La chanson de la semaine

vendredi 13 août 2010

La mélancolie des années 90


Je ne répugne pas au schématisme. Moi aussi, je souscris à la thèse selon laquelle les années 90 furent celles de la tristesse et de la mélancolie. On mettra de coté un petit moment Supergrass et Oasis; les nineties furent, dans leurs grandes lignes, dominées par la rage et l'angoisse de Nirvana. C'est peut-être résumer une décennie à un seul phénomène et à une plage de temps très courte: 4 ans. Mais l'ampleur même du phénomène et les répercussions sur le long terme ne permettent pas d'en douter: l'indie-boy de ma génération était anxieux, replié sur lui-même, pessimiste et un peu sombre. La pose qui en découlait était celle de l'adolescent torturé et sale. Au tournant des années 2000, tout le monde, au lycée, écoutait Nirvana et Radiohead. Il n'y avait que ces deux piliers pour structurer le monde. De mains en mains, mon cd d'Ok Computer tournait. Kurt Cobain était encore adulé. On parlait parfois de Portishead. Le moment charnière se situe un peu plus tard, vers 2004, quand les Libertines et les Strokes étaient déjà bien installés dans les consciences. Alors la nouvelle décennie s'est en quelque sorte charpentée d'un coup, à la fois rétrospectivement et de façon programmatique. On prenait conscience de vivre dans un moment de la pop music qu'on appelait et qu'on continuerait d'appeler "retour du rock". Il n'y avait plus de doutes: le post-rock ayant mauvaise réputation, c'est bien le rock fun et sexy qui reprenait le flambeau.
Je date la dégénérescence de la belle mélancolie à partir du moment où Radiohead a sorti Kid A et GYBE son double album grandiloquent Lift your skinny etc, en 2000. Ces deux groupes n'étaient plus que les reliquats des nineties. L'affaire était close.


Mais une question me taraude encore: pourquoi pendant quelques années, la mélancolie, le rêve, l'attentisme, l'angoisse, se sont-ils nichés une place de choix dans le cœur des jeunes? Pas tous, bien sûr. Mais ceux qui, majoritaires, aiment la fête, n'avaient pas pignon sur rue. Pour une fois, les mélancoliques avaient la première des voix.
Une explication plausible à cet état de fait vient de la qualité remarquable de certains groupes, à commencer par Radiohead, dont le talent brut entre 1995 et 1997 était, de l'avis même des détracteurs, incontestable. Nirvana, avec moins de perfection et beaucoup plus d'approximations - voire, parfois, de laideur voulue - rendait le public hystérique parce qu'il exprimait une rage libératrice. Mais ces deux groupes ne furent pas seuls à exceller et en compensation d'une ribambelle de suiveurs ineptes on trouvait aussi dans les bacs Pj Harvey, Mazzy Star ou encore Elliott Smith.



Les historiens refourguent une autre explication. En 1990, l'Allemagne est réunifiée: pour la génération antérieure, c'est la fin officielle des utopies. Ainsi, des milliers de jeunes auraient subi le contrecoup d'une morosité ambiante. Cette explication ne me convainc pas. Je doute que beaucoup de jeunes se soient sentis profondément concernés, en Angleterre et aux USA, par la chute du mur de Berlin... L'autre hypothèse concerne les problèmes concrets rencontrés par les jeunes demandeurs d'emploi, laissés en plan sans perspective d'avenir rassurante. Mais ces problèmes n'ont pas bougé. Ou plutôt si, ils ont empiré. Cela n'a pas empêché la dernière décennie d'être marquées par le goût de la fête, du rock, de la mode, du dandysme. A la limite, l'enrichissement des couches supérieures de la société explique mieux les Strokes et la frivolité des années 2000 que les problèmes sociaux n'expliquaient la mélancolie des années 90.

