La chanson de la semaine

vendredi 24 décembre 2010

Retour sur le top des blogueurs (1)

L'accueil réservé, cette année, au top des blogueurs a été en tout point conforme à ce que j'en attendais. Le résultat lui-même ne m'a pas trop surpris: certains noms se répétaient au fil des mois. Je m'étais donc fait à l'idée que Gonjasufi, célèbre inconnu dont le nom improbable semble devoir être la création des blogueurs, figurerait en pôle position. Cela ne laissait pas de me déplaire, car ce top, dans l'ensemble, me semblait trop pointu, trop déviant pour être représentatif du mouvement général de la pop-music. Je savais pourtant qu'au contraire, certains le jugeraient consensuel et d'obédience médiatique: ne trouve-t-on pas, chez les Inrocks, chez Magic!, ou dans la presse anglaise, une bonne partie des groupes cités dans le top des blogueurs?

l'obsession de la différence

Ce qu'il faut se dire, c'est qu'en faisant la moyenne de ces votes, on obtient toujours un résultat moyen. Beaucoup estiment donc que le top est fondé sur le consensus qu'ont passé entre eux des internautes dotés de peu de personnalité. On trouve dommage, même, que des prétendus passionnés de musique fassent preuve d'un tel manque d'initiative et se contentent de suivre religieusement les recommandations de la presse.

Il va de soi que je ne partage pas cet avis. Je ne dis pas cela parce que j'ai participé au classement mais parce que, dans la liste, je ne retrouve que trois de mes groupes de l'année: Mgmt, Beach House, les Black Keys, et que ce sont quelques uns des plus connus, des plus médiatiques, des plus "hype" que la presse s'arrache. Autrement dit, mon top personnel, d'ailleurs lisible dans le message précédent, sort beaucoup moins des sentiers battus que celui qui résulte d'un consensus soi-disant mou. Il faut en conclure que mes goûts sont d'autant plus calqués sur ceux de la presse que le top censé la concurrencer, ou lui proposer une alternative, me fait l'effet d'un ovni, d'une hydre à 20 têtes, difforme et alambiquée.
Dans ces conditions, je ne peux pas être tout à fait d'accord avec ceux qui prétendent avoir lu le classement de la vulgate. La vulgate, si on la définit par rapport à eux, j'en fais partie et je puis bien assurer que ce classement ne lui correspond pas vraiment. Il faut dire que pour ceux qui passent leurs soirées à farfouiller sur le net, à buzzer comme des cons sur twitter, une vidéo regardée par 4000 personnes est déjà tarte à la crème; c'est le Bienvenue chez les ch'tis de la musique. Se voir reprocher, par des ahuris comme eux, des compulsifs de la distinction, de s'aligner sur la presse par manque de caractère, c'est comme de suivre le combat de coqs entre un snob et un populiste. Par ailleurs, leur critique est triplement infondée: d'une part parce qu'objectivement beaucoup de ces disques sont méconnus, de l'autre parce que la valeur d'un album ne dépend pas de son degré de médiatisation et enfin parce que l'objectif du top était de favoriser les coups de cœur personnels au détriment du consensus, ce que le système de notation permettait effectivement.


J'ai déjà dit que je m'attendais à cet accueil mitigé: les concepteurs du top ont beau avoir cherché une lisibilité grand public, les premiers venus restent les gens avisés, les connaisseurs, ceux pour qui un authentique passionné de musique est forcément une personne qui se place à bonne distance de la presse spécialisée. Or, par une coïncidence dont je me réjouis, certains albums se confondent avec les tendances médiatiques dominantes. Il y a alors deux explications possibles: soit la presse fait bien son boulot et met en valeur les disques vraiment fédérateurs, faisant de l'existence d'un top alternatif une simple redondance ; soit le formatage des esprits est tel qu'il inhibe toute indépendance de jugement. C'est à ce stade de la réflexion qu'il ne faut pas se laisser aller, par facilité, à l'analyse la plus couramment répandue sur l'influence des médias. La honte qu'inspirent certains d'entre eux, avec leur rhétorique de supermarché, ne doit pas non plus nous inciter à la mauvaise foi: on ne peut pas les accabler de tous les griefs.
L'argumentaire qui tend à faire passer la presse pour une tyrannie de l'opinion m'a toujours fortement déplu: non seulement il ravale l'être humain au rang d'animal sans cervelle, méprise le libre-arbitre dont chaque personne dispose en son for intérieur et sous-estime la capacité que nous avons de réagir, mais de plus il dénie à ceux qui affichent les mêmes tendances que les médias la reconnaissance de leur liberté, comme si être libre ou être authentique impliquait forcément de marquer sa différence. Un tel mépris de la liberté, au nom de la liberté, a quelque chose de révoltant. En ce qui me concerne, j'écoute des disques que la presse a médiatisé parce que j'estime qu'elle a eu raison de le faire et si jamais les journalistes ont été payés pour dire du bien de tel ou tel groupe, c'est parce qu'il le vaut bien. Ce n'est pas pour aider un manchot incompétent qu'un promoteur va débourser une fortune. Qu'on critique, c'est une chose; mais qu'on se garde bien de croire que ceux qu'on attaque sont plus bêtes que nous. L'une des erreurs les plus répandues consiste à prêter à notre opposant toutes les tares imaginables, jusqu'à ce point où il cesse d'être un de nos semblables: il n'est plus alors qu'un simple fantoche dénué d'identité, qu'on peut balayer d'un revers de manche. Ne pas considérer l'adversaire comme un alter ego est une faiblesse de jugement. Or, trop souvent les aficionados de rock indé croient, à tort, se distinguer des journalistes, des producteurs ou des publicistes, alors qu'ils baignent culturellement dans le même moule et qu'ils participent à sa reproduction.

