La chanson de la semaine

jeudi 29 septembre 2011

Portamento

The Drums sont à la musique ce que le style "ligne claire" est à la bande-dessinée. Forcément moins impressionnante que le travail touffu et hyper-réaliste d'un Alex Ross (dessinateur virtuose de Marvel), on lui doit quand même les meilleurs albums, les Tintin, Blake et Mortimer et cie, tout ce qui a un impact immédiat et durable sur le public. Se mettre sobrement au service du propos, autoriser une lecture fluide et instantanée du message, telles sont les raisons qui conduisent la majorité des gens à la préférer aux tentatives trop ambitieuses. Les mass media nous apportent quotidiennement le témoignage que le grand public n'aime pas perdre son temps en contemplation. Aussi la pop est-elle toujours plus pop lorsqu'elle vise en plein dans le mille, sans détours.
Le sachant bien, l'objectif des Drums est depuis le début de produire une musique pop simple, épurée et accrocheuse. La première fois, c'était avec le tube Let's Go Surfing, qui les avait consacrés "garçons de plage" - appellation commode et souvent injuste car si on écoute bien Summertime, on s'aperçoit que la tristesse menaçait déjà de s'épanouir. Elle le faisait alors à la manière ostentatoire et naïve des bluettes; le premier degré de Down By The Water avait quelque chose de factice, comme un vieux tube des 50'. Mais il s'agissait d'un indice qui aurait dû nous aiguiller: les Drums ne sont pas Dan et Dean et ils ont souvent le cœur triste; ils ne dégustent pas une Vanilla Cream les pieds enfoncés dans le sable chaud, mais se promènent plutôt en parka dans les rues de Mandchester.
Ils ont l'humeur anglaise, l'esprit plein de brumes. Pour autant, ils le disent simplement, avec cette fonction d'éclaireur qui dissipe les ombres, qui illumine un sentiment d'une lumière crue.



Aujourd'hui, ce sentiment s'est accentué. Certains titres, par exemple, ont perdu la fraîcheur spontanée du premier album (c'est le cas du déprimant Searching For Heaven, avec ses synthés inquiétants). La pochette flippante de l'album, remake de l'Exorciste, est presque un choc visuel - à mille lieu de toute candeur. A première écoute, If He Likes It Let Him Do It n'évoque en rien le sentiment amoureux, encore moins la légèreté ailée du désir. Conclusion: les Drums ont l'air d'aller mal. In The Cold ressemblerait presque à the Cure, c'est dire. Mais une chose demeure inchangée: le fameux style "ligne claire" dont je parlais plus haut. Cette esthétique est tellement nette que l'auditeur y revient toujours, comme si les Drums avaient plus de réalité que d'autres. Leur disque est plus frontal, plus rond, plus "concret" que les albums sortis cette année. Il a comme qualité foncière d'exister plus que bien des disques.
Objectivement, je crois exagérer; le revers de la médaille sera toujours le manque d'ampleur. On ne peut pas faire dans le minimalisme, avec un synthé très gadget et un guitariste adepte du corde à corde, voire du surplace (genre, je joue les notes dans un sens puis je les balaye dans l'autre) et dans le même temps sortir un chef-d'œuvre de richesse harmonique. Techniquement, l'album est des plus mineurs. Mais il a un charme énorme.
Prenons un exemple: How It Ended. Par elle-même simplissime comme de la twee-pop, cette chanson est transcendée par quelques chœurs légers et nostalgiques. Money est quasiment génial pour les mêmes raisons: elles tiennent à des riens, des petits détails qui subliment une composition rudimentaire. Et ce n'est pas le rapprochement avec Morrissey qui me fera écrire autant de bien de cette chanson (leur meilleure, sans doute), car je crois sincèrement que l'élève égale le maître. L'ouverture de l'album, de toute façon, est somptueuse et surpasse largement les antécédents du groupe. Des cinq premières chansons, rien n'est à jeter. Book Of Revelation et ses paroles touchantes sur l'émancipation, Days, avec cette ligne superbement chantée: "I've could been your mother (...) your twin brother"... D'une voix claironnante, limpide comme l'esthétique du groupe.

mercredi 21 septembre 2011

Happy SouL?

