La chanson de la semaine

mercredi 30 septembre 2009

Dr Jekyll and Mr Hyde


Le problème avec Low Anthem c'est qu'on ne sait jamais si on aime par habitude, ou si on aime parce que c'est vraiment bien. Ou peut-être qu'on aime une moitié de l'album et beaucoup moins l'autre, mais que la bonne moitié a aidé à faire passer la seconde. En fait, et ça tout le monde vous le dira, c'est comme s'il y avait deux groupes: un premier qui joue une musique folk éthérée et monocorde et un second qui braille dans le micro un rock de cabaret enfumé et crade. D'un coté une voix d'homme émasculée qui s'étire dans un long bâillement (Ohio, Charlie Darwin), de l'autre celle d'un buveur de whisky qui postillonne généreusement dans le micro (the Horizon is a Beltway). C'est pourquoi le magazine Eldorado n'avait pas dit une sottise en prétendant que ce disque plairait à la fois aux fans de Bon Iver et à ceux des Felice Brothers. On peut aimer l'un sans aimer les autres, mais on si on aime un des deux, on aime Low Anthem. Cela me paraissait abscons. Je comprends mieux en voyant la schizophrénie à l'œuvre.
Mais, au fait, qui sont les Low Anthem? Ce sont trois jeunes gens de Rhode Island: deux amis de l'université et une musicienne classique, également technicienne de la NASA (toujours impressionnant de lire ça). A trois, ils jouent de la folk sans être encombré par leurs classiques. Il y a bien une reprise de Tom Waits, mais à part ça, on les sent dégagés d'influences pesantes - pas de Dylan dans le coin, pas d'imitation ostentatoire (en cela, ils me semblent plus libres que les Felice Brothers, plus modernes aussi). Ce qu'il y a de plus spécifiquement américain dans leur musique, c'est qu'on y sent affleurer un goût pour les grands espaces, à travers l'harmonica et les arpèges tranquilles de guitare acoustique. Ce sont essentiellement des musiciens, des personnes capables de savourer le simple son d'une corde de guitare, celui d'une résonance prolongée ou d'un léger souffle de flûte. C'est peut-être pour cette raison qu'à force de les écouter, dans leurs moments les plus tranquilles, on finit par les apprécier: leurs amours sont contagieuses. Mais, n'exagérons rien, les meilleurs morceaux sont les plus durs, en particulier l'immense Champion Angel, certainement leur chef d'œuvre. Je serais prêt à me lever tous les matins à cinq heures pour en sortir un comme ça. L'écoute s'impose.

