Coral), Midlake, She and Him, The Black Box Revelation, The Dead Weather, The National, The Tallest Man On Earth, Two Door Cinema Club, Yeasayer... Je serai un peu moins dur avec les Surfer Blood, même s'ils ne cassent pas un aileron aux requins de Floride.

Il est temps de finir sur les oublis de cette rétrospective. Les Drums sont plaisants et leur album est réussi, plus que l'ep sorti en 2009. C'est un des quelques bons points de 2010 avec Fool's Gold. Mais n'exagérons rien, on reste en-deçà du niveau requis pour figurer durablement dans nos cœurs. Scoutt Niblett et Archie Bronson Outfit méritent, dans ce panorama très terne, une petite mention, même si tout le monde ne la leur accorde pas. J'ignore ce que valent réellement Joanna Newsom et Owen Pallett, car on ne peut pas dire que je me sois fait un devoir de réécouter une deuxième fois leurs chansons. Ce que je peux dire, c'est que la première, sur Ys, devenait pénible au bout des quinze jours durant lesquels, émerveillés par la découverte, l'audace et le sérieux naïf de cette pastorale médiévale, j'avais failli trouver cela génial, un peu par esprit de contradiction, il faut l'avouer, pour en découdre avec ceux qui raillent systématiquement la douceur diaphane et la limpidité sereine du folk. Peu scrupuleux, inconstant comme tous les critiques, j'ai retourné ma veste aussi vite que j'ai senti mon début d'admiration précoce tourner à la lassitude. Ce n'est pas tant parce que j'aurais eu du mal à soutenir Joanna Newsom contre ses détracteurs que parce que moi-même, n'y tenant plus, je ne l'écoutais plus assez pour en penser quoi que ce soit de profond.
Je m'aperçois que j'ai omis un disque soi-disant marquant du paragraphe où il aurait eu sa place, preuve s'il en est qu'il passe plus vite inaperçu qu'on ne l'aurait cru. Il s'agit de Vampire Weekend. Ah, que les gros vendeurs se sont trouvés mal cette année! Pas plus qu'Arcade Fire ou Mgmt, Vampire Weekend ne convainc ses propres fans. Alors, ne parlons pas des autres, n'est-ce pas...

mardi 17 août 2010

Les Contemplations


1 - Les deux faces de la lune

Halte là, moqueurs, condescendants, arrogants de toute espèce. Il y a bien un arrière-plan aux apparences. Vous en doutez peut-être. Vous avez lu Nietzsche. Vous faîtes les esprits forts, que la métaphysique n'impressionne plus; vous vous riez des profondeurs, de ce qui demeure caché sous la surface des choses. La sagesse populaire, avec ces platitudes recuites et ses fades ritournelles, vous impatiente. Pour le surplus, vous êtes gênés, autant qu'agacés, à chaque fois qu'on vous débite toutes ces sornettes. C'est que vous avez pitié des esprits faibles autant que vous haïssez ceux qui sont fumeux et entortillés. Mais lisez-bien ce qui va suivre. Il se pourrait que votre opinion change.

Il y a bien un arrière-plan aux choses du monde, et la musique, plus que tout, en est la preuve matérielle. Pour ma part, c'est la chanson The River qui me l'a révélé. Pj Harvey en est l'auteure. Jusqu'alors, je pensais la musique comme une chose unie et qui se livre d'un coup, car tous les sons se donnent en même temps à l'oreille sans qu'aucun ne puisse se dérober. Il me semblait même que la musique, avec son charme superficiel, qui nous ravit sans délivrer de message (mais est-ce si sûr?), était l'expression d'un culte des apparences.
Mais The River est une chanson sournoise. Elle est traître comme l'eau calme. La première écoute ne révèle rien de curieux. Le piano suggère, par touches impressionnistes, une vague musique d'ambiance, douce et apaisante. Une légère inquiétude, peut-être, pour qui a prêté l'oreille, suscite le doute, hérisse les sens, comme alarmés par un signal occulte. Mais c'est la seconde écoute qui perce le voile. Derrière la mélopée il y a comme un roulement. Ce sont les basses. Elles simulent le courant profond de la rivière, celui qui emporte le baigneur inconscient et le noie. Plus les écoutes se multiplient, plus le malaise - somme toute agréable, désirable - grandit. C'est qu'il y avait quelque chose derrière l'innocence factice de cette musique, derrière son calme plat.

