La chanson de la semaine

samedi 20 novembre 2010

Superball

Que les Smith Westerns soient géniaux, on le savait déjà. Mais ce que j'ignorais, c'est qu'un groupe ami développait dans son coin, à Memphis, les mêmes talents pour la mélodie sucrée et twee. Le bordel sonique en moins. A mi-chemin entre Girls (pour la voix) et les Smith Westerns, voici donc Magic Kids, dont le premier LP est sorti en août pour clore l'été en beauté.
Malgré le single terrible qui l'avait précédé (Hey Boy), il semblerait que le groupe ait fait des bulles dans les médias. Un petit flop mis sur le compte d'un album soi-disant inégal et trop écœurant. Il faut dire que question "candy", ils n'ont pas lésiné. Beach Boys des temps modernes, qui ne connaissent pas la mer, les Magic Kids ont fourré des violons et des arrangements partout, pour simuler, peut-être, une symphonie. Comme Brian Wilson, mais en plus régressifs, car eux reculent consciemment vers le passé (historique et physiologique - l'enfance). Pour autant, ces petits-bourgeois hédonistes, aussi stéréotypés qu'ils soient, sont loin d'être ringards. Superball, en deuxième face d'un split single avec les Smith Westerns m'a bluffé: il est encore possible, avec des moyens archi-rebattus, de susciter l'enthousiasme. Ces types volent tout mais donnent l'impression d'inventer. La construction virevoltante des chansons, en grand huit, y est sans doute pour quelque chose même si, là encore, Field Music a déjà fait ça avant. Mais l'album comporte des parties surprenantes, comme sur Hideout où j'ai l'impression d'entendre Paddy McAloon - une sorte d'aberration géographique qui dément l'univers étroit dans lequel on cherche à cloisonner le groupe. Ailleurs, on pense aussi à Summerteeth de Wilco, ce super disque ensoleillé que les jeunes générations (auxquelles j'appartiens) méprisent ou ignorent bêtement. Les Magic Kids, trop rapidement catalogués "plaisir frivole", ont en fait des réserves supplémentaires et une personnalité plus marquée qu'on ne pourrait le croire au premier abord. Mais vu l'excès de colorants, ils ne plairont certainement pas aux plus âgés.

Quant au Smith Westerns, avec qui ils partagent ce single, que dire de plus? Il faudra attendre 2011, je crois, pour le scander bien haut: il s'agit de l'un des plus grands groupes de rock en activité - et plus. Si ce manque d'imagination dans la propagande vous déplait, dîtes-moi ce que vous diriez, vous, d'un groupe dont le talent brut abrutit complètement votre sens de l'analyse?

samedi 13 novembre 2010

The Doors

Dix ans que je me les traine dans ma cédéthèque, et je n'avais pas remarqué à quel point ils étaient bons! On change aussi vite d'avis avec les "classiques" (ou "vieilleries", si vous ne croyez pas à la valeur culturelle de ces choses) qu'avec un groupe récent. La mode ne s'en prend donc pas qu'au présent, elle attaque aussi le passé. On peut croire que Jefferson Airplane, par exemple, est un grand groupe et, un an plus tard, se raviser. L'inverse arrive moins souvent, parce qu'on est têtu.
En ce qui me concerne, le temps de la découverte est révolu : l'enthousiasme se refroidit et l'effet d'annonce dans les médias s'estompe. Le moment est plutôt à l'épuration - excusez ce mot violent, mais comme le superflu s'accumule, il est bon de se resserrer sur ses fondamentaux. The Doors n'en aurait jamais fait partie, même pas en supposition, jusqu'à ce mois-ci. Mais après l'écoute de l'excellent Greetings from Asbury Park, de Bruce Springsteen, j'ai voulu faire une petite virée dans l'Amérique du classic-rock et j'en suis revenu aux basiques. Les Doors se posent là.
Morrison Hotel, curieusement, m'a toujours plus attiré que le premier album, le gros classique pour discothèque idéale, tellement gros qu'il en devenait tarte à la crème et attisait le snobisme. Peut-être aussi que Roadhouse Blues, à une époque où le psychédélisme ne me disait rien qui vaille, me semblait plus carré, plus réglo que les fumisteries hallucinogènes. Pourtant, ce bon vieux blues-rock ricain, même s'il a quelque chose de rassurant - un petit coté middle of the way - n'est pas vraiment de taille à lutter contre End of the Night, grandiose variation sur la nuit qui a dû en faire passer des blanches à un certain Ian McCullogh. L'aspect théâtral des Doors ne me rebute donc plus. Principe d'accoutumance: j'ai gouté plus de 16 fois à la musique rock américaine, sous toutes ses formes, ainsi qu'à diverses extensions du psychédélisme, ce qui me rend désormais sensible à la souche-mère. Ils me paraissaient vieillots en l'an 2000; aujourd'hui, je les trouve incroyablement modernes. Ou alors, c'est que j'ai vieilli.






Les Inrocks Black XS, Warpaint, Local Natives, the Coral

 L'avantage d'arriver en retard quand il y a quatre concerts, c'est qu'on n'est pas trop fatigué pour profiter du dernier. La formule est excessivement consistante et, il me semble, inappréciable. Comment tenir de 19h30 à 00h30 dans le bruit des enceintes et en même temps savourer durablement ce qu'on écoute? D'autant plus que malgré le plaisir d'assister à un live, force est de reconnaître que les groupes de pop-rock ne sont pas les plus habiles ni les plus fins. Soit que le micro est défaillant, soit que c'est le chanteur qui coince, on distingue mal les voix. Puis, guitares et basses tendent à se confondre. Bref, mieux vaut connaître les chansons par avance puis les restituer mentalement à partir des bribes de mélodies qui nous parviennent.