OH MY GOD, CHARLIE DARWIN
The Low Anthem
2009, Bella Union

mardi 29 septembre 2009

Magnifique


Contrairement aux rumeurs loufoques qui circulent sur la toile française, les Cave Singers ne se réfugient pas dans leur cave pour échapper à d'hypothétiques casseurs qui séviraient dans les rues de Seattle. Primo, parce qu'une grande partie de l'année celles-ci sont désertées par les musiciens (il fait trop froid) et deuxio parce qu'il serait stupide d'imaginer que des hordes de terroristes grunge vouent aux gémonies la majorité de folkeux qu'abrite désormais la ville. En effet, depuis quelques temps, on ne compte plus les groupes simili-folk dans la région. La ville industrielle a remisé son passé punk et grunge (Nirvana) pour laisser bourgeonner de belles plantes naturelles: Moondoggies, the Dutchess and the Duke, Fleet Foxes, sont les plus connues. Les Cave Singers sont peut-être les meilleurs, à l'instant précis où j'écris - car avec tant de variété, les uns peuvent supplanter les autres rapidement. Pourtant, rien ne laissait présager d'une telle réussite. En vérité, tous leurs moyens mis en commun (et c'est peu de chose) ne devraient pas, théoriquement, permettre un disque aussi magnifique. Ils sont au-dessus d'eux-mêmes pendant trente-cinq minutes. Au programme: la routine d'un disque folk, avec les arpèges de guitare acoustique qui déroulent leurs clichés, une voix enrouée et maniérée qui trébuche sur les mots, et juste ce qu'il faut de guitare électrique, en son clean bien entendu. Cela devrait être un bréviaire de l'ennui. Et c'est le contraire. Avec si peu, ils font des montagnes. On pense à des chansons folk de Led Zeppelin, on pense à une country rajeunie, on pense que c'est génial. ça ne l'est pas en vérité. C'est trop simple, trop humble, presque le pain du pauvre, mais c'est au moins un grand disque qu'on écoute en boucle dix fois de suite sans lassitude (ce qui est exceptionnel dans la mesure où les chansons se ressemblent). Le chant de Peter Quirk prend l'auditeur à la gorge, le bonhomme est plutôt bouffi mais si je devais en faire un dessin-animé, je lui donnerais, d'après sa voix, le rôle d'un loup efflanqué. Il ne craint pas d'en faire beaucoup, à l'inverse de tous ces chanteurs de folk timides qui laissent glisser leur voix sans rien brusquer. C'est le défaut le plus courant du genre: des apprentis qui n'ont pas foi en l'expression directe semblent croire que c'est dans la nature de la musique folk d'être toute de retenue et de pudeur, comme si ce style était dévolu à contraster avec la musique rock urbaine. Les Cave Singers sont supers parce qu'ils ne se positionnent pas contre quelque chose d'étranger à eux, ils ne jouent pas sur l'opposition culture/nature, rock/folk. Ils jouent pour vibrer à l'unisson et n'ont pas besoin de riffs ni de solos pour obtenir un résultat équivalent à celui qu'obtiendrait un groupe de rock. Ils savent rendre la douceur énergique, densifier le dénuement, exalter la simplicité. Ils ont le truc qui les met au-dessus de leurs moyens. Cela ne durera peut-être pas, car avec une telle simplicité, ils n'iront jamais plus loin. La musique folk n'a jamais connu une grande marge d'évolution. Le folk-rock peut apporter quelques nouveautés; l'électrification des morceaux, par exemple, a pu choquer en son temps et a renouvelé le genre, mais quand on se replie sur la formule guitare/voix (et quelques fanfreluches), on ne peut pas décrocher la lune. C'est pourquoi il n'y a jamais eu et ne saurait y avoir de retour à la musique folk, quoi qu'en disent les médias ces derniers temps. Car en effet on ne peut pas "revenir" à ce qui n'a jamais cessé ni même à une étape antérieure de ce qui n'a jamais vraiment évolué. Un folkeux du XXIème est presque l'alter ego d'un folkeux de 1960, sans qu'on puisse parler de retour aux sources ou de revivalisme. La raison de cette stabilité tient à la fonction passe-partout du genre: on dit que c'est de la musique de feu de camp pour exprimer combien il est facile d'en jouer quand on veut et où on veut. Une guitare et une voix suffisent, pas de besoin de brancher le matériel. Du coup, le genre dure et ne correspond ni à un mouvement (comme la soul, le jazz, le rock'n'roll) ni à l'évolution accidentelle d'un mouvement, c'est plutôt une base, simpliste mais toujours possible. Ainsi, les Cave Singers, à l'origine, sont des rockeurs issus de formations électriques et rythmiques, pas même des fans de Dylan. Ils ont empoigné la guitare acoustique et ont baissé le volume de l'électrique parce qu'ils ont certainement voulu passer des soirées tranquilles entre amis, pour changer, dans leur cave. Sans doute est-ce aussi basique que ça. Le résultat est splendide, contre toutes attentes.

WELCOME JOY
The Cave Singers
2009, Matador

samedi 26 septembre 2009

L'Automne


Les grandes vacances ont été longues. Où était-je parti si longtemps? En Indonésie? En orbite autour de la Lune? 20 000 lieux sous les mers? Je vous fais grâce des détails. Maintenant que je suis de retour aux affaires, entrons dans le vif du sujet. L'automne pointe à peine le bout de ses feuilles que Noah and the Whale nous invite aux premiers jours du printemps. On le saura pour l'an prochain. Sauf que, à bien y réfléchir, ça sent aussi l'automne...cette mélancolie...le dénuement des chansons... Le groupe s'est éloigné de la pop playmobil des débuts. Souvenez-vous, ce titre, 5 years time, c'était la Bamba pour les empileurs de lego de la pop music. Rien de bien intéressant. Mais cette fois, il y a une curiosité. Elle vient à la fois d'une maturité nouvelle, grave autant que légère, et de la distanciation affectée par la voix de Charlie Fink. Par sa manière de la poser, sobrement, sans chercher la mélodie, il nous rappelle Bill Callahan, autre folkeux à avoir sorti cette année un disque de...rupture. Coïncidence, j'en parlais ici-même il y a quelques mois, Bill Callahan s'est lui aussi fait plaquer et a sorti un disque en conséquence. Les climats ne sont pas identiques, mais les voix sont proches cousines. Est-ce l'effet universel de la rupture? On a pu reprocher (du moins les gens heureux ont reproché) à Charlie Fink sa mélancolie, le ton plaintif de son chant. Mélancolique, son disque l'est surement, mais dire que sa voix est plaintive est presque un contre-sens, il y a dans son timbre un air de "je n'y touche pas" qui le rend particulièrement attachant et qui confère à ce disque monotone et bleuté sa touche de légèreté, son parfum printanier, son odeur de lilas à peine perceptible. Rien que pour ça il mérite l'attention, alors que d'un autre côté, il faut avouer que onze morceaux du même tonneau peuvent lasser, même s'ils sont entrecoupés par les absurdes choeurs de Love of an Orchestra, sorte d'intermède hideux qui vise à chapitrer l'histoire sentimentale que le disque déroule tout du long. C'est un point important, pour tous ceux qui s'intéresseront aux paroles, de savoir qu'il s'agit d'un album concept narratif et linéaire: le temps passe et apporte avec lui de nouvelles réflexions aux atermoiements de l'amoureux. C'est une eau qui court, mais avec des remous ça et là. Le premier morceau porte en germe tous les accomplissements futurs (l'eau est la même à la source) mais il interpelle d'autant plus qu'en début d'album on est troublé d'entendre cette voix si distante et si calme. Evidemment, on s'habitue (un peu trop) vite, mais il y a encore de beaux moments, comme I Have Nothing, My Broken Heart ou Blue Skies. A écouter au moins une fois, en fin d'après-midi, au calme.