L'oreille ne capte pas tout. Ou plutôt, elle capte tout, mais elle isole les sons les plus proches ou les plus flagrants pour laisser les autres dans la confusion. Il nous faut "disséquer" la musique, fragments par fragments, pour pénétrer, au fil des écoutes, toutes ses strates, et en dernier lieu seulement la strate la plus profonde, celle qui fait comme un infrason dans l'ambiance locale. Peut-être n'appréciez-vous pas cette habitude qui consiste à analyser la musique comme un puzzle au lieu de la prendre dans son ensemble, elle qui emporte l'adhésion par une impression générale. Mais ce que vous ne faîtes pas par vous-mêmes, votre oreille le fait pour vous - que cela vous plaise ou non. Au restaurant, où des petits groupes de paroles se forment, l'oreille circule de l'un à l'autre, en isolant à chaque fois les fréquences qui permettent d'identifier tel ou tel groupe et de rejeter les autres dans l'obscurité. Vous entendez toutes les discussions mais vous n'en écoutez qu'une. Il en va de même pour la musique où les instruments sont comme autant de groupes qui discutent: votre oreille façonne le son d'une guitare, puis celui de la basse, de la batterie... Mais l'ordre de la découverte n'est pas aléatoire, il est prémédité par ceux qui, au mixage, ont choisi quels seraient les instruments dominants. La basse d'une chanson comme the River, tout en bourdonnant en fond sonore de façon continue, ne peut apparaître clairement à la conscience qu'au bout d'un certain temps d'accoutumance. Et c'est ainsi que la musique, qu'on croit "unie", se divise en apparence et en fond, dans l'ordre où l'oreille appréhende les choses.

The River me plait parce qu'elle tend ces deux faces, l'une lumineuse, l'autre obscure, jusqu'à la contradiction. C'est ce qui la rend à la fois indécise et profondément inquiétante.

2 - pour l'amour du monde

L'album Out Of Season est l'un des plus beaux au monde. Sorti en 2002, alors que le public avait les oreilles ailleurs, il n'a, huit ans plus tard, pas pris une ride. Beth Gibbons y chante mieux que jamais. Geoff Barrow lui-même en fut dépité. C'est qu'elle avait gardé le meilleur pour elle.
Vous ne trouverez pas sur Dummy une telle liberté de ton, une telle intimité avec le monde, un sentiment de recueillement et de confidences aussi profond. La voix de Beth Gibbons miroite, elle a des éclats subits qui scintillent puis disparaissent. C'est une flamme fragile, vacillante. Elle est toute proche; jamais disque ne fut plus proche de son auditeur. Sa proximité est telle qu'il ne peut ensuite que se replacer à distance raisonnable. Ce sont en fait ses premières minutes qui s'insinuent dans notre âme et révèlent, jusqu'à l'impudeur, son amour de la vie. Quand elle chante "God knows how I adore life/When the wind turns on the shore lies another day/I cannot ask for more", il me semble qu'elle va plus loin dans l'épanchement que n'importe quelle chanson voyeuriste. Toute haine de la religion devient vaine: admiratif, apaisé, on laisse tomber les armes. On écoute; l'incrédulité un instant cède la place à la reconnaissance. On admet volontiers qu'elle dit vrai, pour elle-même, car sa voix emporte la conviction. Un tel moment n'a pas d'équivalent en 50 ans de musique folk.

Ce n'est pourtant pas la chanson que je préfère sur Out Of Season. Il y a, sinon plus original, au moins plus épique. Funny Time Of Year, pour ceux qui ont la chance de posséder l'album dans sa version limitée, est une véritable stridence, une pulsion électrique, un début d'orage dans la nuit. Il faut saluer le talent de Paul Webb, qui n'a rien oublié de son expérience avec Talk Talk. Dire le moins pour signifier le plus reste le mot d'ordre. Jouer avec le silence, s'appuyer sur les vides pour mettre les pleins en relief, augmenter les contrastes, tel est l'art poétique de Paul Webb, qui avec seulement quelques sons de guitare nourris d'effets impressionne par sa maîtrise de la tension dramatique, son intuition des moments forts.

