J'associe Baxter Dury à un de mes premiers souvenirs de l'indie-pop. C'était bien après la découverte de Radiohead et de Portishead (qui n'ont d'alternatif que leur origine, puisqu'au moment de ma découverte ils étaient déjà passés dans le domaine de la culture de masse), mais juste avant celle des White Stripes, de Death In Vegas ou de Mazzy Star.
Autrement dit, dans le temps où sortait Len Parrot's Memorial Lift, ma culture musicale ne s'étendait pas au-delà d'un petit horizon borné, d'un coté par le rock, de l'autre par une vague teinture de jazz et de classique. Je me cherchais, j'étais curieux de tout mais ému de rien. C'était en septembre 2002. Les groupes que j'avais adorés (Radiohead, Nirvana, Smashing Pumpkins...) commençaient à se ternir. La routine craquelait leur dorure, le lancinant Kid A était d'un ennui profond... Mais les nouveautés ne m'affolaient pas. Je peinais à trouver quelque chose de décisif, de fort, de conséquent.
Baxter Dury, sans avoir cette qualité, a servi de transition. Pendant tout un automne j'ai rêvé (des rêves sans doute tristes) en passant la boucle d'Oscar Brown, l'esprit chancelant, tout engourdi, sous le rythme cotonneux de Beneath the Underdog ou sous les volutes de Gingham Smalls 2. Des images nocturnes de friches industrielles, de ruelles désertes et luisantes de pluie, d'escaliers en spirale partant de halls insalubres, de toitures s'étendant dans l'obscurité infinie tournaient devant mes yeux, lentement, lentement... Je garde de cette période un souvenir triste - je ne sais pourquoi, la solitude peut-être, l'impression, en arrivant à la faculté, d'avoir le monde à portée de main mais une poigne trop molle pour le saisir, un défaut de volonté. L'album de Baxter Dury, dans l'état où je me trouvais, offrait une séduction évidente, d'autant plus qu'il ajoutait à mon ennui l'écho de la musique planante, à laquelle j'étais par trop sensible. Seul l'aspect mineur de la chose, jusque dans l'emballage du disque (pas de livret, une pochette sans fioriture), m'empêchait d'en faire un véritable objet de culte. Je sentais une maladresse, un manque de moyens. Cet amateurisme même correspondait à ma faiblesse. Ne voyant pas de grandes perspectives, il ne m'apparaissait pas surprenant que la musique manque également d'envergure. Le titre énigmatique (qui me dira ce que signifie Len Parrot's Memorial Lift?) sonnait pour moi comme une épitaphe gravée dans le marbre, la synthèse rudimentaire d'une vie. Je date de cette période mon goût naissant pour ce que l'indie-rock a de mineur, de marginal, de clandestin. Il faut souvent chercher dans nos vies et nos états d'âme la raison de notre affection pour des musiques objectivement anecdotiques. On peut aimer une chanson d'Aretha Franklin ou de Grease par l'effet qu'elle produit sur l'inconscient collectif, mais Baxter Dury relève de l'intime, du privé, du particulier.
Près de 10 ans plus tard, force m'est de constater que l'album a vieilli, ou plutôt que moi, j'ai vieilli. Les raisons qui m'ont conduit à l'écouter n'étant plus, son effet a disparu. Il me laisse parfois même l'impression désagréable qu'on éprouve à la perspective de devoir marcher sous la pluie et le vent alors qu'on est encore bien au chaud entre quatre murs éclairés. Il n'est, dans le fond, qu'une nuit un peu plus épaisse dans la nuit de l'existence.
Tout cela ne laissait pas augurer des retrouvailles sereines. Mais Baxter Dury a vieilli, lui aussi, il a fait peau neuve et laissé de coté la voix de fausset qui me l'avait révélé en 2002. Gingham Smalls 2 a finalement eu raison de Beneath The Underdog: rien que le titre, Happy Soup, contient un mot dont la présence eut été impensable en 2002. La couleur l'emporte sur les tons monochromes du noir et blanc. Il n'est donc plus impossible d'écouter Baxter Dury en faisant fi de toutes mes vieilles impressions. De l'ancien Baxter Dury, il reste l'amateurisme, la simplicité monocorde des compositions et, parfois, des chœurs féminins espiègles et éthérés, dans la veine ambigüe des albums du Velvet Underground.
Trois titres se distinguent et accaparent mon attention: Claire, dont le clip, tourné en Angleterre, me semble toutefois étrangement parisien (il se trouve que l'album, tout entier, a le charme discret de la capitale, perçue à travers un filtre cinématographique - quitte, parfois, à sembler légèrement mondain, ce qui constitue à mon sens sa limite), Afternoon, le plus immédiatement accrocheur, et Trellic, porté par une basse pleine d'entrain. Non pas que le reste soit sans intérêt - Leak At The Disco, par exemple, est digne d'attention - mais ces trois chansons-là, seules, sont vraiment mémorables. Ce qui ressort le plus, ce sont les spoken words de Baxter Dury qui semble avoir remisé les mélopées vaporeuses au profit d'une approche plus frontale de la chanson. On lira sur tous les blogs que son disque est une ode à l'accent cockney - ce qui est possible, même si s'attarder sur ce point est surtout le fait des nostalgiques de Ian Dury. Selon moi, Happy Soup est surtout l'image renversée de Len Parrot's Memorial Lift. Seule The Sun aurait pu figurer sur cet album. Comme par hasard, je trouve la douceur de cette chanson quasiment malsaine.
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