La chanson de la semaine
mercredi 7 octobre 2009
Qu'est-ce qui fait que je ne suis pas anglais?
L'anglophilie. Une maladie française, pandémique. Je précise que la promotion quasi exclusive de la musique américaine sur ce blog est également une pathologie, relativement handicapante quand on vit à quelques brassées de l'île des Beatles, mais à une trop grande distance du continent dit "instinctivement réactionnaire". Notez, il y a une scène folk à Lille. Les choses vont bon train. Moi qui croyais qu'ici il n'y avait que des métalleux (proximité de la frontière belge oblige) et des ska-punk bien encombré de leurs heineken... Ici, c'est l'Angleterre des Flandres. Paysage gris, industriel. Et après on s'étonne de l'influence de la musique anglaise. Il n'y a pas que la distance qui fait.
Je m'étais un peu énervé récemment, dans un article. Substantiellement, je disais que la personne qui écrit ce billet n'a pas beaucoup de sympathie pour le rock anglais en général et encore moins pour le mélange ska et rock qui a déferlé dans le pays circa 80.
"Heureux ceux qui vivent dans des zones épargnées où, selon toute vraisemblance, on ne rencontre pas à chaque coin de rue des fans des Clash et de ska-punk. Ici, dans le Nord de la France, c'est une invasion barbare. J'ai l'impression de vivre chez les Huns et les Ostrogoths. Et ma foi, c'est un peu ça. Je ne veux pas dire que c'est forcément mieux ailleurs, mais la proximité avec la Grande-Bretagne entraîne des réactions de rejet que je ne contrôle pas toujours".
Pourtant, à y regarder de plus près, je me suis un peu fourvoyé. Bien sûr qu'il y a des groupes anglais que j'aime! Et, pour me racheter, je me suis dit que je devrais les énumérer.
1° Les Beatles 2°John Lennon 3° Paul McCartney 4°George Harrison 5°...Ringo Star. Non, je déconne. Pour le dernier du moins.
En vérité, c'est plus compliqué.
Tout d'abord, une personne vraiment éclectique n'a que faire des genres, étiquettes trop commodes pour être véridiques, trop cloisonnées pour les esprits larges. Je recommande moi-même l'éclectisme, ne serait-ce que pour l'hygiène mentale. Savoir apprécier tout ce qui vient à soi, sans distinction autre que le potentiel, la qualité, c'est avoir fait un pas de géant vers le contentement intérieur. Mais bon, on n'en est pas tous là. Et comme je cherche dans la musique à creuser un petit sillon qui me fascine depuis bien longtemps, je me tourne, non vers des artistes, mais vers le nom générique qui trace le sillon avec moi. Les artistes sèment le blé, un par un, mais aucun n'est finalement aussi remarquable que le blé qu'il a fait germer et aucun blé n'a à lui seul la qualité d'ensemble du champ. Voilà pourquoi ma première réflexion m'amène à aborder un genre. Une vue large, un panorama, un amour pour la sériation plus que pour l'unité, voilà à peu près ce qui définit l'état moral d'un critique, même amateur. S'il y en a ici, ils confirmeront surement ce point.
Le premier genre qui me vient à l'esprit, le folk-rock pour faire simple, n'a pas en Angleterre la popularité qu'il connaît outre-Atlantique. Le seul motif qui me rende cette lacune intelligible serait la concentration de la population dans un espace restreint, par rapport aux USA encore partiellement dépeuplés.
La mythologie des grands espaces colore en effet cette musique d'un feeling particulier. Elle a infusé jusque dans l'esprit des citadins des grandes mégalopoles: Damien Jurado, de là où il est, Seattle, parle pour les gens du Texas. Et c'est pourtant à une grande distance. Comme si les Anglais parlaient pour... les suisses? On peut supposer qu'il n'y a pas en Angleterre ce sentiment des distances. Le leader des Byrds, R.McGuinn, disait qu'il avait apporté à la pop anglaise le sens de l'espace et de la lumière propre à l'Amérique. Magnifique. En quelques mots, le propos est résumé.
Il y a pourtant en Angleterre des groupes folk-rock. Tout d'abord, peu nombreux, ceux qui s'inspirent ouvertement des ricains, comme El Goodo, qui a piqué son nom à un titre de Big Star. Les Wave Pictures, sur leur dernier disque, ne sont pas toujours loin de la country. Et les Stones ont eu leur période américaine (d'ailleurs très riche). Sans oublier l'inévitable "house of the rising sun" des Animals.
