La chanson de la semaine

vendredi 15 janvier 2010

In 2009, You could have what you wanted

En dépit de la mort prématurée de Jay Reatard, notre époque reste, selon moi, la meilleure chose qui soit arrivée au rock indé depuis des lustres. Faisant le tour d'horizon des blogs et de leur top de fin d'année, je m'aperçois pourtant que l'enthousiasme est en berne et que personne ne s'accorde sur les gagnants de l'année, chacun y allant de son disque relativement mineur, faute de mieux. Le papillonnage supplante par ailleurs l'obsession pour un mouvement, un registre, une famille musicale, ce qui arrive toujours lorsque les cartes sont brouillées, que rien de marquant n'affleure. Le monde serait-il en décomposition? Je ne suis pas de cet avis. L'époque, il est vrai, est à la diversité, mais ce n'est pas parce qu'on ne s'y retrouve plus qu'il n'y a plus d'identité forte dans le monde de la musique indé. Peut-être suis-je isolé, mais cette année a été, de loin, ma préférée pour toute la décennie. Je m'empresse d'ajouter que je n'ai pas connu les trois premières, à peine la quatrième (à cette époque maintenant reculée, j'avais la tête ailleurs). Le milieu de la décennie ayant été accaparé par une brit-pop que je ne comprends pas toujours (exception faite des Coral) il est logique que la fin soit pour moi plus importante que le début, puisqu'elle signe le retour d'une certaine musique américaine qui fait la synthèse de toutes les époques, n'oubliant pas les nineties (la décennie boudée par les frangés et les slimés, en attendant que dès 2012 on méprise les héros de notre génération, logique implacable).

Je ne souhaitais pas faire de top de fin d'année, et je n'y cèderai d'ailleurs pas, mais seulement parler d'un phénomène qui me semble remarquable. Depuis quelques temps, on entend à nouveau parler de Kurt Cobain, l'icône un peu encombrante qu'il aura fallu détrôner un moment pour inviter les filles à danser (c'est selon moi la philosophie des noughties, qui se placent en porte-à-faux avec la musique assistée par ordinateur mais également avec la rage désespérée du grunge). Cette référence, parfois assez appuyée, n'est pas éparse et ne touche pas n'importe quel groupe. Les Arctic Monkeys, par exemple, sont assez peu susceptibles de parler de Nirvana en interview. Mgmt non plus ne doit pas être adepte. Il faut chercher du coté de la musique à guitares bruyantes, que le tempo soit rapide ou lent, pour trouver des signes patents de cette réhabilitation. C'est Girls qui m'a mis la puce à l'oreille. Dans le clip "Lust for Life", Owen brandit une pancarte où s'inscrit au marqueur le nom du défunt leader de Nirvana, entre autres noms qu'il nous invite à écouter. Plus intéressant: quelques mois auparavant, le groupe Crystal Antlers, avec son single Andrew, me donnait l'impression de réentendre une rage vocale pas entendue depuis 1994. Les très délicats Pains of Being Pure At Heart ont signé un titre référencé: Kurt Cobain's Cardigan. Les Vivian Girls s'avouent fans, et même Crystal Stilts, qu'on sent pourtant branché années 60. Sur le site officiel de Jay Reatard on peut entendre depuis aujourd'hui la reprise de Frances Farmer will have her revenge on Seattle. Et, pour finir, quand on regarde l'allure de Owen et Reatard, on ne peut s'empêcher de faire la comparaison. Cela faisait un bail que les longs cheveux n'étaient plus médiatisés... Quelles conclusions en tirer? Alors que tout un chacun cette année a parlé d'un revival shoegazing (parfois nommé shitgaze dans ses tendances borderline), est-ce que le phénomène n'est pas plus large? Le fait que Pains of Being Pure At Heart revendique plus de connexions avec Vivian Girls, Crystal Stilts, Girls et Nirvana qu'avec Jesus and Mary Chain ou Ride n'est-il pas le signe que nous ne vivons pas une époque étroitement repliée sur le souvenir d'un courant musical alternatif très souterrain mais plutôt bâtie sur de nombreuses fondations, capable de lier Nirvana aux Beach Boys, My Bloody Valentine aux Beatles?
Ce qu'on a appelé un peu négligemment le revival shoegazing, même s'il emprunte beaucoup aux guitares noisy de Ride, a finalement la vue large et risque bien de se déployer au-delà des limites ridicules dans lesquelles on veut parfois - condescendance oblige des critiques de plus de trente ans avec les petits jeunes - l'encercler.