Ouvrage presque parfait, inoubliable, Out Of Season est comme la pointe d'une montagne noyée dans le brouillard: elle est fine, discrète et moins visible que sa base, mais elle culmine au plus haut point d'altitude. Ainsi, Out Of Season ne représente-t-il dans les charts qu'un disque mineur, alors que dans nos cœurs il est incomparable.

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Is This Desire, Pj Harvey, 1998

Out Of Season, Beth Gibbons & Rustin'Man, 2002

samedi 14 août 2010

Le retour du rock: naissance, vie et fin

2000

13 Tales of Urban Bohemia - The Dandy Warhols

Ce n'est pas mon album préféré de l'an 2000. Pj Harvey a sorti cette année-là un disque autrement plus marquant et foncièrement rock, porté par les singles "Good fortune" et "This is love". Mais elle est hors-sujet, tandis que les Dandy Warhols donnaient avec Get Off ou Bohemian Like You un avant-goût stonien de retour du rock à l'ancienne.



2001

Is This It? - The Strokes

Le choix s'opère sans hésiter. Pas absolument génial, ce disque s'écoute toujours fort bien aujourd'hui parce qu'il est resté chatoyant. Même si la production parait vieillie, même si la voix est faiblarde, Is This It propose des mélodies qui ont une couleur chaude, une rondeur agréable. Il y a une recette Strokes. Ecoutez American Girl de Tom Petty pour vous en convaincre.

2002

The Coral - The Coral

Le problème du rock est qu'il se consomme chaud ou pas du tout. Je n'ai jamais écouté les Libertines. On les découvre de suite ou on s'en contrefout éternellement. Moi, je m'en contrefous. Les Coral, en revanche, bien que découverts sur le tard, me sont indispensables. Je ne sors pas sans un morceau des Coral. Ils sont si brillants sur cet album, proposent tant de saveurs, d'inventions, de surprises, que j'en ai fait mes favoris, toutes époques confondues. Un album de dingue.



Turn On the Bright Lights
- Interpol

Les suiveurs de Joy Division m'ennuyaient déjà quand j'étais fan de Ian Curtis, alors pensez bien qu'après saturation... Pourtant, si je dois réécouter un disque de new-wave aujourd'hui, je prendrais plutôt le premier Interpol que Closer. Il y a dans ce disque une grandiloquence glacée qui me touche, une certaine tension dramatique.

2003

Elephant - The White Stripes

Incontestablement, une bouffée d'énergie brute, qu'à l'époque je rapprochais plus de Nirvana que d'un prétendu revival années 70. Elephant est le seul disque estampillé "retour du rock" que j'ai découvert à sa sortie, parce qu'il dépassait en 2003 tous les clivages et se payait un succès public mérité.



2004

Franz Ferdinand - Franz Ferdinand

En 2004, j'écoutais A Ghost Is Born de Wilco, pas les Franz Ferdinand. Tous les jours je passais, admiratif, "At least that's what you said" pour m'emporter sur le solo de guitare démentiel de Jeff Tweedy. Mais Wilco n'a rien à voir avec la grande affaire de la décennie. Parmi ceux qui ont connu le succès public et la rotation lourde sur les radios et Mtv, les FF furent certainement les meilleurs. Leur premier album est une sacré réussite de disco-rock, que seuls Gossip a égalé.

Funeral - Arcade Fire

Ce n'est plus tout à fait le sujet mais Arcade Fire n'aurait jamais vu le jour sans le retour du rock. Funeral, pour les mordus de musique alternative, est le Ok Computer chaleureux et fervent des années 2000. Pour libérer tant d'énergie et de fougue, il fallait bien qu'un revival électrique et énergique ait rallumé les guitares.

Bluerberry Boat - The Fiery Furnaces

En quelque sorte une aberration plaisante du retour du rock, qui a ramené avec lui des éléments de musique progressive. Blueberry Boat est un collage musical qui se veut arty et qui, dans cette optique, est un échec dont on perçoit vite la vanité. Dès qu'on a pris conscience que ce qui demeure bon avec cet album n'est pas son concept, mais les bribes de mélodies et de rythmes qui accrochent l'oreille, on se dit qu'il eût mieux valu sortir directement un album au format pop.

2005

Apologies to the Queen Mary - Wolf Parade

Même commentaire qu'avec Arcade Fire. Si Wolf Parade ne représente plus grand chose aujourd'hui, en 2005 il était un nom étincelant à graver dans le marbre abimé du rock le plus sauvage. Bruyant, mal produit, sale, presque inaudible et pourtant ravageur. L'usure l'a malheureusement gâté.




