La chanson de la semaine

vendredi 12 mars 2010

Fool's Gold


Les musiques les plus étrangères à notre environnement ont toujours besoin d'un petit temps d'incubation. Je crois bien avoir écouté Surprise Hotel il y a deux mois, par l'intermédiaire d'un clip estival et léger magnifiant l'illusion (dans le fond si libérale) du bonheur partagé par tous. Devant ces petites guitares calypso et ces paroles hebreu j'étais resté plus ou moins neutre d'humeur. La liesse, même chic et bon enfant, ne me touche pas trop. L'heure est à la révision de jugement, puisque le morceau a de nouveau croisé mon chemin et qu'il a cette fois libéré toutes ses vertus joviales. Hasard d'une ré-écoute qui a réveillé le souvenir vivant d'une sensation de bien-être et de plaisir, comme si au premier abord le cerveau n'avait pas voulu décrypter le message que la mémoire a gravé malgré tout.
Mais qu'est-ce que Fool's Gold? On ne peut pas ne pas dire un mot de présentation: ce n'est pas si fréquent, même depuis Vampire Weekend, que la tradition africaine (style, parait-il, éthiopien) et les USA convolent en noces musicales. En regardant une photo du groupe, je constate l'intention: ils sont nombreux, habillés léger avec t-shirt et chemisettes de couleurs différentes, comptent deux latinos et forment donc un ensemble bariolé et métissé, de connivence avec l'esprit pluri-culturel de notre temps et la saison estivale qui s'annonce. Un rayon de lumière baigne toujours leur visage. On dirait qu'ils vous convient à un grand barbecue.
A ce stade, deux écueils devraient m'alerter : l'appropriation de la culture africaine, qui dans mon jargon signifie une absorption de l'altérité dans les marges confortables du monde occidental. Bref, une forme de réduction de l'Autre au Semblable. Ce qui va de pair avec la superstructure si mielleuse de notre monde médiatique: tout le monde est content, tout le monde danse!
Cette rigidité intellectuelle, si jamais vous vous en étonnez, me vient de ma formation et je ne la porte heureusement que comme une paire de lunettes. J'ai aussi des yeux. Je vois à quel dogmatisme elle confine. Dans le même esprit, Daniel Darc et Mustang, dans un entretien pour Magic!, disaient que le reggae joué par des blancs est chose sacrilège et interdite. Et pourquoi l'initiative ne réfuterait-elle pas un jour le principe? D'autant que l'authenticité n'est pas toujours de bon aloi. On ne sait jamais bien qui s'en revendique, qui la manipule, de quelle marge elle dispose face à la tentation de l'identité sectaire ou du nationalisme. Aussi, la fusion d'une musique africaine avec l'indie-pop, même si elle rappelle par son principe les chimères de la world music (sans la charité complaisante), la mièvrerie des rencontres fantasmées entre un peuple et un autre, est tout compte fait un signe plutôt sain d'évolution, d'expressions croisées entre plusieurs mouvances qui ne pouvaient pas rester hermétiques indéfiniment. Honnêtement, qui se ne sentirait devenir plus léger en écoutant ce Surprise Hotel? Le disque de Fool's Gold, meilleur que Vampire Weekend, rend plus réelle et plus viable l'idée de la world music.

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