THE FIRST DAYS OF THE SPRING
Noah and the Whale
Mercury, 2009

samedi 20 juin 2009

D'une pierre deux coups



Cela n'a aucun rapport, même éloigné. Mais pour des raisons afférentes à ma vie privée il fallait que je lie les deux. Je les ai découverts l'un comme l'autre il y a deux ans, à la même époque. L'impact ne fut pas le même pour Elvis Perkins que pour Townes Van Zandt. Je ne crois pas utile de révéler lequel des deux a emporté ma plus vive adhésion. J'avais publié sur myspace comme ailleurs quelques textes pour dire tout le bien que je pensais du troubadour texan (en référence au coffret du même nom), mais plus ou moins dans le vide, car même si les disques profitaient d'une réédition sur le label Fat Possum, l'accueil en France restait confidentiel, voire officieux. La sortie du disque hommage de Steve Earle peut changer la donne durablement. C'est le moment sans doute de s'engouffrer dans la brèche et d'aller déposer à droite ou à gauche des posts élogieux et prosélytes sur Townes Van Zandt. Pas de faux scrupules: tous les moyens doivent être bons pour permettre aux gens d'écouter ses très belles chansons, même sans en comprendre tout le sens. Non content d'être un parolier reconnu, c'était surtout un excellent compositeur, à l'aise dans le classicisme country et/ou blues mais surtout resplendissant quand il s'agissait de s'éloigner de la routine et du déjà-entendu. A ce titre, aucun album ne représente mieux son identité unique que "Our Mother the Mountain", chef d'œuvre total servi par des arrangements somptueux et une voix terriblement claire et désespérée. De manière incompréhensible, Steve Earle, qui a choisi un beau florilège de chansons de provenance variée, n'en a retenu aucune de cet album phare. Peut-être la tristesse, l'impression d'isolement, d'indépendance sauvage étaient-elles à ce point de non-retour qui empêche l'appropriation par quelqu'un d'autre. Notons quand même la superbe version de Mr Mudd and Mr Gold, selon moi supérieure à l'original, car chanté à deux voix. Un journaliste écrivait il y a peu que l'oeuvre de Townes Van Zandt, malgré son génie, souffrait parfois d'aridité, aussi l'échange de voix sur Mr Mudd and Mr Gold est-il d'autant plus touchant qu'il invite à plus de chaleur. C'est le fils de Steve Earle, prénommé Justin Townes - ce n'est pas une coïncidence - qui s'occupe de la réplique.

Le deuxième chanteur dont il est question ici n'a pas la même clarté de timbre et il en fait parfois un peu trop, à l'image de Van Morrison, son modèle. Mais le titre d'introduction de son second et dernier album est excellent et mérite de redoubler d'attention. Il est vrai que le premier disque avait été bien accueilli, fort de quelques chansons très émouvantes, comme "While you were sleeping" ou "Ash Wednesday". On fermait les yeux sur l'emphase parce qu'elle nous plaisait. On savait qu'il avait la qualité de son défaut: sans cette grandiloquence à la frontière du ridicule, il n'eut pas pu nous émouvoir. Son nouveau disque est d'une plus haute tenue. Du coup, certains l'ont trouvé ennuyeux. Mais il est comme la sonate de Tchaïkovski en tête d'aiguille: ça commence fort et après ça reste bon, mais par contraste moins impressionnant. Ecoutez quand même "I'll be Arriving" et vous verrez bien par vous-mêmes!