Pretty In Black - The Raveonettes

Cet album est un condensé de l'esprit post-moderne: références appuyées à des objets sixties ringardisant et mignons, clin d'œil au cinéma, modernité de la mise en son. L'association est efficace. L'album est un peu trop sucré, comme toujours avec les Raveonettes. C'est une conséquence de cette volonté d'imiter qui flirte avec le pastiche et interdit les émotions brutes.

2006

Avatar - Comets On Fire

Considéré un peu trop vite comme un chef-d'œuvre du rock progressif, Avatar est, dans ces endroits les moins inspirés, une chose assez disgracieuse. Mais quel feu! A l'image de la pochette, Avatar est un nuage de fumée incendiaire, un orage foudroyant, une tempête aux cimes des montagnes. Le genre de musique "paysagiste" qui fait croire aux forces terribles de la nature.

Whatever People Say I Am... - The Arctic Monkeys

Au début, je ne les aimais pas. Comme j'ai la haine facile, je les détestais même un peu pour un succès qui me semblait usurpé. Comment avec des rythmiques si lourdes, de type 'marteau-piqueur' et avec un son de guitare si gras, les Arctic Monkeys pouvaient-ils séduire les foules? Je ne voyais qu'une raison à cela: les jeunes se reconnaissaient dans ce qui me semblait être des zonards boutonneux mangeurs de pizzas. Mais "When the sun goes down" me rendait fébrile dans mon jugement. Je trouvais ce morceau si puissant, si habilement construit! Depuis que j'écoute les Last Shadow Puppets, l'autre groupe d'Alex Turner, j'ai décidé de donner une énième chance aux Arctic Monkeys. Qui n'a pas fait comme moi d'ailleurs?

Standing In The Way Of Control - Gossip

Après les FF, voici Gossip. Les deux groupes ont signé la renaissance du disco avant Mgmt, mais que les vieux punk se rassurent: on ne prétend pas encore les achever et ils pourront continuer à vivre sous assistance respiratoire un certain temps puisque, tout en étant disco, Gossip n'en est pas moins un authentique groupe de rock, décomplexé, puissant et rythmique.

Passover - The Black Angels

Une bombe de rock psychédélique sous influence Doors+Joy Division. Un troisième album est à paraître. Il m'est toujours difficile d'avouer que je les aime, car le chanteur est horriblement théâtral dans son interprétation de Jim Morrison, qui lui-même n'était pas un modèle de finesse... Les Black Angels sont si sombres qu'ils en deviennent vite caricaturaux, mais les guitares ont un effet 'rouleau compresseur' qui écrase l'auditeur et provoque sa virilité.

2007

Myths of the near future - Klaxons

Le retour du rock s'achève ici mais la décennie continue et pendant qu'une génération ayant biberonné les Libertines cultive l'élitisme bourgeois et déliquescent d'une vénération pour les années 50, se pâme devant des œuvrettes minuscules et dépassées, vire de plus en plus réac', l'âge aidant, et ne jure plus que par le rétro-chic, autrement dit, pendant qu'elle se dirige droit vers le cul-de-sac du passéisme, des très jeunes, habillés de couleurs fluos, développent une micro-mode assez ridicule mais rafraichissante et surtout moins péremptoire que le ton pris par les vieux rockeurs pontifiants. Le rock est mort, la preuve par son érudition de plus en plus asphyxiante, signal toujours critique qui me fait dire que, plus tôt il sera enterré, meilleur ce sera pour lui. Les Klaxons sont tape-à-l'œil, mais au moins ils essaient quelque chose.

In The Future - Black Mountain

Le retour du rock ne fut pas qu'une déclaration d'intentions à l'usage des dandys et des 'gens de goût'. Ceux qui ne se préoccupent pas des codes vestimentaires ont pu, eux aussi, profiter des guitares électriques à leur manière, par une conjecture relativement favorable à une forme nouvelle de prog-rock. Black Mountain est resté très en retrait par rapport au succès formidable du romantisme urbain et arrogant incarné par le rock des années 00, mais In The Future est parfait pour les inconditionnels de Pink Floyd et pour les jeunes qui n'ont que faire de la désinvolture et de la "classe". In The Future, en effet, est souvent pompeux, parfois lourd, mais toujours tourné vers les étoiles, vers un fantasme d'épopée juvénile et cosmique.