Ainsi, Warpaint n'a pas livré un set claironnant. Ce fut souvent confus, indiscernable et maladroit. Mais par moments, quand les instruments se mettaient en place, on assistait à un impressionnant récital de rythmes, où basse, batteries et guitares étaient de connivence pour nous faire dodeliner de la tête. Toujours aussi surpris par les fulgurances rythmiques de ce groupe planant, qui est bon là où on ne l'attend pas et souvent moyen quand il applique les recettes de la dream-pop, je continuerai à me tenir à l'affût de leurs prochaines productions.

Il me faut quand même avouer que Locale Natives a livré un set plus carré. Je ne suis pas fan de ce groupe mais il y avait, dans l'attitude comme dans le son, une netteté et une résolution qui m'ont plu. Autant sur disque ce méli-mélo échoue à trouver la "ligne claire" qui dessinerait un nouveau classicisme, autant sur scène le guitariste principal (le moustachu) se donne tellement qu'on applaudit. Je rendais les armes. Si l'un des membres avait une voix plus singulière cela pourrait même devenir très fort. Mais bon, c'est l'indie-rock; on croit que la voix ne compte pas.



Enfin venait le groupe pour lequel je me déplaçais, et une partie de la foule avec. The Coral, de passage à Lille, après une longue attente! Leur nom brillait en toile de fond, privilège auquel n'avaient pas droit les autres groupes, pas encore assez professionnels. Jusque dans l'agencement de l'espace scénique, on sentait le soin qu'apporte un groupe mûr à son matériel. Sobre, élégante dans ses teintes beiges, la scène avait un air de meublé cossu pour trentenaires, ce que sont d'ailleurs les membres des Coral.

Certes, je ne les cueille pas au meilleur moment, mais enfin, c'est affaire de chicanes. Qui bouderait son plaisir de voir l'un de ses groupes favoris sur scène, quand bien même ce serait au plus mauvais moment de sa carrière? Les Coral restant les Coral, ce truisme rappelle que j'en ai peut-être trop fait sur la différence entre les albums du début et ceux de maintenant. Passant en revue certains de leurs anciens morceaux, le groupe a réussi, sur scène, à mettre les nouveaux sur le même plan, ce qui n'était pas, a priori, une mince affaire. Il y avait de l'énergie, du calme, et tout cela s'enchaînait bien. Des moments creux m'ont parfois ramené à ma déception: Butterfly House est décidément une mauvaise chanson, par exemple. Mais à coté, des morceaux que je croyais quelconques ont étincelé.
Comme on ne peut plus être surpris par les chansons les plus connues, il reste à se laisser surprendre par celles qu'on a oubliées. Ainsi, les deux chansons qui m'ont le plus enchanté furent, contre toute attente, deux extraits de leur nouvel album. Tout d'abord Coney Island, que je n'avais sans doute jamais écouté plus de trois ou quatre fois, m'a semblé mystérieuse et très maritime, comme un vieux rafiot partant à l'aventure dans la brume océane. Puis, Fallin All Around You, moment de calme et d'apaisement, rendu d'autant plus appréciable par la pureté acoustique du son (alors que pendant des heures la distorsion et le volume des guitares électriques ont abimé nos oreilles), a été comme un rêve éveillé de trois petites minutes. Cette chanson a pris le contrepied de tout ce qu'on avait entendu depuis le début de la soirée: du son rock mais des voix ternes. Ce n'était pas le meilleur jeu de scène, ni le meilleur son - la palme du pire leur revenait même - mais c'était le seul groupe qui puisse se targuer d'avoir un vrai chanteur.
Un vrai chanteur n'est pas une diva qui passe en revue toutes les octaves que son organe peut couvrir, ni une voix de basse, grave et imposante comme sortie d'une caverne. Ce n'est pas même quelqu'un qui chante juste. Un chanteur a moins à faire - mais tellement plus à être! Il incarne un feeling, avec ce que cela suppose d'expressivité et d'engagement personnel. Cela ne consiste pas nécessairement à "faire musical" (et donc artificieux), mais à donner vie aux mots. C'est comme jouer un rôle dans une pièce de théâtre, il ne suffit pas de réciter ni de faire ses rimes, il faut encore donner à la parole un air de naturel qui interpelle le public! James Skelly y réussit très bien, sans être pour autant ce qu'on appelle une "voix". Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'a pas un truc à lui. Au contraire. Outre son léger accent cockney, James Skelly a un "grain" de voix, comme on pourrait dire qu'il a un grain de sable logé dans la gorge. Il vire très vite au rugueux, au sablonneux, ce qui est plutôt un atout quand on se veut chantre des ports et du littoral. Or, les Coral, nous en sommes désormais assurés par une interview donnée à Rock'n'folk, sont les paysagistes de la vie portuaire de l'Angleterre. Ou étaient, car le temps passe. Laissons donc à Skelly et sa bande le soin de vieillir comme ils l'entendent; on ne peut plus avoir, 8 ans après, un nouveau Dreaming Of You, même si le public, impatient et déchainé au moment du rappel parce que le groupe consentait enfin à lui donner ce qu'il était venu chercher, semblait s'être déplacé surtout pour cette chanson. Il l'a eue - on l'a eue! - mais le reste valait aussi la peine du déplacement et de la fatigue occasionnée le lendemain, lorsqu'à 8h il a fallu retourner au travail. See You Soon!

*aucune idée de ce qu'est La Patère Rose puisque le groupe passait à 19h30 et que nous ne sommes arrivés qu'à 20h30.