La chanson de la semaine

mardi 15 décembre 2009

Jack the Ripper


Cette rétrospective ne suit pas d'ordre défini. Il ne s'agit pour moi que d'écrire un billet sur chacun des albums qui m'ont marqué pendant cette décennie, sans classement, sans ordre de préférence ni échelle d'importance. Je ne sais pas exactement où se situe Jack the Ripper dans ma hiérarchie intime mais ce qui est certain, c'est que de tous les groupes français, il est le seul à avoir atteint dans mon estime un palier d'ordinaire réservé à des groupes étrangers.

Bien sûr, on peut dire que Jack the Ripper est anglophile. Le nom du projet comme la langue choisie par le chanteur ne trompent pas sur les influences du groupe. Mais il faut pourtant préciser, sans chauvinisme aucun, que Jack the Ripper est plus profondément français que bien des chanteurs rabelaisiens. L'esprit de notre pays transparait en effet partout où les arrangements prennent de l'ampleur. Avec leur parure de goguette, les morceaux de Jack the Ripper nous ouvrent les portes d'un cabaret satiné et chatoyant, peut-être plus parisien encore que londonien. On se croirait en fait en pleine période impressionniste.
Invitant piano, mandoline, trompettes, trombone et violons, selon le modèle du collectif plutôt que suivant la formation restreinte du groupe, Jack the Ripper flirte avec cette approche diversifiée qui singularise aussi le Canada. Du coup, c'est à la fois un disque de musiciens mais aussi la preuve éclatante qu'on peut chanter anglais sans trahir ses origines, tandis que d'autres s'évertuent à singer en français, tant bien que mal, des rock'n'roll anglophones inadaptés.

Il reste néanmoins une influence anglaise prédominante dans des morceaux comme Goin' Down: celle, fascinante, du Careful With That Axe Eugene de Pink Floyd, que le chanteur a l'air d'apprécier tout particulièrement. Quiconque a vu la performance du groupe à Pompéï, sur fond d'irruption volcanique, sait que Careful était à l'origine destiné à effrayer le public - qui rigole peut-être un peu, aujourd'hui, avec le recul. Goin' Down fera sourire lui aussi: le chanteur y prend la voix de Golum et navigue sans phare entre premier et second degré. Un coup on se moque gentiment, l'autre on profite de la vertu libératrice du rock, cet exutoire des passions primaires. Entre le délire et la catharsis, Goin' Down réussit le double-jeu.

Il y a quelques années, le groupe avait laissé un long message de présentation sur son myspace, avec une explication de leur concept. S'appeler Jack the Ripper, non en hommage au classique du blues, mais en référence au meurtrier de Whitechapel, c'était plutôt énigmatique. Le propos du groupe était bel et bien tortueux et torturé, mais on comprenait leur volonté de sonder la psyché des hommes, l'intérêt qu'ils prenaient à la difficile maîtrise des passions, entre leur expression sordide et le refoulé qui en fait des bombes à retardement. Il y avait cette inquiétude autour de la folie et, en même temps, ce désir - finalement très politique, très humaniste - de la canaliser par la création.
Il paraît que la peur de devenir fou est l'angoisse prépondérante des êtres humains, selon un sondage dont je n'ai plus les sources. C'est étrange, quand on observe tous les jours des dangers plus imminents. Mais la folie est la conséquence d'une lutte insoutenable: ce qu'elle interroge avant tout c'est notre faiblesse, le point limite où le contrôle que nous gardons sur nos actions et notre vision du monde vacille. Peut-être est-ce cela, surtout, qui fait peur aux gens à travers la folie: la mise à l'épreuve par les aléas de la vie de leur capacité de résistance, la crainte d'être rivé à une impuissance.

Qu'on ait compris ou pas la visée de Jack the Ripper, il reste cet excellent disque, une coudée au-dessus de Yann Tiersen, qui est devenu trop prévisible. En attendant la suite, s'il y a lieu, on pourra faire une incursion dans l'univers des Fitzcarraldo Sessions. Mais c'est une autre histoire, toute récente.

LADIES FIRST
Jack the Ripper
Le Village Vert, 2005

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