La presse, c'est nous

Suivre la presse n'est peut-être pas si aveugle qu'on le pense, mais s'aveugler à ne pas vouloir la suivre ne mène à rien. Le vrai discernement consiste à savoir naviguer en eaux troubles. Car la presse, par son fonctionnement, est une chose trouble, instable et incertaine. Selon toute vraisemblance, l'offre et la demande continuent de régir son existence: loin de gouverner l'opinion de façon souveraine, il lui arrive de prendre le train en marche et de s'adapter aux goûts du public. L'arrivée sur le marché d'un nouveau journal, par exemple, n'est pas le fruit d'un caprice mais le résultat d'une enquête, d'une réflexion menée sur l'existence d'une frange de la population susceptible d'y adhérer. Si les médias sont à l'origine de nos jugements, nous sommes à l'origine des médias. Le serpent se mort la queue: les jugements qu'ils inoculent au public sont ceux que le public leur a insufflé en leur donnant la vie. La question qu'on devrait se poser, si on osait, serait la suivante: les médias existent-ils vraiment en tant que tels? Ne sont-ils pas une projection de notre inconscient collectif, que certains mettent à distance par refoulement? Et si les médias, tant qu'à faire d'être dans une veine paranormale, c'était NOUS? Plutôt que de voir dans les journalistes les bergers qui guident les moutons, ne devrions-nous pas accepter l'idée que les moutons se gardent eux-mêmes, sans bergers?
Du conformisme, ce n'est pas ce qui manque. Là n'est pas le problème. Chaque être, sur plusieurs milliards, ne peut pas se distinguer absolument de son voisin. Il est même bon qu'il n'en soit pas ainsi. La médiocrité est garante d'une certaine normalité. Mais est-il nécessaire de suivre un guide pour se conformer au grand nombre quand dans nos vies il y a assez de points communs pour que nos goûts convergent parfois dans la même direction? Et pourquoi les journalistes, dans ce grand brassage identitaire, précisément eux, seraient-ils laissés sur le carreau ? N'ont-ils pas grandi en écoutant approximativement les mêmes disques, ne partagent-ils pas nos références culturelles? Les journalistes étant comme nous, lorsqu'ils nous enjoignent d'admirer tel ou tel groupe, nous le faisons, comme nous l'aurions fait sans eux. Car nous n'avons pas besoin de leurs conseils. Nous avons juste besoin de leur reflet.
Pourquoi s'étonner, alors, si les goûts du public correspondent à ceux des journaux? La presse est un miroir déformant: on s'y reconnait partiellement et on s'attache au fragment reconnu. Un suiveur est quelqu'un qui a reconnu son ombre. Il lui emboîte le pas. Il arrive un moment où, observant l'ombre et l'homme qui marche, on ne sait plus qui des deux dirige l'autre. Presse et public? "C'est tout dit le même!" Oui, cul et chemise.

