La chanson de la semaine

mardi 29 septembre 2009

Magnifique


Contrairement aux rumeurs loufoques qui circulent sur la toile française, les Cave Singers ne se réfugient pas dans leur cave pour échapper à d'hypothétiques casseurs qui séviraient dans les rues de Seattle. Primo, parce qu'une grande partie de l'année celles-ci sont désertées par les musiciens (il fait trop froid) et deuxio parce qu'il serait stupide d'imaginer que des hordes de terroristes grunge vouent aux gémonies la majorité de folkeux qu'abrite désormais la ville. En effet, depuis quelques temps, on ne compte plus les groupes simili-folk dans la région. La ville industrielle a remisé son passé punk et grunge (Nirvana) pour laisser bourgeonner de belles plantes naturelles: Moondoggies, the Dutchess and the Duke, Fleet Foxes, sont les plus connues. Les Cave Singers sont peut-être les meilleurs, à l'instant précis où j'écris - car avec tant de variété, les uns peuvent supplanter les autres rapidement. Pourtant, rien ne laissait présager d'une telle réussite. En vérité, tous leurs moyens mis en commun (et c'est peu de chose) ne devraient pas, théoriquement, permettre un disque aussi magnifique. Ils sont au-dessus d'eux-mêmes pendant trente-cinq minutes. Au programme: la routine d'un disque folk, avec les arpèges de guitare acoustique qui déroulent leurs clichés, une voix enrouée et maniérée qui trébuche sur les mots, et juste ce qu'il faut de guitare électrique, en son clean bien entendu. Cela devrait être un bréviaire de l'ennui. Et c'est le contraire. Avec si peu, ils font des montagnes. On pense à des chansons folk de Led Zeppelin, on pense à une country rajeunie, on pense que c'est génial. ça ne l'est pas en vérité. C'est trop simple, trop humble, presque le pain du pauvre, mais c'est au moins un grand disque qu'on écoute en boucle dix fois de suite sans lassitude (ce qui est exceptionnel dans la mesure où les chansons se ressemblent). Le chant de Peter Quirk prend l'auditeur à la gorge, le bonhomme est plutôt bouffi mais si je devais en faire un dessin-animé, je lui donnerais, d'après sa voix, le rôle d'un loup efflanqué. Il ne craint pas d'en faire beaucoup, à l'inverse de tous ces chanteurs de folk timides qui laissent glisser leur voix sans rien brusquer. C'est le défaut le plus courant du genre: des apprentis qui n'ont pas foi en l'expression directe semblent croire que c'est dans la nature de la musique folk d'être toute de retenue et de pudeur, comme si ce style était dévolu à contraster avec la musique rock urbaine. Les Cave Singers sont supers parce qu'ils ne se positionnent pas contre quelque chose d'étranger à eux, ils ne jouent pas sur l'opposition culture/nature, rock/folk. Ils jouent pour vibrer à l'unisson et n'ont pas besoin de riffs ni de solos pour obtenir un résultat équivalent à celui qu'obtiendrait un groupe de rock. Ils savent rendre la douceur énergique, densifier le dénuement, exalter la simplicité. Ils ont le truc qui les met au-dessus de leurs moyens. Cela ne durera peut-être pas, car avec une telle simplicité, ils n'iront jamais plus loin. La musique folk n'a jamais connu une grande marge d'évolution. Le folk-rock peut apporter quelques nouveautés; l'électrification des morceaux, par exemple, a pu choquer en son temps et a renouvelé le genre, mais quand on se replie sur la formule guitare/voix (et quelques fanfreluches), on ne peut pas décrocher la lune. C'est pourquoi il n'y a jamais eu et ne saurait y avoir de retour à la musique folk, quoi qu'en disent les médias ces derniers temps. Car en effet on ne peut pas "revenir" à ce qui n'a jamais cessé ni même à une étape antérieure de ce qui n'a jamais vraiment évolué. Un folkeux du XXIème est presque l'alter ego d'un folkeux de 1960, sans qu'on puisse parler de retour aux sources ou de revivalisme. La raison de cette stabilité tient à la fonction passe-partout du genre: on dit que c'est de la musique de feu de camp pour exprimer combien il est facile d'en jouer quand on veut et où on veut. Une guitare et une voix suffisent, pas de besoin de brancher le matériel. Du coup, le genre dure et ne correspond ni à un mouvement (comme la soul, le jazz, le rock'n'roll) ni à l'évolution accidentelle d'un mouvement, c'est plutôt une base, simpliste mais toujours possible. Ainsi, les Cave Singers, à l'origine, sont des rockeurs issus de formations électriques et rythmiques, pas même des fans de Dylan. Ils ont empoigné la guitare acoustique et ont baissé le volume de l'électrique parce qu'ils ont certainement voulu passer des soirées tranquilles entre amis, pour changer, dans leur cave. Sans doute est-ce aussi basique que ça. Le résultat est splendide, contre toutes attentes.

WELCOME JOY
The Cave Singers
2009, Matador

2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup l'analyse. Tu ne notes jamais les albums ? Je n'ai pas eu le courage de tout lire (je suis une feignasse) mais beau travail.

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  2. T'inquiète, moi non plus je n'ai pas le courage de me lire.
    Tu aimes les Cave Singers?
    Je n'arrive pas à noter les disques, celui-là pas plus qu'un autre. Sur mon RYM par exemple je change toujours les notes. Bon, allez, je vais faire un effort: je lui mets 9/10!

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