J'associe Baxter Dury à un de mes premiers souvenirs de l'indie-pop. C'était bien après la découverte de Radiohead et de Portishead (qui n'ont d'alternatif que leur origine, puisqu'au moment de ma découverte ils étaient déjà passés dans le domaine de la culture de masse), mais juste avant celle des White Stripes, de Death In Vegas ou de Mazzy Star.
Autrement dit, dans le temps où sortait Len Parrot's Memorial Lift, ma culture musicale ne s'étendait pas au-delà d'un petit horizon borné, d'un coté par le rock, de l'autre par une vague teinture de jazz et de classique. Je me cherchais, j'étais curieux de tout mais ému de rien. C'était en septembre 2002. Les groupes que j'avais adorés (Radiohead, Nirvana, Smashing Pumpkins...) commençaient à se ternir. La routine craquelait leur dorure, le lancinant Kid A était d'un ennui profond... Mais les nouveautés ne m'affolaient pas. Je peinais à trouver quelque chose de décisif, de fort, de conséquent.

Baxter Dury, sans avoir cette qualité, a servi de transition. Pendant tout un automne j'ai rêvé (des rêves sans doute tristes) en passant la boucle d'Oscar Brown, l'esprit chancelant, tout engourdi, sous le rythme cotonneux de Beneath the Underdog ou sous les volutes de Gingham Smalls 2. Des images nocturnes de friches industrielles, de ruelles désertes et luisantes de pluie, d'escaliers en spirale partant de halls insalubres, de toitures s'étendant dans l'obscurité infinie tournaient devant mes yeux, lentement, lentement... Je garde de cette période un souvenir triste - je ne sais pourquoi, la solitude peut-être, l'impression, en arrivant à la faculté, d'avoir le monde à portée de main mais une poigne trop molle pour le saisir, un défaut de volonté. L'album de Baxter Dury, dans l'état où je me trouvais, offrait une séduction évidente, d'autant plus qu'il ajoutait à mon ennui l'écho de la musique planante, à laquelle j'étais par trop sensible. Seul l'aspect mineur de la chose, jusque dans l'emballage du disque (pas de livret, une pochette sans fioriture), m'empêchait d'en faire un véritable objet de culte. Je sentais une maladresse, un manque de moyens. Cet amateurisme même correspondait à ma faiblesse. Ne voyant pas de grandes perspectives, il ne m'apparaissait pas surprenant que la musique manque également d'envergure. Le titre énigmatique (qui me dira ce que signifie Len Parrot's Memorial Lift?) sonnait pour moi comme une épitaphe gravée dans le marbre, la synthèse rudimentaire d'une vie. Je date de cette période mon goût naissant pour ce que l'indie-rock a de mineur, de marginal, de clandestin. Il faut souvent chercher dans nos vies et nos états d'âme la raison de notre affection pour des musiques objectivement anecdotiques. On peut aimer une chanson d'Aretha Franklin ou de Grease par l'effet qu'elle produit sur l'inconscient collectif, mais Baxter Dury relève de l'intime, du privé, du particulier.

Près de 10 ans plus tard, force m'est de constater que l'album a vieilli, ou plutôt que moi, j'ai vieilli. Les raisons qui m'ont conduit à l'écouter n'étant plus, son effet a disparu. Il me laisse parfois même l'impression désagréable qu'on éprouve à la perspective de devoir marcher sous la pluie et le vent alors qu'on est encore bien au chaud entre quatre murs éclairés. Il n'est, dans le fond, qu'une nuit un peu plus épaisse dans la nuit de l'existence.

Tout cela ne laissait pas augurer des retrouvailles sereines. Mais Baxter Dury a vieilli, lui aussi, il a fait peau neuve et laissé de coté la voix de fausset qui me l'avait révélé en 2002. Gingham Smalls 2 a finalement eu raison de Beneath The Underdog: rien que le titre, Happy Soup, contient un mot dont la présence eut été impensable en 2002. La couleur l'emporte sur les tons monochromes du noir et blanc. Il n'est donc plus impossible d'écouter Baxter Dury en faisant fi de toutes mes vieilles impressions. De l'ancien Baxter Dury, il reste l'amateurisme, la simplicité monocorde des compositions et, parfois, des chœurs féminins espiègles et éthérés, dans la veine ambigüe des albums du Velvet Underground.

