La chanson de la semaine

mercredi 16 mars 2011

Last Of The Country Gentlemen

Si jamais on voulait donner au béotien une idée de ce qui est "culte", Lift To Experience serait le modèle parfait: voué à l'anonymat, ce groupe texan n'a sorti qu'un album ("culte" bien évidemment) et présente l'immense avantage d'être emmené par un leader tortueux, qui déclame des chansons bibliques sur fond de guitares accidentées. Ce petit côté "Mythe des origines", associé à un décors de Far West, en fait bien sûr un objet de délectation pour tous ceux qui admirent le Gun Club et Nick Cave. Josh T.Pearson risque d'ailleurs, par l'unique album de son groupe et son silence éloquent, de rejoindre Jeffrey Lee Pierce dans la légende des grand torturés. Là, on nage dans le cultissime le plus patenté, avec un relent de romantisme morbide en sus. Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin dans la définition du culte: ce qui l'est aussi, c'est malheureusement cette aridité de l'œuvre, son abord décourageant et fatigant. Comme Slint, culte entre tous, Lift To Experience tisse ses morceaux comme une longue toile monotone. Le bruit des guitares électriques ne surprend pas: il se répète inlassablement. On baille parfois aux corneilles, et la voix, qui évoque Jeff Buckley, n'y change rien: le rendu est trop brouillon. Et cependant le fan adhère comme à un papier colle-mouches, il semble même éprouver un vertige d'émotions palpitantes, a l'impression, enfin, d'entendre un manifeste unique resté lettre morte. Il a peut-être raison; il est difficile, là où je me situe, soit 10 ans plus tard, d'évaluer justement l'incidence d'un tel disque lors de sa sortie, sur des esprits remplis des sons d'il y a dix ans. Le contexte était différent: Kid A, Air, Sigur Ros, Death In Vegas formaient le monde de l'époque. The Texas-Jerusalem Crossroads, rien que par son titre, devait fortement dénoter. Aujourd'hui, pour dire mon sentiment, c'est une ruine. Mais rien n'est perdu.


En effet, le leader du groupe vient de sortir un nouveau disque. Bien sûr, la critique s'est ruée dessus comme sur le saint Graal. Cette fois, il ne s'agit plus de rock alternatif. Fi des larsens et de la batterie: Josh T.Pearson n'a pas fait faux bond à l'évolution typique des yankees résidant au cœur des terres et qui en reviennent toujours à la country de leur enfance.
 
Il est difficile pour un européen de s'imaginer le pouvoir de suggestion que garde ce style de musique aux Etats-Unis. Par musique, j'entends en fait "chanson". Les danses avec fiddles sont bel et bien tenues pour ringardes. La chanson, elle, résiste. De plus, celle d'aujourd'hui a cette identité floue et instable qu'elle doit au monde moderne. La musique n'y tient plus qu'une place congrue, celle d'un accompagnement (parfois laissé à l'abandon comme des herbes folles) qui soutient des paroles tournées vers l'intériorité et l'amour, quand la country classique, avec sa rigueur de métronome, était au contraire empreinte de réalisme social. La tradition a donc accompagné en douceur les changements d'époque. Reste que pour le non anglophone, ce genre est très frustrant. Mais il y a la voix, l'argument fort. Quand on ne comprend pas les paroles, elle en donne au moins la tonalité. On ne sait pas où va le vent, mais on le sent passer. C'est déjà beaucoup. Je parle bien sûr d'une country plus actuelle qu'antédiluvienne, mais qui donne malgré cela l'impression de venir d'un autre temps, car tel est le sort de cette sorte de musique que d'être vouée au passé. Le titre de Pearson à cet égard est significatif: Last Of The Country Gentlemen, et on pourrait ajouter: last of the country records, tant cet improbable revenant, qui ne connait pas le rasoir électrique, semble sortir des tréfonds de l'Amérique, grand oublié de la Ruée vers l'or, dernier représentant d'une espèce en voie d'extinction. Voilà, quand je parlais de sérieux, il se pose là. Mais ici prend fin l'ironie, car il faut avouer que son nouvel album, aussi long soit-il (58 minutes pour 7 chansons), contient deux moments d'expression de grande beauté, que la presse ne manquera pas de taxer de sincérité. Et pour une fois, elle n'aura peut-être pas tort. Bien que la sincérité soit un concept en trompe-l'œil, Josh T.Pearson, le temps de deux chansons, nous fait croire à la sienne, à quelque chose d'incandescent qui ne peut pas relever du mensonge ni même du simple artifice esthétique. Entre l'acteur qui joue son rôle et celui qui, par hasard, se trouve le vivre (Molière mourant en malade par exemple), il y a une différence qui n'est pas toujours sensible, mais ici elle l'est. Ces deux chansons ont pour nom Thou art loosed et Country Dumb. Evidemment, la connaissance des paroles s'impose pour les apprécier pleinement. Voici une ligne de Country Dumb:

"I come from a long line in history of dreamers
We are failures each and every one
We're the kind who always need a saviour
The kind who play country dumb" 

Et puis, une autre encore, assez vraie:

"We're the kind who have 10 000 would-be-great, ungrateful, too-long, run-on-songs"

6 commentaires:

  1. Je reste complètement hermétique à ce disque (le dernier). Je n'arrive pas à saisir l'essence du truc, je passe à côté. Ca me faisait déjà ça parfois pour Lift to Experience, mais moins.

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  2. Lift To Experience, je l'ai survolé. Je n'ai pas envie d'y revenir. C'est un groupe que je trouve surestimé. Josh T.Pearson est quand même beaucoup plus expressif et personnel avec son dernier disque. Mais il est trop long, on passe donc facilement à coté.

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  3. Il me laisse très perplexe ce disque. Ces morceaux filaient vraiment le frisson sur scène pourtant. La magie n'a pas opéré ce coup ci. Heureusement il semble s'être remis à l'idée de jouer en full band...

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  4. Sur scène, il y a une dimension affective qui rend idolâtre. Le disque ramène la musique à plus de prosaïsme. D'où la déception pour les fans. Moi qui ne le suis pas, j'aime le disque.

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  5. je ne suis ni à ce point barbu ni à ce point dégingandé et pourtant je trouve cet album tout simplement bon,fervent et fragile avec juste ce qu'il faut de pose et de lyrisme;plus americana que country ou folk d'ailleurs;un album qui vaut largement mieux que la dithyrambe ou la diatribe ...cela dit,la chronique est super stylée !

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  6. Je partage cette idée que Josh T.Pearson ne s'adresse pas qu'aux fans de folk; il va bien au-delà. C'est le genre de disque que j'accueille sans hystérie ni défiance, peut-être parce qu'il est modestement humain.

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