La chanson de la semaine

lundi 18 mai 2009

Disque du mois


Si on lui ajoutait une paire de cornes, Stephen McBean ressemblerait vraiment à un bouc. Pour le moment on dirait juste Michel Houellebecq en peignoir de bain avec une pilosité surabondante. Ces remarques n'ont pas pour but d'alimenter un délit de sale gueule mais de situer un peu Pink Mountaintops dans l'espace-temps du rock. A la croisée entre dépression nerveuse et rock progressif seventies donc. Avec tout ce que cela comporte d'un peu douteux: l'ésotérisme bidon de Black Mountain, le coté moine zen hérité d'une vulgarisation éhontée du bouddhisme, lui-même affligeant pour un esprit occidental, et des voix molles, désabusées et narcotiques. Sauf que, sur ce dernier point, il y a litige. Ce qu'on a pu reprocher à toutes les formations psychédéliques modernes tient généralement à cet aspect fatigué (ou drogué) des voix, et c'est précisément ce qui, chez les fans, rend le genre aussi fascinant. Pink Mountaintops va plus loin dans ce sens qu'aucune autre formation (Dandy Warhols ou BJM en tête) car Stephen McBean y laisse enfin affleurer ce qui faisait, en toute discrétion et avec beaucoup de retenue, l'essence de la musique psyché contemporaine: le coté planant et rêveur, renouant alors sans discourir avec Mazzy Star ou Galaxie 500. Et c'est une réussite ample et profonde, sans discrédits. Le beau nom du groupe (les sommets roses des montagnes) est parfaitement illustré par des morceaux comme Execution, Vampire, And I thank you ou l'ultime Closer to Heaven qui n'est pas sans rappeler Spiritualized. Car loin d'être aussi austère que beaucoup de ses pairs, Stephen McBean semble apprécier les accompagnements riches et voluptueux façon Jason Pierce, devenu un modèle, semble-t-il, pour toute cette scène psyché incroyablement vivante et jeune. Si on repense aux antiquités du genre, Spacemen 3, Jesus and Mary Chain ou My Bloody Valentine, on constate que du chemin a été parcouru pour arriver à ces alliages modernes entre le bruit des guitares fuzz et les atmosphères rêveuses développées tout au long de ce disque. On repense parfois à ces mélanges de distorsion et de gospel qu'on trouvait sur Ladies and Gentlemen we're floating in space. Bien entendu, ces références encombrantes ne font que biaiser l'écoute de ceux qui ont grandi dans les nineties. Bienheureux ceux qui découvrent aujourd'hui, à 16 ans, âge du romantisme adolescent et de la mélancolie complaisante, ce genre de disques profondément consolateur. Et il ne faut pas rire bêtement, c'est naïf, mais toujours saisissant. Du coup, on en oublie le semi ratage de Black Mountain.