TOWNES
Steve Earle
New West Records, 2009

IN DEARLAND
Elvis Perkins
XL Recordings, 2009

vendredi 19 juin 2009

Country-rap

C'est donc après une longue absence que mes deux fidèles lecteurs (sans compter éventuellement quelques proches) me voient revenir avec pour bagages quelques nouveautés qu'ils connaissent bien sûr déjà. La liste heureusement est longue et les fans de musiques obscures et mésestimées apprécient grandement quand la blogosphère met une double ration là où on faisait vache maigre. Pour commencer, les Felice Brothers, authentique fratrie des Etats-Unis, occupée à perpétuer un certain héritage roots, sudiste et terreux, avec pour point de mire manifeste la voix de Bob Dylan et les élucubrations de Tom Waits. Leur troisième et dernier disque, sorti il y a deux mois, a beau être une incontestable réussite, c'est sur le précédent que mon dévolu s'est jeté. Voici donc une chanson extraite de ce disque. Beaucoup trouvent la qualité de la vidéo déplorable, mais je ne peux pas écouter la chanson sans la regarder. C'est du véritable Do It Yourself, ça n'a vraisemblablement pas couté 50 dollars et c'en est d'autant plus touchant qu'on se dit qu'on pourrait le faire soi-même, avec de la bonne volonté (elle transpire tout au long du morceau). Le chanteur prend la pose, avec ses lunettes noires, mais l'esbroufe ne m'irrite pas, il s'en dégage au contraire une impression de naïveté confondante, de premier degré, d'ingéniosité et presque comme une maladresse tempérée. Le cœur tente de parler, la forme s'y prête.
Plusieurs choses m'ont marqué. Tout d'abord l'intro à l'accordéon, qui laissait présager d'un flonflon désagréable. Sans être un faux démarrage, l'accordéon est un peu trompeur. Le morceau suit en fait une progression classique dont l'efficacité est éprouvée: ça commence doucement, puis un coup de batterie et la machine s'emballe. Quand le chanteur met ses lunettes, au moment où la caisse est frappée, je ressens systématiquement ce frémissement enthousiaste que provoquent les grandes chansons. La guitare électrique arrive immédiatement après, claire, doucement entraînante et comme abondante en lumière, alors qu'un gros plan nous montre la face du chanteur en contre-jour, avec les rayons du soleil qui absorbent son visage. Je trouve ça simplement beau. Il secoue la tête à la manière des rappeurs et entame ensuite un chant assez dylanien, mais tout à fait inattendu puisqu'à plusieurs reprises son phrasé, très rythmique, rappelle la scansion du rap ("don't count the thirty in the glove box buddy"). On peut vraiment voir ça comme un croisement entre deux cultures qui racontent la vie de tous les jours, les souffrances et les peines, des historiettes pleine d'accidents. Du country-rap. Qui y aurait pensé? Enfin, dernier grand moment: le chœur du deuxième couplet, juste avant le refrain. La voix est doublée et à cet instant la chanson atteint un paroxysme ("I hurt him so damn bad I had to hide in Jersey"). Généralement j'arrête la vidéo après cet instant. Le dernier refrain, plus long, est moins intéressant pour moi; ni les sha na na ni les chœurs ne me sont indispensables. En revanche, à chaque fois que je réécoute cette chanson, je m'aperçois que mon regard a changé sur l'accordéon de l'intro. Elle est belle comme elle est, même sans la suite. Maintenant je vous laisse savourer cette vidéo, ou peut-être aurez-vous eu l'intelligence de ne rien lire avant de la visionner.