2008

The Age Of The Understatement - The Last Shadow Puppets

C'est, puisqu'on en parle, un disque assez rétro. La pochette en avertit l'auditeur. Il n'empêche que c'est une réussite de maître. En quelques titres (Standing next to me, The chamber, My mistakes were made for you...), le groupe écrit la suite du premier album des Coral. Inespéré! Il est devenu fréquent d'inviter cet album dans les tops de la décennie. Certains en contreviennent. Eh bien! Qu'ils essaient de me trouver mieux!




Oracular Spectacular - Mgmt

Je crois que Mgmt, en 2008, a accompli le travail de sape entamé par les Klaxons un an plus tôt. Le paysage musical n'est plus le même; les guitares sont encore là mais leur usage a été détourné; les synthés sont revenus. Les authentiques fans de rock n'ont donc pas fini d'enrager. Personnellement, j'aime assez ce disque, même s'il est un peu trop brouillon et que les écoutes l'usent vite. Ce qu'il représente, en revanche, continue à me plaire car j'y vois un renouvellement. Sans doute n'est-il pas du meilleur goût, mais l'atmosphère devenait irrespirable à force de rock à frange. De la place pour les autres! avait-on envie de crier. Voilà, c'est fait.

Midnight Boom - The Kills

Un peu à part dans son sous-genre, The Kills est un groupe de rock légèrement teinté d'électro qui a fait profession de foi de la félinité et de l'érotisme sur-joué de VV. Pas toujours convaincants, ils méritent quand même une ligne dans cet espace consacré aux années 2000. Ce disque, en particulier, porte un peu plus loin que les autres leur esthétique.




2009

Album - Girls

Etrange année que cette année 2009, où tous les horizons d'un coup se déploient, avec la dream-pop neigeuse des Xx, le rock de stade à la Big Pink, les zigouigouis inaudibles que fait Micachu en triturant une guitare désaccordée, la pop doucereuse et parfois crève-cœur de Camera Obscura... Sans compter une sorte de micro-scène électro naissante en Californie, où les vaguelettes vous lèchent les pieds dans un été éternel... La Californie renferme trois des meilleurs albums de 2009. Le premier, le summum, est l'album des Mantles, mais comme il est inconnu je vous en fais grâce dans cette rétrospective et vous invite à lire mes articles sur le sujet; le deuxième est celui de Girls, Album, qui reprend le chemin des années 90, interrompu par dix ans de réaction rock. Il participe toutefois du même phénomène que les Strokes ou les Libertines, puisqu'il appert que Christopher Owen ne serait pas contre devenir un nouveau Pete Doherty. Il exagère un peu avec son timbre bêlant, mais on n'a pas résisté, ni vous ni moi, je crois, à Hellhole Ratrace et son petit air de 1979 des Smashing Pumpkins.




200 Million Thousand - The Black Lips

Et voici le troisième meilleur album de 2009. Du garage-rock, brut de décoffrage à un point où on ne le croyait même pas permis. C'est hirsute, ça beugle, ça râle, ça agonise dans la joie et la fureur, ça hurle et c'est tellement débraillé qu'on pourrait croire que les Black Lips n'en ont plus rien à faire de rien. Or, en général, quand on fait n'importe quoi, ça s'entend. Ce qui m'étonne donc, c'est qu'en ayant l'air de faire n'importe quoi, ils sortent un album réussi, efficace, dénué de faiblesses et jamais en rade de mélodies et de refrains qui tuent.

Smith Westerns - The Smith Westerns

On finit la décennie sur une touche de glam-rock. C'est à peu près la seule chose qu'on n'ait pas entendue en 10 ans de revival, ça tombe donc plutôt bien. Les Smith Westerns sont très jeunes et s'apprêtent en 2010 ou 2011 à sortir leur deuxième album qui, contrairement au premier, sera produit. Ils ont toutes les vertus du rock des années 2000, avec les défauts qui leur sont associés, selon le point de vue duquel on se place: jeunesse, désinvolture, voix de morveux arrogants, style défroqué et braillard... Un bon album en tout cas.