Sans me creuser les méninges pour trouver une solution à l'énigme, je reviens souviens au plaisir pur de ces années auxquelles je dois tout. Je n'en ai pas la nostalgie. Elles demeurent simplement une base, un point de départ vers d'autres directions qui d'une façon obscure lui sont toujours reliées. J'ai retrouvé un peu de la rage et du sérieux des années 90 dans DLZ et Wolf Like Me de Tv On The Radio; j'ai écouté Girls, l'an passé, avec le plaisir des références qu'on distingue bien; Beach House louvoie à travers les années 90 avec une espèce de charme lunaire et de facétie triste (je pense surtout à Devotion, mais Teen Dream, dans un autre registre, est encore meilleur); Kurt Vile, sans être si bon que je l'espérais, m'a fait espérer des élans de lyrisme indomptables avec Freeway... Il y a un peu des émotions rencontrées avec les groupes des nineties dans chacun des noms cités.

3 commentaires:

  1. C'est marrant je me pose souvent cette question. Perso je vois ça comme une révolte culturelle à une philosophie de vie imposée par la télévision. La fameuse génération X si bien dépeinte par Douglas Coupland dans son bouquin, est exactement ça. Une génération élevée devant une télévision, devant un consumérisme permanent, une population qui devient les objets qu'elle achète, un serpent monnétaire qui prêche à qui veut bien l'entendre que le bonheur c'est d'acheter, d'avoir et de consommer. Une génération sans grande guerre, qu'on oubliera (le 11 septembre n'ayant pas encore eu lieu), celle sans alternative de vie, sans révolution possible, sans amour sans capote, sans sans-danger, sans liberté réelle, sans happy end et sans futur. Je pense que c'est tout ça qui a fait que...
    L'Amérique n'était plus en guerre, aucun grand mouvement culturel n'était en action, aucun chef de fil, aucun leader, la musique était devenu un commerce avec l'arrivée des synthétiseurs, le rock était mort, le cinéma était pop corn, la vie était peut être un peu trop des rails. La société vivait uniquement sur les aléas de la bourse et du marché financier. L'american way of life était de devenir un golden boy et être riche... de quoi devenir nihiliste. Le grunge vient de tout ça, comme Fight Club, American Psycho ou Generation X dans la littérature. Une envie de dire au monde qu'on s'emmerde et qu'on peut avoir la gueule d'un business man et se faire chier comme un rat mort ou être anti-conformiste et qu'être en marge est une possibilité à une certaine vision du bonheur. J'aime cette question en tout cas.
    Cordialement

    Dicky le Canard

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  2. Bonjour Dicky le Canard,
    Je n'ai lu aucun des livres dont tu parles. Generation X pour moi n'était que le groupe de Billy Idol. Je vais me pencher sur ce concept générationnel et revenir plus tard pour un avis détaillé.
    De réputation, American Psycho est moralement subversif et pervertissant, je serais donc surpris que le malaise qu'il manifeste soit de même nature que la tristesse élégiaque de Mazzy Star ou de Mark Koselec. Peut-être faudrait-il isoler le grunge des autres courants angoissés des années 90, comme n'ayant ni la même source ni les mêmes préoccupations?

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  3. Non American Psycho n'est pas un roman sur la tristesse ou la mélancolie mais sur l'ennui de la société moderne, c'est en ça que je voyais un rapprochement avec cette période charnière... c'est peut être aussi une génération de songwritters qui aussi fait des études et se sont intéressés à des grands philosophes comme Elliott Smith était très influencé par Søren Kierkegaard, qui n'est pas franchement très teletubbies dans ses idées et cette génération a prit aussi une sorte de relai de la beat generation. Elle voulait peut être accepter ses névroses et arrêter de faire du néo-réalisme ou des histoires de chiens dans la vitrine et passer à quelque chose de plus sentimental. Il y a aussi l'influence de la Cold Wave qui a été très importante, des mecs ultra déprimés en ayant marre des couleurs hippy et de l'énervement des punks et qui trouvent dans les synthétiseurs le froid robotique symbolisant leur mal être. Radiohead est très influencé par Joy Divison... Je crois que c'est juste une époque carrefour où toutes ces influences culturelles diverses se croisent et se retrouvent pour répondre à une jeunesse qui n'a pas l'air d'exister dans une société à modèle unique. Enfin je ne sais pas mais je crois que j'aime vraiment cette question.
    Cordialement

    Dicky le Canard

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