mercredi 3 juin 2009

Incendie en Californie

Voici un morceau du feu de Dieu. Rien entendu de tel depuis Dogwood rust, le titre d'ouverture d'Avatar, l'album des Comets on Fire avec des nuages d'orage (ou de fumée peut-être) au dessus des pins. Superbe pochette d'ailleurs, qui disait bien la furia du groupe, l'état de délabrement et en même temps de concentration qui se dégageait de leur musique épique et ravageuse. Les Crystal Antlers rappellent - même s'ils s'en défient - ce type d'expérience sonore, cet impression de lave en fusion, d'éclatement et de drame. Ils sont jeunes, mais ils ont sans doute bien connu la musique des années 90, car on retrouve dans ce brûlot la grandiloquence bruyante (bruitiste même) et la gravité de l'indie-rock américain des nineties (j'entends la rage de Nirvana par moments). Mais non, contrairement à ce qu'ils pensent, ils n'ont pas grand chose à voir avec la musique punk (lire l'article dans la magazine Eldorado), car il ne suffit pas d'être agressif et sans fioritures pour faire punk. La réalité du punk est surtout sociale, la musique est crue et directe parce qu'il n'y a pas souvent de réverbération (l'impression de profondeur du son) et par là même, pour glisser sur le sol pentu de la métaphysique, aucune ouverture n'est laissée à la possibilité d'un arrière-monde. Le punk c'est un monde qui non seulement est débarrassé de Dieu mais qui, de surcroît, s'en contrefout. C'est tout, tout de suite, et surtout, on ne l'a pas assez dit, ICI. Une expérience de proximité, voire de promiscuité. Les pieds arrimés au sol, les yeux dans les yeux, et pas au ciel ni tournés vers son monde intérieur. Les Crystal Antlers sont différents; volontairement ou pas, ils laissent une distance entre la vie de tous les jours et leur musique. C'est violent mais ça porte au rêve, c'est agressif mais parfois lyrique, voire légèrement planant. Le son est confus, pas de contours nets, la voix est un hurlement qui vient de loin. Il y a quelque chose d'irréel. C'est peut-être pour ça qu'au lieu d'être catalogués punk, ils sont souvent, malgré eux, étiquetés psychédélique. Je leur laisse le choix, mais ce qui est sûr, c'est que leur morceau Andrew tape un grand coup.



TENTACLES
Crystal Antlers,
Touch & Go, 2009

lundi 18 mai 2009

Disque du mois


Si on lui ajoutait une paire de cornes, Stephen McBean ressemblerait vraiment à un bouc. Pour le moment on dirait juste Michel Houellebecq en peignoir de bain avec une pilosité surabondante. Ces remarques n'ont pas pour but d'alimenter un délit de sale gueule mais de situer un peu Pink Mountaintops dans l'espace-temps du rock. A la croisée entre dépression nerveuse et rock progressif seventies donc. Avec tout ce que cela comporte d'un peu douteux: l'ésotérisme bidon de Black Mountain, le coté moine zen hérité d'une vulgarisation éhontée du bouddhisme, lui-même affligeant pour un esprit occidental, et des voix molles, désabusées et narcotiques. Sauf que, sur ce dernier point, il y a litige. Ce qu'on a pu reprocher à toutes les formations psychédéliques modernes tient généralement à cet aspect fatigué (ou drogué) des voix, et c'est précisément ce qui, chez les fans, rend le genre aussi fascinant. Pink Mountaintops va plus loin dans ce sens qu'aucune autre formation (Dandy Warhols ou BJM en tête) car Stephen McBean y laisse enfin affleurer ce qui faisait, en toute discrétion et avec beaucoup de retenue, l'essence de la musique psyché contemporaine: le coté planant et rêveur, renouant alors sans discourir avec Mazzy Star ou Galaxie 500. Et c'est une réussite ample et profonde, sans discrédits. Le beau nom du groupe (les sommets roses des montagnes) est parfaitement illustré par des morceaux comme Execution, Vampire, And I thank you ou l'ultime Closer to Heaven qui n'est pas sans rappeler Spiritualized. Car loin d'être aussi austère que beaucoup de ses pairs, Stephen McBean semble apprécier les accompagnements riches et voluptueux façon Jason Pierce, devenu un modèle, semble-t-il, pour toute cette scène psyché incroyablement vivante et jeune. Si on repense aux antiquités du genre, Spacemen 3, Jesus and Mary Chain ou My Bloody Valentine, on constate que du chemin a été parcouru pour arriver à ces alliages modernes entre le bruit des guitares fuzz et les atmosphères rêveuses développées tout au long de ce disque. On repense parfois à ces mélanges de distorsion et de gospel qu'on trouvait sur Ladies and Gentlemen we're floating in space. Bien entendu, ces références encombrantes ne font que biaiser l'écoute de ceux qui ont grandi dans les nineties. Bienheureux ceux qui découvrent aujourd'hui, à 16 ans, âge du romantisme adolescent et de la mélancolie complaisante, ce genre de disques profondément consolateur. Et il ne faut pas rire bêtement, c'est naïf, mais toujours saisissant. Du coup, on en oublie le semi ratage de Black Mountain.

OUTSIDE LOVE
Pink Mountaintops
Jagjaguwar, 2009