La chanson de la semaine
mardi 13 juillet 2010
Vieillir
Pour tous ceux qui ont grandi à cette époque, il va falloir se faire à l'idée que les années 2000 se conjuguent désormais au prétérit. En musique indé, dix ans ne pardonnent pas. Les groupes apparus à l'aube de la décennie précédente viennent d'entrer dans la phase critique de résistance et doivent maintenant faire face à leur propre vieillissement comme à l'ingratitude d'une population sans mémoire butinant la musique au gré de l'irrégularité des modes. Lourde tâche pour des groupes de rock, par définition flanqués d'une imprévoyante imbécilité et coincés dans une philosophie de l'instant adéquate au jeune âge.
Certains réussissent haut la main. Il existe des cas d'école reproductibles tous les dix ans. Des groupes, consciemment ou pas, les suivent à la lettre. Tout d'abord, le modèle emprunté par Julian Casablancas, avec son album synthétique et kitsch: il s'adapte au temps présent comme aiguillé par un indicateur interne, sorte d'antenne invisible dont les plus populaires semblent toujours pourvus (David Bowie). A l'inverse, un Radiohead, en 2000, prenait le futur en contresens et optait pour l'électro avant que les guitares ne viennent secouer le marasme ambiant. Voilà deux possibilités diamétralement opposées. Celle du leader des Strokes fonctionne rarement: au-delà d'un succès temporaire, nourri par la renommée de l'artiste, les albums d'adaptation au présent tombent vite dans l'oubli ou demeurent les derniers wagons. Qui se souvient des albums de Neil Young dans les années 80 par exemple? Personne, Dieu merci. Récemment Eels, dont les fans appréciaient la sobriété, a voulu, avec Humbre Lobo, se lancer dans la mode des albums rock sexy. Ce genre de renouvellement, outre qu'il passe aux yeux des personnes subtiles pour une infidélité à une conviction première, ne marque généralement aucune amélioration dans le style du groupe, bien au contraire.
Pour bien vieillir, il faut en fait avoir eu des commencements modestes. C'est alors que tout reste possible. Pour illustrer cette thèse, l'année 2010 nous a gratifié d'un excellent album des Black Keys, Brothers, peut-être leur meilleur. Mais pour mieux montrer la différence de parcours entre des groupes de qualité diverses, je vous parlerai dans le même temps d'un autre disque fraîchement paru, qui est un échec total: Butterfly House, des Coral.
Les deux groupes sont apparus au même moment sur la scène internationale, avec un premier album en 2002 et ont été classés dans la rubrique "retour du rock". La comparaison s'arrête là. L'un est américain, l'autre anglais: pendant que les Black Keys, obsédés par le blues, tentent de ressusciter une certaine tradition roots, les Coral, au début très anglophiles, jouent un brit-rock déglingué et magnifique, brassant toutes les influences de l'île, jusqu'au ska. A l'époque, il n'y a pas photo: les Coral non seulement sont les plus forts mais il s'agit même du meilleur groupe au monde. Cependant, les temps changent. Les meilleurs périclitent souvent tandis qu'un groupe modeste mais travailleur comme les Black Keys a des chances de s'en sortir. A force d'huile de coude, le duo d'Akron finit par fluidifier son jeu, même si ce n'est pas sans mal. Au début peu doués pour le blues des noirs - qui s'en étonnerait? - les yankees comprennent qu'il faut y mettre aussi un peu du leur: la mélodie, la pop, le mélo, l'atmosphère, tout ce qui fait qu'ils ne seront jamais des bluesmen. "Apprends à te connaître"... et ne te renie pas. Le projet Blakroc aura été de bon secours: en voyant la force de conviction des rappeurs, Dan Auerbach a senti ce qui lui manquait. Fort de cet aquis, Brothers est un bon disque, prêt à remporter un certain succès populaire. D'abord travailleurs de l'ombre, les Black Keys pourraient devenir des dinosaures respectés. On ne saurait en dire autant, par exemple, des White Stripes, qui n'intéressent plus personne.
Les Coral, trop forts, trop bons, auraient dû, comme les meilleurs, s'arrêter plus tôt. Cinq ans et puis s'en va. Cela aurait été juste parfait. Roots and Echoes aurait fait un dernier album tolérable car, en dépit de sa tiédeur, il contient son lot de bonnes chansons. Mais Butterfly House est le pas en trop: insipide, mou, répétitif et brumeux, le dernier disque des Coral ne pose pas seulement problème parce qu'il est mauvais - auquel cas il suffit de ne pas l'écouter - mais parce qu'il renouvelle la réputation du groupe en mal. C'est donc à dessein que j'ai choisi une photo en totale contradiction avec leurs dernières productions: j'espère ainsi rétablir la plus juste image du groupe, celle qui mérite, en tout cas, de passer à postérité.
Etant donné le mauvais sort que réservent le temps et la mémoire collective à ses œuvres, un groupe est presque toujours jugé sur la foi de ses derniers disques, ce qui entraîne en conséquence une perte subite de crédibilité en cas d'échec. On ne pourra plus brandir les Coral en étendard sans avoir à se justifier auprès des nouveaux-venus, des curieux sceptiques et des moqueurs patentés. C'est un tort considérable qu'ils ont fait à leur propre légende.
Penser que leur premier album, the Coral, dont je vais publier tout le bien que j'en ai écrit à droite et à gauche, n'aura peut-être jamais l'exposition qu'il mérite tandis que, publicité oblige, des milliers de gens vont écouter ce Butterfly House inutile est un motif d'agacement constant pour moi.
La conclusion à tout cela c'est que les Black Keys, ces copistes dont on n'attendait pas grand chose, ont profité de leur vieillissement pour enfin sortir un grand disque - même si les amateurs de blues et, plus généralement, les adeptes de musique black vont logiquement crier à l'imposture. Pendant ce temps, un authentique bon groupe, un des meilleurs que l'Angleterre ait connu, se prend les pieds dans le tapis en copiant le folk-rock sixties de C,S & N alors qu'il s'était auparavant distingué sur un premier album parfait en n'imitant rien ni personne (sauf l'auteur d'une marche russe) et avait témoigné du don incomparable d'être lui-même... Les aléas du vieillissement en pop music...
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