Si je mets côte à côte ces groupes, qui ont tous sorti un disque cette année (du moins en France) : Vivian Girls, Crystal Stilts, Pains of Being Pure At Heart, Jay Reatard, Smith Westerns et Girls, j'obtiens alors un formidable condensé d'une année de rock indé américain, avec une identité homogène et forte malgré la diversité des registres. Cela crève l'écran. Je peux ajouter les Crystal Antlers, qui n'ont pas vraiment confirmé sur la longueur le bien que je pensais du single Andrew mais en qui on peut quand même placer quelques espoirs, même si leur credo semble excessivement psychédélique. Bien que Kurt Vile ne soit pas forcément adepte de Nirvana (il est plutôt obsédé par Neil Young et Pavement), il entre lui aussi dans le lot de cet indie-rock à guitares massives, condensant d'ailleurs ses nombreux aspects (pop, rock, psyché et folk).
Bien sûr ces disques ne sont pas d'absolus chef d'œuvre mais leur absence systématique des tops de fin d'année a quelque chose de suspect quand on sait qu'ils ont dans l'ensemble reçu un accueil favorable. C'est tout le problème de la génération zapping: à peine un disque jaugé, l'internaute s'en va en chercher un autre, sans prendre la peine de réitérer son plaisir, même quand celui-ci a bel et bien eu lieu. Pire: les découvertes s'enchaînant et l'internaute averti se faisant toujours le scrupule de donner une deuxième chance aux chansons qui ne l'ont pas renversé dès la première écoute, on en arrive à cette aberration qu'un disque médiocre mais bizarre sera forcément plus écouté qu'un disque simple et attachant, puisque le temps passé pour pénétrer l'univers de l'un aura été plus long que pour se débarrasser du plaisir facile de l'autre. Le plaisir se trouve ainsi dévalué au profit d'une tentative vaine de dénicher la perle rare.

Néanmoins, deux disques dont on peut supposer que leurs fans les ont adoptés d'instinct se retrouvent en haut des tops cette année : Animal Collective et Grizzly Bear semblent en effet accommoder beaucoup de gens sincères. Aussi incompréhensible que cela paraisse aux détracteurs, il y a un public qui raffole de ce genre de choses, comme il raffole d'ailleurs des sympathiques mais pas incroyables Vampire Weekend. Evidemment, le tableau que ces trois groupes dressent de la musique indé américaine diffère assez largement du mien, même si des connexions peuvent à l'occasion se retrouver (Kurt Vile a beaucoup écouté Animal Collective qui a fait signer Ariel Pink, mentor de Girls, sur son label). Pour le moment, tel que je définis la musique indé, je suis - sur le plan médiatique - à coté de la plaque. De plus en plus on tend à confondre le mot indie avec Animal Collective. Sur deezer, par exemple, un usager sceptique et visiblement décontenancé écrivait "décidément, je ne comprends rien à la musique indie". Oui, normal. C'est Animal Collective, un élément d'une galaxie bigarrée. Jay Z lui-même n'a pas l'air plus au fait de l'actualité lorsqu'il dit que l'indie-rock réussit sa mutation: il pense de toute évidence à Vampire Weekend. Ce qui m'intéresse et ce qui a fait le suc de mon année musicale (en dehors du folk-rock et de quelques petits événements extérieurs) se joue du coté du shoe/shitgaze, du garage-rock et de Kurt Cobain. On aura la suite bientôt, c'est certain (car ils ne vont pas tous mourir cette année). Et là, on en reparlera avec plus de recul: feu de paille ou future explosion?

Discographie de l'année:

S/t - Pains of Being Pure At Heart
Childish Prodigy - Kurt Vile
Album - Girls
Watch Me Fall - Jay Reatard
Everything is Wrong - Vivian Girls











2008 mais 2009 en France : Alight of Night - Crystal Stilts

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Dans les autres sous-genres, il est inutile de dire que l'année comprend de bons moments, j'aurais à cœur de citer au moins quelques anglais: God Help the Girl (le projet de Stuart Murdoch) mais également la relève de Belle & Sebastian, assurée par Camera Obscura et leur dernier disque My Maudlin Career que je n'ai pas encore eu l'occasion d'écouter en entier. Noah and the Whale m'a bien plu aussi, mais de là à citer leur disque parmi les favoris de l'année, cela me semble limiter la pop à une petite oraison amoureuse timide, pas plus conséquente que le beau disque de Bill Callahan - je dirais même que cette curieuse année aura fait porter des œillères à la critique. Alors, toujours de l'autre coté de la manche, il y aurait sans doute beaucoup à dire si seulement j'avais beaucoup écouté. L'indie-rock, là-bas, se diversifie également, mais tout y sonne plus timide, sauf ces Arctic Monkeys que je trouve lourds, trop lourds (faute à la production ou à la faiblesse mélodique?), les Horrors, qui ont tapé un grand coup et Jamie T, qui semble vraiment avoir un truc. Mais ce n'est pas, on l'aura compris, ma tasse de thé. Je désespère parfois de mon manque d'éclectisme - remède à toutes les névroses - mais voilà, les sympathique Bombay Bicycle Club ne me feront pas pleurer de joie ni d'enthousiasme alors que j'oublie toutes les nécessités de la vie en entendant les trois minutes de Young Adult Friction, de Can't Get Over You, de There Is No Sun, de Morning Light ou de Monkey (à vous de relier ces chansons aux bons artistes). J'ai l'impression que je vais exploser rien qu'en pensant à ces chansons. Comment expliquer de telles choses? Les gens qui aiment Jim Jones Revue éprouvent-ils le même sentiment? S'ennuient-ils en écoutant Pains of Being Pure At Heart comme je m'ennuie ferme en entendant ce showman grand-guignolesque prendre sa gratte et gueuler devant son parterre de petits hussards? Les mystères de la vie, de l'altérité, des goûts...

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