Trois titres se distinguent et accaparent mon attention: Claire, dont le clip, tourné en Angleterre, me semble toutefois étrangement parisien (il se trouve que l'album, tout entier, a le charme discret de la capitale, perçue à travers un filtre cinématographique - quitte, parfois, à sembler légèrement mondain, ce qui constitue à mon sens sa limite), Afternoon, le plus immédiatement accrocheur, et Trellic, porté par une basse pleine d'entrain. Non pas que le reste soit sans intérêt - Leak At The Disco, par exemple, est digne d'attention - mais ces trois chansons-là, seules, sont vraiment mémorables. Ce qui ressort le plus, ce sont les spoken words de Baxter Dury qui semble avoir remisé les mélopées vaporeuses au profit d'une approche plus frontale de la chanson. On lira sur tous les blogs que son disque est une ode à l'accent cockney - ce qui est possible, même si s'attarder sur ce point est surtout le fait des nostalgiques de Ian Dury. Selon moi, Happy Soup est surtout l'image renversée de Len Parrot's Memorial Lift. Seule The Sun aurait pu figurer sur cet album. Comme par hasard, je trouve la douceur de cette chanson quasiment malsaine.

samedi 17 septembre 2011

Record 3, Girls

Il faudra attendre les interviews pour comprendre ce qui a présidé à la création de Record 3. Pour l'instant, le suspens demeure. Comment un groupe résolument indie, qui perpétuait le temps d'un Morning Light saturé l'esprit bricoleur et lo-fi des années 90, a-t-il pu à ce point tourner les talons? Désormais, on croirait entendre Pink Floyd ou Wilco période Sky Blue Sky, orgue hammond en tête et soli de guitare à la suite... La différence n'a pas sauté aux oreilles lors des premières écoutes, gouvernées par une désagréable impression de mièvrerie - l'outrance de Just A Song m'a fait stopper l'effusion sentimentale alors qu'elle ne sévissait que depuis trois (trop longues) minutes. Mais au fil du temps, c'est devenu une évidence: Girls a viré seventies, jusqu'au soft-rock de My Love Is Like A River, dans la veine de Jackson Browne. D'une certaine manière, c'est la Californie qui rattrape Girls, moins pour ses couchers de soleil mirifiques que pour sa bande FM. L'extraordinaire Vomit et Forgiveness sont sans doute les deux chansons les plus représentatives de cette tendance insoupçonnée: longues de quelques 6 minutes, chacune produit des dénivelés et se conclut sur un solo électrique sacrément efficace dans le style du sempiternel "je bois un dernier verre avant d'aller me lourder sur l'autoroute". La palme revient à Vomit qui s'offre même le luxe des chœurs gospel. On n'aurait jamais entendu cela sur Album, authentique essai de rock alternatif, bancal et tout grésillant du son des guitares mal accordées. Le groupe a donc effectué sa mue et sonne parfois comme... du "rock à papa".



Pour tout un tas de raisons - et Broken Hearts Club en faisait partie - mon goût pour Girls était menacé par la désaffection. Je voyais Owens évoluer vers des rengaines amoureuses gnan-gnan écrites expressément pour plaire aux filles. Il serait culotté de prétendre que j'ai eu tort à 100%. Record 3 est partiellement le disque mièvre que je prévoyais. Mais il est beaucoup plus varié et riche que je ne l'aurais pensé. Le seul point faible d'Album était la redondance entre les morceaux doux. Or, le début de Record 3 oscille entre le rock joyeux et décomplexé (Honey Bunny), la continuité avec Album (Alex) et une chanson de hard-rock incongrue (Die). La suite du disque me semble bien plus homogène, avec une ambiance de slow continuelle, mais Girls s'est d'emblée préservé de la monotonie grâce à ces trois titres.
Aucun morceau de l'album, toutefois, ne semble résolument appartenir à Girls comme on pouvait dire que Hellhole Ratrace était leur chanson phare, leur carte d'identité. On ne reconnait plus une faconde unique - si ce n'est le timbre de voix d'Owens - mais une multitude d'emprunts. Die semble avoir déjà été écrite par quelque autre groupe des années 70. Le riff de Magic est inspiré de Big Star (le titre de l'album d'ailleurs évoque Third ou Record#1) et dans l'ensemble les soli de guitare ne dérogent pas au classicisme. La richesse du nouvel album dépend donc de la somme de ses influences. Mais ce ne serait pas un motif bien sérieux pour bouder son plaisir. Il était attendu que Girls se cantonne à son périmètre carré et, au contraire, il l'élargit. Je croyais ce groupe incapable d'évoluer ou d'étaler une nouvelle gamme. Or, en empruntant à droite et à gauche, il montre l'étendue de ses facultés d'adaptation. Compositeur par accident, C.Owens prouve qu'il sait l'être aussi par métier.Record 3 sonne en effet assez "pro". Et j'avouerais que même si parfois c'est trop, beaucoup trop lourd, l'ensemble a le mérite de viser le cœur et de le faire saigner. Dans la même veine excessive, les Smith Westerns ont sorti un super disque en début d'année, mais Girls a un avantage: plus varié, plus large.