La chanson de la semaine

vendredi 2 octobre 2009

Deerhoof ou Deerhunter?



Qui a dit que les Beatles étaient universels? En Irak, les GI passaient les fab four pour faire craquer les talibans. Je cite ce fait de mémoire, sans certifier sa provenance. Mais les exemples de toute façon abondent aussi dans nos contrées. Certes, il faut quand même être bien difficile pour trouver insupportables les plus consensuels des artisans de la pop. On ne trouve pas de groupe dans l'histoire du genre qui fédèrent autant de personnes différentes, dans leurs goûts comme dans leurs mœurs. Mais la chose arrive et elle remet en cause les convictions même les plus inébranlables. Cette introduction n'a pas d'autre but, en effet, que d'amener le lecteur à relativiser ce qu'il pense être du domaine de l'Universel (avec un grand U). Quiconque analyse la chose remarque que l'universel est une forme civilisé du narcissisme de groupe: il est l'apanage d'une communauté qui célèbre ses propres valeurs (justifiées par leur caractère très répandu et réciproque). Ceci étant posé, il s'agit également d'une arme rhétorique visant à marginaliser la différence et donc à exclure - au lieu que les naïfs, comme moi, voudraient TOUT inclure.
C'est en tout cas ce que doivent se dire les fans malheureux d'Animal Collective, des Fiery Furnaces et de Deerhoof, trois groupes marginaux peu susceptibles d'accéder à une plus large audience, ni aujourd'hui et encore moins demain, quand (c'est prévisible) le nombre de fans se réduira à une peau de chagrin. Car si ces hommes engendrent comme tout le monde, leurs enfants, eux, n'ont qu'une chance sur un milliard, et encore, d'être atteint par l'hérédité musicale de leurs géniteurs. S'il y a des chromosomes Beatles, ils sont sans doute plus nombreux que les chromosomes Deerhoof (car dans la nature comme dans la société les médias dirigent tout - enfin, c'est ce dont il faut se persuader).
Qu'on en dise cependant tout le mal qu'on voudra, c'est à la gloire de la musique populaire de se soucier moins de la bouteille que de l'ivresse. La nature et la société distribuent les goûts selon des lois sans doute analysables point par point, mais je doute que cela mène à de grands changements. Dans les cas où un peu de snobisme teinte les goûts d'une personne sous influence, on peut toujours l'amener à plus de confiance en soi. Dans les cas, fréquents, où le manque de culture empêche de connaître le meilleur, on peut remédier au problème. Après, si un gars préfère en toute connaissance de cause Chantal Goya au Velvet Underground, qu'est-ce que cela peut faire? Ainsi, laissons tranquilles les zélateurs de Deerhoof, ce sont souvent des gens très cultivés et je ne les soupçonne pas de snobisme (soupçon dont je me fais un scrupule, pour ce qu'il suppose de mécréance et d'incapacité à reconnaître l'altérité). Ils fonctionnent sans doute selon un schéma mental qui m'échappe. On peut tout de même avancer l'hypothèse qu'un fan de Deerhoof se soucie peu ou prou d'émotions et aborde la musique selon un angle plutôt cérébral, résolument non sentimental. N'importe! Brisons-là, il s'agit en fait de parler d'un autre groupe, aussi peu universel, presque aussi barré et très marginal en France: Deerhunter, les chasseurs de cerf. Avec un nom pareil, inutile d'indiquer la provenance. Les USA sont spécialistes des noms d'animaux. Mais Deerhunter n'est pas un groupe de folk-rock. C'est un groupe urbain, dans la lignée de Spacemen 3, Sonic Youth et de l'indie-rock des nineties. Plus isolés que les Warlocks ou les Raveonettes, moins accrocheurs aussi, Deerhunter a frôlé la considération publique l'an passé, du fait de la reprise de Fluorescent Grey par Jay Reatard. Pas de connexions bien profondes entres le leader du groupe sonique et la nouvelle grande gueule de la power pop pour autant. Deerhunter reste un truc underground et audible trois ou quatre fois par semaines aux bas mots. Mais lorsque les conditions s'y prêtent, l'effet peut laisser pantois. Bien sûr, ce n'est pas fulgurant comme l'était Sonic Youth, et puis il n'y a pas le statut d'icône underground pour fasciner le public, mais les guitares de Never Stops, le refrain d'Agoraphobia, le mur du son sur Twilight at Carbon Lake, ou encore la petite valse de Slow Swords parviennent à envoûter l'auditeur accessible à la musique noise autant qu'aux climats planants et hypnotiques. Ce psychédélisme rafraichi peut évoquer tout ce qui s'est fait de mieux dans les vingt dernières années, de Galaxie 500 aux Warlocks, mais avec un supplément de folie. Leur dernier album est un double, difficile à assimiler en une fois donc. A vrai dire, on écoute ce genre de choses bribes par bribes. Mais le format convient peut-être à leur côté prolixe et fourre-tout, à cette volonté manifeste d'exploiter toutes les idées. Quand on les cueille au meilleur d'eux-mêmes, c'est peut-être un des meilleurs groupes en activité. Pour le reste, il y a des longueurs.

MICROCASTLE/WEIRD ERA CONTINUED
Deerhunter
2008, Kranky/4AD

2 commentaires:

  1. argh il manque un player pour écouter, tu m'as donné envie de découvrir

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  2. Oui, je n'ai pas encore pris le temps de chercher. Voici déjà un lien vers Weird Era Continued: http://www.deezer.com/listen-2578018

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