La chanson de la semaine

vendredi 18 décembre 2009

Childish Prodigy


Il y a des jours où je suis content d'avoir choisi Matador pour pseudo. C'est un hasard: je ne faisais pas référence à la boîte qui a signé Yo La Tengo et les Ponys mais simplement au torero principal, celui qui sacrifie la bête dans l'arène. Par glissement sémantique, je suis ravi de pouvoir lier Matador au label qui a eu l'heureuse idée de soutenir Kurt Vile, ce "jeune prodige", comme il se désigne lui-même en clin d'œil à un article de presse.
Après un album qui s'intitulait sobrement "le faiseur de hits de Philadelphie", Kurt Vile est donc de retour avec un titre tout aussi présomptueux mais entièrement légitime. Childish Prodigy est avec quelques autres (Girls et Jay Reatard) une des meilleures surprises de l'indie-rock US, depuis... les années 90.

Kurt Vile est mal présenté sur internet. Il écoute les primitifs américains, John Fahey, Mississipi John Hurt, Robert Jonhson, plus récemment Neil Young et pour toutes ces raisons, se trouve hâtivement catalogué americana/folk, alors que son disque est avant tout un concentré de rock dégingandé comme Pavement, flou comme My Bloody Valentine et surtout, un détonnant mélange de blues primitif et de malformation sonore presque noise.
Sur Inside Lookin out, par exemple, vous croyez entendre la sonnerie de la locomotive à vapeur et le bruit approchant de la chaudière, tandis Freak Train reprend le rythme hypnotique des roues. Vous êtes propulsé d'un coup dans une version psyché et alternative du Tennessee des années 20, dans la peau d'un rambler qui prend le wagon en marche.
Eh oui, les bluesmen faisaient la même chose. Mais halte là! Pas de passéisme ici: Kurt Vile a les moyens sonores d'un gars d'aujourd'hui et malgré une production un peu lo-fi peut vous faire passer une guitare pour un ordi. En dehors des super chansons pop comme A monkey (que je rêve d'entendre un jour à la radio... mais pourquoi pas?), ce que j'apprécie chez lui c'est aussi cette volonté de brouiller la perception qu'on a du rock traditionnel (dont il est pourtant friand). Je n'émets de réserve que sur une chanson: overnite religion laisse penser que notre jeune prodige a écouté Animal Collective (non! ne fuyez pas!). Hors-ça, il est parfait.

Mais Childish Prodigy n'est pas seulement une curiosité sonore, c'est surtout le disque d'un chanteur qui a la patate et je crois que c'est ce qui le distingue vraiment du lot: Hunchback, d'entrée de jeu, est ravageur. Entre premier et second degré, affectation et rage, Kurt Vile dynamite l'album et nous emmène bien loin du rock à frange, fun, cool, peut-être, mais redondant, pour nous faire exulter comme jamais depuis... des lustres! Pareil quand il gueule sur Inside Lookin' out, son European Son à lui.
Ce n'est pas que ce soit entièrement nouveau (ni même parfait), mais après une décennie de punk-rock à l'ancienne, jusqu'au fantasme régressif de Jim Jones Revue, qui nous ramène carrément 60 ans en arrière, l'esprit alternatif du rock indé commençait à me manquer. Des groupes de ce genre, il y en a eu dans les marges du revival rock, bien sûr, mais rien de bien affriolant. Rien qui égale cette tour de Pise improbable et azimutée, rien qui soit pourvu d'une atmosphère aussi fraiche. L'effet de surprise ajoute encore à l'émulation que ce disque est susceptible de créer, coiffant tout le monde sur le poteau. C'est vraiment une super nouvelle pour cette fin d'année et, je crois, la première graine semée pour la décennie qui vient. Tenez, puisqu'on parle de classement ces temps-ci, Childish Prodigy est en seconde place, derrière Girls. Voilà, je n'ai pas écouté autant de disques que nombre d'entre vous, mais je sais que ces deux-là, sans comparaison avec d'autres, peut-être meilleurs, peut-être moins bons, qu'en sais-je, il est possible d'y tenir, de s'y accrocher fermement, parce qu'on voit en eux un horizon probable, un germe de quelque chose de durable et de consistant. Et dire que tous ces gars sont influencés par Ariel Pink, il serait peut-être temps que je m'intéresse à cet énergumène-là. Jusqu'alors, je dois dire, inconnu au bataillon.


CHILDISH PRODIGY
Kurt Vile
Matador, 2009

1 commentaire:

  1. Petite précision pour les curieux ou les fans de punk-rock: Monkey, le meilleur titre de l'album, est la reprise d'une chanson écrite par Richard Hell dans le cadre du supergroupe Dim Stars, qui réunissait Thurston Moore, Steve Shelley (Sonic Youth), Don Fleming (Dinosaur Jr) et Richard Hell. Le morceau enregistré par Kurt Vile est quand même bien meilleur, à croire que la chanson n'attendait que lui.

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