La chanson de la semaine
jeudi 20 mai 2010
Warpaint
Il y a des groupes dont on ne peut rien dire sans immédiatement nuancer, c'est agaçant. Soit qu'il faille tempérer un enthousiasme trop prompt - histoire de rester crédible -, soit qu'on se fasse un devoir de conjurer des impressions désastreuses, dans les deux cas aucun discours uni et catégorique ne se fait jour. C'est le cas de Warpaint, dont la prestation hier au grand mix de Tourcoing, en première partie d'une série de quatre concerts, ne m'a pas laissé indifférent. Si je voulais résumer mon opinion par un paradoxe brutale, je dirais que Warpaint, est, sur disque, un groupe médiocre; sur scène, le meilleur que j'ai vu.
Mettons que vous ayez écouté leurs disques en premier, ou que vous alliez consulter leur myspace, qu'y trouverez-vous? Des filles, des guitares cristallines, une ambiance planante typée post-rock et, hélas, une chanteuse surjouant le coté souffreteux de Cat Power. La vidéo d'Elephants, le titre "dansant" de leur ep, est assez éloquent: visage longiligne, voix évanescente, allure spectrale, cette jeune femme est le pierrot lunaire du groupe.
Ce qu'on ne voit pas sur la vidéo, c'est que l'autre guitariste faisait contrepoint à ce dolorisme peu crédible. La répartition de l'espace scénique rendait compte de cette division interne: les deux filles étaient placées aux angles opposées de la scène et chantaient à tour de rôle sur un ton bien différent. Quand l'une faisait songer à Thom Yorke, repliée dans son monde, l'autre envoyait un rock franchement extraverti et cultivait l'étrange impression que deux groupes se partageaient l'attention du public.
Hier soir, l'un de ces deux groupes l'a emporté sur l'autre: la batteuse surexcitée tapant sur ses fûts, la bassiste flottant dans ses vêtements baggy et se trémoussant sur le groove, l'accent donné aux rythmes enchevêtrées des guitares et la présence scénique de la chanteuse féline ont finalement eu raison de la fragilité surfaite du disque. Par ailleurs, comme toujours avec les concerts, le volume des instruments couvrait le son des voix, ce qui rendait à peine audible le coté le moins enthousiasmant du groupe.
Warpaint ne s'y est pas trompé et a laissé peu de place au chant et beaucoup à la musique, avec une moyenne de 6 minutes par morceaux. C'est avec ce genre de concert qu'on mesure tout ce qui sépare une performance d'un enregistrement. Autant sur disque le post-rock a mauvaise presse, autant sur scène les instrumentaux prennent une ampleur bien différente.
Warpaint hier était un groupe rythmique, bien plus dansant que le rock binaire qui met pourtant les foules en délire (peu de gens ont dansé avec Warpaint alors que de façon incompréhensible le martèlement abrutissant de la batterie de We Are Wolves ou la prestation inaudible des Drums* les ont déchainés). Vous n'y croyez peut-être pas, mais ce que vous n'entendez pas sur disque, je l'ai entendu en live: le groove de la basse, l'aspect tranchant des guitares, la noise furieuse, la déviance sonique fille de Sonic Youth. Au jeu des comparaisons, We Are Wolves, auteurs d'un set rondement mené, jouaient sur une cadence métronomique une musique sympa mais précipitée alors que Warpaint, muni d'un delay, faisait rebondir les notes, comme des billes tombant au sol. We Are Wolves était un carré plein, Warpaint une grille pleine d'intersections et de vides. WAW était un bac à sable, Warpaint une tour crénelée.
Et sur disque, patatra! tout tombe à la renverse. On entend trop les gémissements que la scène nous donnait le droit d'ignorer et on ne perçoit presque plus rien de ce qui faisait le sel du concert. Où sont passés les rythmes? a-t-on envie de demander. Dès les premiers accords de guitare, ces secousses funk qui transperçaient l'air, il était dit que ça allait être bien, que ce serait même le pic indépassable de cette série de quatre concerts qui commençaient à peine. "Il n'y aura pas mieux ce soir" avais-je pensé. Je n'avais pas tort. Le lendemain, alors que j'écoute leur myspace, je n'entends plus rien de ce qui m'avait transporté. On ne peut pas rejeter la faute uniquement sur la chanteuse lunatique, d'autant que ses parties de guitares étaient primordiales pendant le concert et apportaient souvent une touche supplémentaire, mais force est de constater que s'il fallait un bouc émissaire pour expliquer le fiasco du disque, ce serait elle, naturellement, à cause de ce dolorisme si rebattu, si peu crédible, si fade.
Situé du coté opposé, j'ai eu tout à loisir d'observer l'autre chanteuse. La comparaison entre ces deux femmes, toutes deux indispensables au groupe, est sans doute un peu injuste, surtout si elle invente une rivalité qui n'existe pas dans leur vie quotidienne, cela dit tant de différences ne laisse pas l'auditeur sans réaction. Aucune ne brillait par son chant mais dans le style il y avait deux directions diamétralement opposées, sans doute inconciliables, dont l'une est selon moi la bonne, l'autre la mauvaise. Elles ne suivront peut-être ni l'une ni l'autre, ne se décideront jamais et continueront à louvoyer entre des disques atmosphériques ennuyeux et des prestations scéniques de dingue.
En tout cas, bien que ce billet soit sévère, j'espère qu'il sera compris dans leur intérêt: il fera peut-être que des auditeurs hâtifs consentiront à suspendre leur jugement.
*A leur décharge, le bonhomme se dépense sans compter et comme le public connait déjà par cœur les chansons il n'a pas besoin de bien entendre pour les restituer mentalement.
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