Evidemment, cette rétrospective omet un certain nombre d'excellents albums, parfois supérieurs à ceux proposés ici. Mais c'est à dessein que j'ai écarté Tv On The Radio, Beach House ou les Xx, pour ne citer que quelques absents. Ils n'avaient pas leur place dans cette rétrospective particulière, puisqu'ils appartiennent à d'autres familles musicales. De plus, dans mon souci de ne retenir que les albums qui m'ont personnellement marqué ou simplement plu, j'ai traité à la légère des groupes comme Art Brut, Kasabian, les Rakes ou les Futureheads. Je laisse le soin aux amateurs d'en parler mieux que moi. Il se trouve que ce n'est pas, de loin, ma tasse de thé.

vendredi 13 août 2010

La mélancolie des années 90


Je ne répugne pas au schématisme. Moi aussi, je souscris à la thèse selon laquelle les années 90 furent celles de la tristesse et de la mélancolie. On mettra de coté un petit moment Supergrass et Oasis; les nineties furent, dans leurs grandes lignes, dominées par la rage et l'angoisse de Nirvana. C'est peut-être résumer une décennie à un seul phénomène et à une plage de temps très courte: 4 ans. Mais l'ampleur même du phénomène et les répercussions sur le long terme ne permettent pas d'en douter: l'indie-boy de ma génération était anxieux, replié sur lui-même, pessimiste et un peu sombre. La pose qui en découlait était celle de l'adolescent torturé et sale. Au tournant des années 2000, tout le monde, au lycée, écoutait Nirvana et Radiohead. Il n'y avait que ces deux piliers pour structurer le monde. De mains en mains, mon cd d'Ok Computer tournait. Kurt Cobain était encore adulé. On parlait parfois de Portishead. Le moment charnière se situe un peu plus tard, vers 2004, quand les Libertines et les Strokes étaient déjà bien installés dans les consciences. Alors la nouvelle décennie s'est en quelque sorte charpentée d'un coup, à la fois rétrospectivement et de façon programmatique. On prenait conscience de vivre dans un moment de la pop music qu'on appelait et qu'on continuerait d'appeler "retour du rock". Il n'y avait plus de doutes: le post-rock ayant mauvaise réputation, c'est bien le rock fun et sexy qui reprenait le flambeau.
Je date la dégénérescence de la belle mélancolie à partir du moment où Radiohead a sorti Kid A et GYBE son double album grandiloquent Lift your skinny etc, en 2000. Ces deux groupes n'étaient plus que les reliquats des nineties. L'affaire était close.


Mais une question me taraude encore: pourquoi pendant quelques années, la mélancolie, le rêve, l'attentisme, l'angoisse, se sont-ils nichés une place de choix dans le cœur des jeunes? Pas tous, bien sûr. Mais ceux qui, majoritaires, aiment la fête, n'avaient pas pignon sur rue. Pour une fois, les mélancoliques avaient la première des voix.
Une explication plausible à cet état de fait vient de la qualité remarquable de certains groupes, à commencer par Radiohead, dont le talent brut entre 1995 et 1997 était, de l'avis même des détracteurs, incontestable. Nirvana, avec moins de perfection et beaucoup plus d'approximations - voire, parfois, de laideur voulue - rendait le public hystérique parce qu'il exprimait une rage libératrice. Mais ces deux groupes ne furent pas seuls à exceller et en compensation d'une ribambelle de suiveurs ineptes on trouvait aussi dans les bacs Pj Harvey, Mazzy Star ou encore Elliott Smith.



Les historiens refourguent une autre explication. En 1990, l'Allemagne est réunifiée: pour la génération antérieure, c'est la fin officielle des utopies. Ainsi, des milliers de jeunes auraient subi le contrecoup d'une morosité ambiante. Cette explication ne me convainc pas. Je doute que beaucoup de jeunes se soient sentis profondément concernés, en Angleterre et aux USA, par la chute du mur de Berlin... L'autre hypothèse concerne les problèmes concrets rencontrés par les jeunes demandeurs d'emploi, laissés en plan sans perspective d'avenir rassurante. Mais ces problèmes n'ont pas bougé. Ou plutôt si, ils ont empiré. Cela n'a pas empêché la dernière décennie d'être marquées par le goût de la fête, du rock, de la mode, du dandysme. A la limite, l'enrichissement des couches supérieures de la société explique mieux les Strokes et la frivolité des années 2000 que les problèmes sociaux n'expliquaient la mélancolie des années 90.