Dans ces conditions, on peut questionner l'utilité d'un top des blogueurs s'il reproduit à l'identique celui des médias. Tout d'abord, il faut que l'exactitude des faits soit avérée: dans notre cas, il se trouve que le top est bien plus original que ceux de la presse. Ce n'est pas forcément une qualité. Nous avions discuté par mail des modalités du vote: certains suggéraient qu'on revoit nos notations afin de privilégier la curiosité. Mais, comme l'a rappelé le webmaster d'un site, la découverte ne doit pas se faire au détriment de la qualité, ni de nos goûts véritables. C'est pourquoi Mgmt se retrouve malgré tout dans le classement. A quoi bon un top qui prendrait le contrepieds des médias quand les groupes qu'on aime sont médiatiques? L'intérêt du top, selon moi, n'est pas de faire différemment des autres, mais de confirmer ou d'infirmer certaines intuitions des médias. Dans le même temps, les déçus des tops officiels, les marginaux, voire les têtes chercheuses, peuvent s'engouffrer dans la brèche et laisser leurs propositions pour un monde musical nouveau. L'étrangeté de certains choix (Caribou, Mount Kimbie...) laisse penser que ce principe a été adopté. Dès lors, si une critique peut être pertinente, c'est que ce top ne représente pas les goûts réels de la population et fonctionne en vase clos, entre minorités adeptes du net. C'est en fait la critique inverse de celle qui vient d'être traitée: le top, à force d'être indépendant, finit par porter préjudice à l'universalité de l'indie-rock. Elle mérite d'être abordée, et le sera, dans le prochain article (s'il voit le jour).

4 commentaires:

  1. Je suis plutôt d'accord sur ta conclusion, c'est vrai que le top parle surtout aux passionnés, et c'est au passionnés qu'il parait consensuel. Mais il ne faut pas négliger les personnes qui apprécie la musique actuelle sans trop la suivre, et qui ont eu par là l'occasion de découvrir de nombreuses choses.
    Egalement d'accord sur l'obsession de la différence de certaines personnes qui critiquent le classement. Critiques qui se fond essentiellement sur le fait qu'il ne correspond pas à ce qu'il ont aimé cette année. Il ne faut pas se lasser d'expliquer au gens qu'un classement de 60 personnes aboutit forcément à une liste assez lisse et que 20 artistes ce n'est pas exhaustif.
    Cependant, je ne pense pas que le top veuille revendiquer une panorama de la "pop music" actuelle, simplement celui de la musique qui s'écoute dans la blogosphère. De très bons albums de chansons françaises ou de musiques exotiques auraient pu figurer dans ce top à peu de choses près.
    Enfin, petit point personnel, je ne pense pas que le choix de Mount Kimbie, et surtout Caribou soit étrange quand on voit le succès qu'ils ont obtenu dans la presse spécialisée. Encore une fois, pas de fumée sans feu, comme tu le dis, les blogueurs n'ont pas des goûts aux antipodes de la presse.

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  2. Si j'avais eu le temps, j'aurais souhaité un joyeux Noël au véritable passionné de musique qui, un soir de 24 décembre, commente encore un article de longue haleine, publié le même jour ;-)
    Ce que tu dis à propos des musiques exotiques et de la chanson française est intéressant car leur absence a été remarquée par certains.

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  3. L'analyse est intéressante mais à mon avis tu te trompes sur certain aspect

    la presse musicale n'est pas forcément le reflet de la population, au mieux celui d'une frange (le profile des lecteurs d'une revue)
    au delà de ça, la plupart des grands canards musicaux sont précisément née sur des coups de tête (par exemple Magic était à l'origine un fanzine)
    c'est ensuite le public qui a permit à ces revues d'exister évidemment, un nouveau magazine va être une nouvelle proposition (ton, public visé) car sa création est du à un manque mais c'est ensuite les ventes qui vont "validés" ce choix

    de la même façon je crois que pour les disques, il y en a beaucoup qu'adorent les critiques qui n'atteignent jamais la popularité ce qui veut bien dire qu'il y a une différence entre un média et son lectorat
    ce qui signifie bien que la presse est plus qu'une représentation du public et bien une entité à part

    concernant le top des bloggeurs 2010 je me retrouve pas du tout dedans, mais je suis à peine surpris au fond, mais bon j'ai trouvé qq tops anglo-saxons qui correspondaient beaucoup plus à ce que j'attendais (notamment celui de Finest Kiss et ceux de Rollogrady)

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  4. Pour ce qui est du succès critique qui ne trouve pas d'écho dans le public, il y a des exemples à foison. Mais un journal qui prend de l'importance doit naviguer à vue entre les différents profils de lecteurs. Par exemple, ne pas être trop mainstream sans devenir trop pointu semble aujourd'hui la norme, la définition même de la sagesse éditoriale. L'adopter, c'est se concilier les grâces du public. C'est pourquoi entre deux articles destinés à un lectorat assez large on peut trouver, mis sur un pied d'égalité, un papier dévolu à un groupe obscur qui va satisfaire la minorité à laquelle les journalistes appartiennent éventuellement. Quitte à en parler, ceux-ci tentent de faire mousser le truc. Et ça fait plof.

    Ce que je trouve super sur le blog Rollo & Grady, c'est de trouver les tops personnels de nombreux musiciens/chanteurs. C'est comme ça qu'on découvre des musiques en connexion avec ce qu'on aime. En fin de compte, ce sont les tops les plus intéressants et peut-être les plus signifiants.

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