Mais il y a aussi le folk-rock purement anglais, comme celui de Fairport Convention, un de mes groupes préférés. Richard Thompson est peut-être allé trop loin dans l'approche folklorique, mais en faisant remonter à la lumière les racines irlandaises, il a permis de renouer des liens entre la tradition celtique et la chanson pop qui y prenait, sans trop le montrer, ses sources. La country elle-même vient de là, et les américains sont souvent les premiers à le rappeler et à rendre hommage au Royaume-Uni. Pourquoi si peu de folk-rock anglais alors? Pourquoi les Byrds ont-ils semé plus que Fairport Convention?
En fait, il y a un défaut de popularité. Des chanteuses folk anglaises par exemple, il y en a eu beaucoup. Vashti Bunyan, Sandy Denny, la chanteuse du groupe Tree, celle de Pentangle... Mais honnêtement, la plupart ne sont plus écoutables aujourd'hui. Le mouvement folk anglais des années 60 a laissé bien des noms sur le carreau, la faute à trop de maniérisme. Très peu de musiciens/chanteurs sont restés: Donovan, dont je parlais hier, Bert Jansch, John Renbourn, Richard Thompson, Sandy Denny... Citons encore Van Morrison, le plus important. On peut ajouter Kevin Coyne, vraiment méconnu. Plus tard, on a eu Billy Brag et Holly Gollightly. Mais ça ne sera jamais aussi impressionnant qu'une longue liste d'artistes folk-rock americains, au premier rang desquels Dylan, Neil Young, etc.
Pour clore le chapitre folk-rock, j'ajoute que je suis preneur si vous avez la moindre suggestion à me faire, et notamment parmi les contemporains. Je serais curieux de voir à quoi ressemble la scène folk en Angleterre en cette fin de décennie.
Maintenant, considérons un autre genre: l'indie-rock. J'ai écouté les Pixies, j'ai une curiosité pour Pavement, j'ai grandi avec Nirvana (et les Smashing Pumpkins j'avoue). J'aime Yo La Tengo, le BJM, les Warlocks, Galaxie 500, etc. Et là, je me prends une claque en croyant que tout cela dérive uniformément d'influences américaines alors que... si les Pixies ou Pavement sont indéniablement américains dans leur approche du son, le BJM ou Galaxie 500 viennent en droite ligne de Spacemen 3, de Jason Pierce qui, contre toute vraisemblance, est anglais.
Incompréhension: comment se fait-il que pendant toute une décennie celui qui a été l'un des meilleurs compositeurs anglais ait engendré exclusivement de l'autre côté de l'Atlantique tandis qu'aucun groupe british, à ma connaissance, n'a revendiqué la moindre filiation avec Spiritualized ou Spacemen 3, ni même du goût pour ce genre de musique? Méconnu dans son propre pays? Très sérieusement, le peu d'influences de groupes comme Spacemen 3 ou My Bloody Valentine dans l'Angleterre des dernières années laisse songeur. A croire que tout le monde était absorbé par les sixties revisited... A moins que Jason Pierce ne soit lui-même une exception au RU. Et c'est fort possible quand on mesure cet étrange mélange de rock, de blues, de gospel...
Le blues. Venons-y. On ne peut pas dire que l'Angleterre n'ait pas eu son moment blues. Au contraire. C'est écrit dans le cahier des charges. Cream, Clapton, John Mayall, beaucoup plus tard Mark Knopfler. Rien de méchant en fait. Mais ce cas d'école est révolu. Entend-on encore parler de blues-rock? Le blues-rock d'aujourd'hui, ce sont les Black Keys, Radio Moscow et les White Stripes qui s'en chargent. Ah...il y a quand même les Kills... non, ils sont à moitié américains.
La nouvelle génération rock est en fait ce qui a cassé la baraque ces dernières années. Comme le punk-rock (Clash, Sex Pistols), comme le post-punk (Wire, P.I.L), la new-wave (Echo and the Bunnymen, Joy Division, the Cure), le brit-rock (Oasis, Blur, Suede, Pulp), c'est au tour du rock nouvelle génération (à défaut d'un autre nom) de se faire une place dans l'inconscient collectif des hommes d'aujourd'hui. Libertines, Cribs, Arctic Monkeys, Franz Ferdinand, Rakes, Art Brut, Horrors, Futureheads, je ne vais pas tous les citer, mais ils sont nombreux à avoir recueilli un peu ou beaucoup de succès ces dernières années. Alors, bien sûr, certains sont très bons, et donc respectables. Qui pourrait prétendre que les Libertines furent nuls? Mais ce n'est pas la source où je m'abreuve, j'ai de l'estime pour eux sans avoir de goût. Par conséquent, quand je vais du coté des anglais, je cherche ce qui est en marge, la seconde zone, mineure mais plus adaptée à mes inclinations. Le graal de poche en somme. Ce n'est pas un fait exprès, mais une conséquence collatérale du succès de ce type de musique dominant.