OUTSIDE LOVE
Pink Mountaintops
Jagjaguwar, 2009

mardi 12 mai 2009

Lourd


Disque de l'année précédente pour tous ceux qui ne se cachent pas la tête sous l'oreiller lorsqu'ils entendent des mauvais riffs de heavy-metal, ce second album des Black Mountain est décidément un poids lourd. Lourdingue même. Morceaux à rallonges, guitares graisseuses, hurleuse de mauvais goût, le tout empaqueté à la mode progressive, pochette à l'avenant. Esotérisme bidon, évidemment, juste pour l'ambiance, pour dire de faire comme dans les seventies. C'est que la chose en devient attendrissante à force d'être stéréotypée.
Deux morceaux de ce salmigondis se distinguent, à la fois par leur concision et leur réussite éclair. Angels et Stay Free, largement au-dessus de la mêlée - indistincte -, s'affirment par la netteté de leurs contours pop (pour le premier) et folk (pour le second). Angels est une sorte de ballade planante très bien chantée, libératrice, émotive, un truc à prendre au premier degré, à fleur de peau, un rien galvanisant. C'est ce genre de chanson hyper stylée, à la limite de l'hymne, qu'on écoute vingt fois de suite. Le premier disque du groupe avait lui aussi son moment fort, dans le même genre: Set us free, qui finissait en apothéose avec ses murs de guitare pulsionnels. Angels est moins impressionnant mais tout aussi bon. Stay free est une chanson moins marquante, mais plaintive comme on l'aime. Un peu Galaxie 500 en moins aqueux. Avec ces réussites, carrées et efficaces, notre album a belle allure. Qu'est-ce qui a pris à Stephen McBean? Un coup de sang? Peut-être a-t-il voulu asséner une grande volée dans la fourmilière. C'était, en un sens, bien senti. Après des années de rock à dominance brit-punk, on a cru respirer, pouvoir revenir à quelque chose de plus conforme à nos aspirations. On rêvait, il est vrai, d'un mastodonte à la mode seventies, c'est-à-dire, non pas un album rétro, mais un album concept, qui réhabilite par le même effet la notion d'album. Pour le coup, on n'y est pas encore! Deux morceaux dans l'i-pod, et pour le reste, on écoute à dose homéopathique, quand, dans un moment d'exubérance semblable à celui qui a tourné la tête à McBean, on se prend à rêver de musique spatiale. En attendant le futur Warlocks, et pour digérer un peu ce In the Future bizarre et compact comme un marbre, on peut écouter Pink Mountaintops, side-project de McBean, plus convaincant et surtout splendidement nommé. Pour ceux qui apprécient ce genre de démesure conceptuelle, il existe aussi, dans un registre plus dansant et limite disco, Mgmt, toujours champion de la pochette la plus space, mais maintenant égalé par Bat For Lashes.

IN THE FUTURE
Black Mountains
Jagjaguwar, 2008

Sometimes I Wish We Were An Eagle


Cet homme a frôlé le succès. Une chanson comme Diamond Dancer, c'était un marche-pied vers la gloire. Quelle radio pouvait résister à cette petite ode singulière et chatoyante? Toutes, hélas. Et l'occasion ne se présentera vraisemblablement pas deux fois. Par une fatale entropie, Bill Callahan est retournée dans sa cabane d'ermite. Esseulé, il écrit à nouveau, comme au temps de Smog, des chansons tristes. Diamond Dancer était une "parenthèse enchantée", un moment de lumière pure, un tube d'americana romantique et léger, une chose finalement incongrue dans la carrière brumeuse et un peu routinière de ce Lambchop bis. Car, désolé pour lui, mais la comparaison est inévitable. Encore plus à l'écoute de cet album dans lequel sa voix posée ressemble à s'y méprendre à celle de Kurt Wagner, qui doit compter les fans qui lui restent sur les doigts d'une main après les avoir tous soigneusement assommés avec ses ritournelles somnolentes et ses infusions de verveine menthe. Heureusement Bill Callahan n'a pas tout à fait baissé les bras, il y a encore, dans cette musique sereine, quelque chose du foisonnement de son précédent disque, comme par exemple des arrangements soignés, des ponts qui happent les oreilles les plus patientes (too many byrds pas exemple), un aspect relativement accueillant pour préparer le terrain. Ce sont en fait, comme on pouvait s'y attendre, les impressions sur le long terme qui sauvent et transcendent ce disque très rentré, assez monotone mais finalement solide. Le problème est que cette solidité ne laisse entrevoir que peu de failles réellement engageantes. Du moins, si aucune chanson ne sort réellement du lot aux premières écoutes, toutes ont des moments forts, des instants de chavirement où quelque chose se dessine qu'on ne prévoyait pas au premier abord. C'est ce qui explique peut-être la sensation de plaisir grandissante au fil des écoutes. Alors qu'au même instant, des albums plus sensationnels s'épuisent déjà, le deuxième disque solo de Bill Callahan semble grandir à vue d'oeil. Jusqu'où ira-t-il?

Sometimes I Wish We Were An Eagle
Bill Callahan
Drag City, 2009