La chanson de la semaine

dimanche 24 juillet 2011

Anna Calvi


Quand j'essaie de repenser à ma première écoute d'Anna Calvi, un gros vide se fait dans ma mémoire. Je ne me souviens pas du tout qu'il y ait eu une première fois. Pour ainsi dire, ma première écoute attentive et concentrée remonte à hier. Et depuis, je pense conjointement à Anna Calvi et à ma découverte manquée des XX, l'an passé. Eux aussi, je les avais ignorés. Un filet d'eau diaphane courant le long d'une rigole dans une métropole crade - voici à peu près l'effet qu'ils me faisaient.
Ils étaient transparents. Anna Calvi a failli le rester.

Tout d'abord, "matraquage" médiatique oblige, je m'étais succinctement intéressée à son cas et - c'est bête - à son apparence, dont on vantait d'ailleurs le charme. Je la trouvais étrange et peu engageante, avec son air sévère, son visage nordique taillé aux ciseaux, vêtue d'une veste carrée, rouge sang, et chaussée de talons ou de bottines pointues. Je m'aperçois qu'en fait, elle avait un style latin, flamenco. On l'aurait bien vu dans une arène agiter le drapeau rouge et piquer d'une banderille les flancs du taureau. Tout le contraire de la féminité légèrement infantile qui plait chez une femme. Mais une chose cependant me semblait incontestable: Anna Calvi apportait un vent de fraîcheur et une personnalité unique, sculptée dans un marbre pur et inoxydable. Le jeu de guitare, surtout, avec ses dénivelés, son aspect drapé et mouvant, exprimait une liberté rare pour la pop. Et malgré cela, je ne me régalais pas.

Que fallait-il de plus? Ou qu'avait-elle de trop? La réponse tient autant des aléas de la vie que d'une qualité presque préjudiciable pour l'artiste. D'une part, il me manquait le temps - le temps d'écouter, d'être curieux, le temps précieux de la découverte sans a priori. Puis, elle était trop originale, trop elle-même. Et, forcément, cela déconcerte. Je ne savais dire si j'aimais ou si je n'aimais pas. Elle échappait aux jugements, elle flottait dans l'air, sans réelle consistance.
Ma conversion, loin d'être inévitable, est aussi le fruit d'un hasard. Je m'ennuyais. J'avais donc l'esprit dégagé. C'était le moment d'écouter quelque chose que, d'habitude, je n'écoute pas. Sa voix, mure et claironnante en a pris possession. Réécoutant Blackout et Desire, autour desquels je louvoyais étrangement depuis une semaine, avec le sentiment d'approcher d'une aura étrangère, neuve, gracieuse, je succombais cette fois totalement. Une certaine accoutumance, peut-être, aura eu raison de mes a priori. Mais rien n'explique cette accoutumance puisque, n'aimant pas encore Anna Calvi, j'aurais dû ne pas réécouter*.
Je crois que certains artistes travaillent nos sens à l'ombre de notre jugement, de façon clandestine et invisible. On ne s'en aperçoit qu'une fois sous leur charme.


La guitare de "The Devil" et de "I'll be your man" me semble désormais une cascade d'inventivité. L'aspect même d'Anna Calvi ne me rebute plus**. Son regard a gagné en fragilité là où je voyais jusqu'alors une glace froide et rigide. Si je devais résumer son art, je dirais: de la pudeur dans l'exhibition, de la retenue dans la grandiloquence. Je crois que c'est une fois de plus une alchimie de sentiments et d'attitudes contraires qui a emporté mon adhésion - comme souvent, en musique.

* Attribuer cette insistance curieuse à l'effet suggestif des médias est une explication commode mais spécieuse. Le goût est un affect mouvant, indécis, qui connaît des flottements - ce n'est pas un jugement net et sans bavures sur lequel on ne revient plus.

** Ne me dîtes pas que c'est sans importance, fieffés menteurs!

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