Mais alors... que resterait-il à l'Angleterre si jamais elle voulait me séduire, m'absorber dans sa masse? Il y a bien quelque chose. C'est la dernière ressource. Un truc qui lui appartient en propre, jamais imité ailleurs. La particularité anglaise. Le pudding? Non, la pop. La pop vraiment pop, consensuelle mais subtile, à deux doigts de la variété mais gracieuse dans son équilibre fragile. Tout d'abord, il y a les Beatles, mais ça on le sait déjà. Je ne parlerai pas des Bee Gees, là c'est trop, trop de chantilly. Les Kinks sont bons, mais il faut les prendre quand ils ne sont pas trop ironiques, pas trop décalés. Ils peuvent être effroyablement british, genre cup of tea et Oscar Wilde. A Well respected man néanmoins ne tardera pas à figurer dans ma liste des chansons en or. Mais ce ne sont pas ces groupes qui font l'objet de mon intérêt. En fait, il y en a trois en particulier. D'abord, Prefab Sprout - et encore, seulement pour un album (Steve McQueen), mais quel album! A supposer même que ce disque fût une exception, une plante rarissime et exotique, je trouverais encore le moyen de croire qu'il résume l'Angleterre, qu'il est à lui seul l'Angleterre. Quiconque a écouté Goodbye Lucille peut-il me contredire? Et qu'il soit proche de la variété ou peut-être noyé dedans jusqu'au cou m'importe peu. Si la variété, c'était Paddy McAloon sur les ondes, je mettrais Rtl2 tous les jours.
Ensuite, un peu moins bon, mais quand même ravissant, il y a le cas des Pale Fountains (et de Shack). Encore un grand moment d'élégance. Sorti en 1984, année de ma naissance, Pacific Street reste un disque de grand talent. Unless, par exemple, avec ses synthés pourris, résiste à toutes les modes. Mais la chance est d'avoir encore aujourd'hui un groupe de ce niveau, quoique plus timide: Belle and Sebastian. Beaucoup les trouvent mièvres et niais. Mais si vous avez lu mon post sur Donovan, vous devez savoir que je ne condamne jamais arbitrairement un peu de mièvrerie. Et d'ailleurs, je n'ai jamais vraiment cherché à comprendre ce que chantait Stuart Murdoch. Les mélodies, imparables, me suffisent.
Si vous avez, dans cette veine, des suggestions, je réitère ma demande. Rien ne me plairait davantage que de faire tomber mes préjugés sur l'Angleterre et de la voir sous un autre jour, plus diversifié.(1)
En attendant, voici un petit florilège de mes disques et groupes anglais préférés:
Steve McQueen - Prefab Sprout
Pacific Street - the Pale Fountains
Parachute - the Pretty Things
Sticky Fingers - the Rolling Stones
Belle & Sebastian
the Beatles
Spiritualized
Astral Weeks - Van Morrison
Spirit of Eden - Talk Talk
What We Did On Our Holidays; Unhalbricking ; Liege and Lief - Fairport Convention
Mais aussi, dans une moindre mesure : Donovan, the Coral, Badfinger, the Animals, Richard Hawley, Jesus and Mary Chain, the Cure, Stone Roses, Pink Floyd.
(1) Pour prévenir les remarques concernant un éventuel oubli, j'ajoute que je n'aime pas énormément les Smiths.
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brillant cet article! l'américanophile que je suis adore aussi casser du sucre sur l'Angleterre... mais c'est vrai qu'il y a un peu de mauvaise foi là-dedans. je partage ton admiration pour Belle & Sebastian mais surtout pour les albums du début.
RépondreSupprimerEn parlant d'Ecossais, je te conseille un groupe pas très connu, les Cosmic Rough Riders, qui font un mélange de folk-rock psychédélique et de power-pop qui doit beaucoup aux Byrds... Je parle pour les 3 premiers albums, après je sais pas...
Merci, c'est ce que je voulais: des recommandations! Je suis en train d'écouter.
RépondreSupprimerBelle & Sebastian est maintenant un groupe vieillissant (déjà): plus pro et moins frais peut-être.
je suivais ce blog de loin depuis quelques temps, et je le trouve tres bon maintenant que je lis plus soigneusement les articles.
RépondreSupprimerun groupe anglais que tu ne cites pas et que je te recommande si tu ne connais pas, a l'aise autant dans le folk que le post rock ou la pop, c'est gravenhurst. y a un disque pour chaque style en gros. et ce nick talbot a de sacres talents d'ecriture.
J'ai écouté Fires in Distant Buildings à l'époque de sa sortie. Mais je ne peux pas y revenir, pas plus que je ne peux revenir à Joy Division (dont j'ai été fan). J'ai l'impression de me replonger dans une nuit sans fin, perdu sur un périph. Mais son talent est certain.
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