Sans me creuser les méninges pour trouver une solution à l'énigme, je reviens souviens au plaisir pur de ces années auxquelles je dois tout. Je n'en ai pas la nostalgie. Elles demeurent simplement une base, un point de départ vers d'autres directions qui d'une façon obscure lui sont toujours reliées. J'ai retrouvé un peu de la rage et du sérieux des années 90 dans DLZ et Wolf Like Me de Tv On The Radio; j'ai écouté Girls, l'an passé, avec le plaisir des références qu'on distingue bien; Beach House louvoie à travers les années 90 avec une espèce de charme lunaire et de facétie triste (je pense surtout à Devotion, mais Teen Dream, dans un autre registre, est encore meilleur); Kurt Vile, sans être si bon que je l'espérais, m'a fait espérer des élans de lyrisme indomptables avec Freeway... Il y a un peu des émotions rencontrées avec les groupes des nineties dans chacun des noms cités.

mardi 10 août 2010

Because of the times


Il n'y a pas de sorties durant l'été. Mais de toute façon, 2010 n'est pas une année à disques. Quelque chose me dit pourtant que décembre débouchera sur des désaccords et qu'on trouvera malgré tout le moyen de s'étriper sur des tops ten. Il y aura juste un net recul qualitatif.
Vu la pauvreté de l'année - qui m'a tout de même offert, avec Teen Dream, l'un de mes albums préférés, toutes époques confondues - je préfère me replonger dans les disques supposés médiocres des années précédentes. Par exemple, j'ai ressorti ce qui aurait pu être le dernier bon disque de U2 s'il avait été l'œuvre de la bande à Bono. Ce disque, c'est Because Of The Times, des Kings of Leon.
C'était le début de la fin pour les Strokes du Sud. Mais Because Of The Times reste très fréquentable. Il représente un certain type de médiocrité agréable: l'album rock grand public d'un vrai bon groupe. Avant eux, les Red Hot Chili Peppers, en 1999, avait réussi un consensus très similaire avec Californication. Ce ne sont pas, loin s'en faut, les meilleurs disques d'une génération. Mais l'incursion du rock alternatif dans le domaine grand-public est mieux gérée avec des groupes professionnels qui ont déjà un passé qu'avec, mettons, Muse ou Coldplay qui sont arrivés d'un coup sur Mtv... Songeons aussi à R.e.m, dont on peut penser tout le mal qu'on veut pour leur devenir si mièvre, toujours est-il qu'en 1990, quand ils sont passés du statut de groupe underground à celui de vache à lait, ils avaient les armes pour négocier le virage avec dignité. Losing my religion, de tous les tubes pourris de Mtv, reste non seulement l'un des plus acceptables, mais c'est encore un bon morceau. Idem pour Scar Tissue, des RHCP, et pour On Call, des Kings of Leon.
Because Of The Times est globalement un album de bonne facture. Certains morceaux, comme Fans (leur meilleur) ou Arizona, ont les mêmes qualités qu'un New Year's Day. Ils peuvent plaire à tous, parce qu'ils sont mélodieux, un peu sentimentaux, mais toujours simples et légers; ils n'ont rien de radical. S'échappant d'une radio, ils sont passe-partout. Ecoutés avec attention, ils peuvent émouvoir, même si cette émotion ressemble à celle, un peu superficielle, d'une finale de coupe du monde quand on n'est pas fanatique de foot. Autrement dit, elle ne bouleverse pas, ce n'est pas un grand frisson d'enthousiasme et d'admiration réelle, qui s'éprouve de façon très personnelle et très intime, mais plutôt l'adhésion consentie à une joie populaire qu'on juge anecdotique.
C'est l'inconvénient de ces disques grand public qui sont plaisants sans être renversants. Ils ont l'avantage du professionnalisme, ils sont bien construits, efficaces et ils ne s'écoutent pas avec dégoût. Mais leur efficacité même implique un manque de personnalité: ils abusent des grosses ficelles jusqu'à perdre en force de caractère, en originalité. C'est une efficacité de service après-vente, de supermarché, de programme informatique... Autrement dit, ce dont ils souffrent, c'est d'une déperdition de l'âme. Mais il s'agit, parait-il, un gros mot. Je soupçonne toutefois les Kings Of Leon de lui reconnaître un certain sens.